À l’occasion des Singes, voici ce que raconte le P. Labat, dans ses Voyages aux Isles de l’Amérique.
Dans l’Isle de Saint Cristophe, nous eûmes un divertissement auquel je ne m’attendois pas, ce fut d’aller voir la chasse des Singes. On plantoit des cannes dans une terre qui étoit un des repaires de ces Animaux ; nous fûmes nous embusquer environ une heure avant le coucher du Soleil. Nous n’y demeurâmes pas fort longtems que nous eûmes le plaisir de voir sortir des brossailles un gros Singe, qui après avoit regardé exactement de tous côtés, grimpa sur un arbre, d’où il considéra encore tous les environs : à la fin il fit un cri auquel plus de cent voix différentes répondirent dans le moment ; & incontinent après, nous vîmes arriver une grande troupe de Singes de différentes grandeurs, qui entrerent en gambadant dans cette piéce de cannes, & commencerent à les arracher & à s’en charger. Quelques-uns en prenoient quatre ou cinq morceaux qu’ils mettoient sur une épaule, & se retiroient en sautant sur les deux pieds de derriere ; les autres en prenoient un à leur gueule, & s’en alloient en faisant mille gambades. Nous tirâmes quand nous eûmes assez considéré leur manege ; nous en tuâmes quatre, entre lesquels il y avoit une femelle qui avoit son petit sur son dos qui ne la quitta point ; il la tenoit embrassée à peu près comme les petits Negres tiennent leurs meres. Nous le prîmes, on l’éleva, & il devint le plus joli Animal qu’on pût souhaiter.
À propos de ce petit Singe, il arriva une avanture au P. Cabasson, qui mérite d’être mise ici. Il avoit élevé ce petit Animal, qui s’affectionna tellement à lui qu’il ne le quitta jamais ; de sorte qu’il falloit l’enfermer avec soin toutes les fois que le Pere alloit à l’Eglise ; car il n’avoit point de chaîne pour l’attacher. Il s’échappa une fois, & s’étant allé cacher au-dessus de la Chaire du Prédicateur, il ne se montra que quand son Maître commença à prêcher ; pour lors il s’assit sur le bord, & regardant les gestes que faisoit le Prédicateur, il les imitoit dans le moment avec des grimaces & des postures qui faisoient rire tout le monde. Le P. Cabasson qui ne savoit pas le sujet de ces risées, reprit dabord ses Auditeurs avec assez de douceur ; mais voyant que les éclats de rire augmentoient au lieu de diminuer, il entra dans une sainte colere, & commença d’invectiver d’une maniere très-vive contre le peu de respect qu’ils avoient pour la parole de Dieu. Ses mouvemens plus violens qu’à l’ordinaire firent augmenter ses grimaces, & les postures de son Singe, & le rire de l’Assemblée. À la fin quelqu’un avertit le Prédicateur de regarder au-dessus de sa tête ce qui s’y passoit : il n’eut pas plutôt apperçu le manege de son Singe, qu’il ne put s’empêcher de rire comme les autres ; & comme il n’y avoit pas moyen de prendre cet Animal, il aima mieux abandonner le reste de son discours, n’étant plus lui-même en état de le continuer, ni les Auditeurs de l’écouter.