CLXXVI NUIT.

Le prince de Perse rendit le salut à la confidente de Schemselnihar. Le joaillier s’était levé dès qu’il l’avait vue paraître, et s’était tiré à l’écart pour leur laisser la liberté de se parler. La confidente, après s’être entretenue quelque temps avec le prince, prit congé de lui et sortit. Elle le laissa tout autre qu’il n’était auparavant. Ses yeux parurent plus brillants, et son visage plus gai ; ce qui fit juger au joaillier que la bonne esclave venait de dire des choses favorables pour son amour.

Le joaillier ayant repris sa place auprès du prince, lui dit en souriant : « À ce que je vois, prince, vous avez des affaires importantes au palais du calife. » Le prince de Perse, fort étonné et alarmé de ce discours, répondit au joaillier : « Sur quoi jugez-vous que j’ai des affaires au palais du calife ?

– J’en juge, repartit le joaillier, par l’esclave qui vient de sortir.

– Et à qui croyez-vous qu’appartienne cette esclave ? répliqua le prince.

– À Schemselnihar, favorite du calife, répondit le joaillier. Je connais, poursuivit-il, cette esclave et même sa maîtresse, qui m’a quelquefois fait l’honneur de venir chez moi acheter des pierreries. Je sais de plus que Schemselnihar n’a rien de caché pour cette esclave, que je vois depuis quelques jours aller et venir par les rues, assez embarrassée, à ce qu’il me semble. Je m’imagine que c’est pour quelque affaire de conséquence qui regarde sa maîtresse. »

Ces paroles du joaillier troublèrent fort le prince de Perse. « Il ne me parlerait pas dans ces termes, dit-il en lui-même, s’il ne soupçonnait ou plutôt s’il ne savait pas mon secret. » Il demeura quelques moments dans le silence, ne sachant quel parti prendre. Enfin, il reprit la parole, et dit au joaillier : « Vous venez de me dire des choses qui me donnent lieu de croire que vous en savez encore plus que vous n’en dites. Il est important pour mon repos que j’en sois parfaitement éclairci ; je vous conjure de ne me rien dissimuler. »

Alors le joaillier, qui ne demandait pas mieux, lui fit un détail exact de l’entretien qu’il avait eu avec Ebn Thaher. Ainsi, il lui fit connaître qu’il était instruit du commerce qu’il avait avec Schemselnihar, et il n’oublia pas de lui dire qu’Ebn Thaher, effrayé du danger où sa qualité de confident le jetait, lui avait fait part du dessein qu’il avait de se retirer à Balsora, et d’y demeurer jusqu’à ce que l’orage qu’il redoutait se fût dissipé : « C’est ce qu’il a exécuté, ajouta le joaillier, et je suis surpris qu’il ait pu se résoudre à vous abandonner dans l’état où il m’a fait connaître que vous étiez. Pour moi, prince, je vous avoue que j’ai été touché de compassion pour vous ; je viens vous offrir mes services, et si vous me faîtes la grâce de les agréer, je m’engage à vous garder la même fidélité qu’Ebn Thaher. Je vous promets, d’ailleurs, plus de fermeté ; je suis prêt à vous sacrifier mon honneur et ma vie ; et afin que vous ne doutiez pas de ma sincérité, je jure par ce qu’il y a de plus sacré dans notre religion, de vous garder un secret inviolable. Soyez donc persuadé, prince, que vous trouverez en moi l’ami que vous avez perdu. » Ce discours rassura le prince et le consola de l’éloignement d’Ebn Thaher : « J’ai bien de la joie, dit-il au joaillier, d’avoir en vous de quoi réparer la perte que j’ai faite. Je n’ai point d’expressions capables de vous bien marquer l’obligation que je vous ai. Je prie Dieu qu’il récompense votre générosité, et j’accepte de bon cœur l’offre obligeante que vous me faites. Croirez-vous bien, continua-t-il, que la confidente de Schemselnihar vient de me parler de vous ? Elle m’a dit que c’est vous qui avez conseillé à Ebn Thaher de s’éloigner de Bagdad. Ce sont les dernières paroles qu’elle m’a dites en me quittant, et elle m’en a paru bien persuadée. Mais on ne vous rend pas justice : je ne doute pas qu’elle ne se trompe, après tout ce que vous venez de me dire.

– Prince, lui répliqua le joaillier, j’ai eu l’honneur de vous faire un récit fidèle de la conversation que j’ai eue avec Ebn Thaher. Il est vrai que quand il m’a déclaré qu’il voulait se retirer à Balsora ; je ne me suis point opposé à son dessein, et que je lui ai dit qu’il était homme sage et prudent ; mais que cela ne vous empêche pas de me donner votre confiance, je suis prêt à vous rendre mes services avec toute l’ardeur imaginable. Si vous en usez autrement, cela ne m’empêchera pas de vous garder très-religieusement le secret, comme je m’y suis engagé par serment.

– Je vous ai déjà dit, reprit le prince, que je n’ajoutais pas foi aux paroles de la confidente. C’est son zèle qui lui a inspiré ce soupçon, qui n’a point de fondement, et vous devez l’excuser de même que je l’excuse. »

Ils continuèrent encore quelque temps leur conversation, et délibérèrent ensemble des moyens les plus convenables pour entretenir la correspondance du prince avec Schemselnibar. Ils demeurèrent d’accord qu’il fallait commencer par désabuser la confidente, qui était si injustement prévenue contre le joaillier. Le prince se chargea de la tirer d’erreur, la première fois qu’il la reverrait, et de la prier de s’adresser au joaillier lorsqu’elle aurait des lettres à lui apporter, ou quelque autre chose à lui apprendre de la part de sa maîtresse. En effet, ils jugèrent qu’elle ne devait point paraître si souvent chez le prince, parce qu’elle pourrait par là donner lieu de découvrir ce qu’il était si important de cacher. Enfin le joaillier se leva, et après avoir de nouveau prié le prince de Perse d’avoir une entière confiance en lui, il se retira.

La sultane Scheherazade cessa de parler en cet endroit, à cause du jour qui commençait à paraître. La nuit suivante, elle reprit le fil de sa narration, et dit au sultan des Indes :

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