L’Astronomisme ou la Cuisine nouvelle.

 

On parle beaucoup aujourd’hui d’une nouvelle école de cuisine.

Nous avons déjà depuis quelque temps le cubisme culinaine.

En effet, on vend déjà, à Paris, du bouillon cubique et du beurre eu parallépipèdes de trois milligrammes. Au Chili, les bifftecks, comprimés pour dix personnes se vendent en petits dés pesant huit milligrammes. Ce qu’il y a de plus singulier ce sont les cubes destinés à faire la soupe aux poireaux et aux pommes de terre : on les vend dans le département du Puy-de-Dôme avec les boulettes de trois grammes et quart, dont on fait la soupe aux choux. La poudre avec laquelle on prépare, en la délayant dans l’eau, avec d’excellentes tranches de saumon fumé, a beaucoup de succès en Norvège.

Nul doute qu’un grand succès irait à celui qui inventerait les cubes destinés à faciliter la cuisine des revues et des journaux.

L’opulent mècène, Mme la baronne X…, promet toujours 100,000 francs à celui qui lui apportera on comprimés les articles mensuels d’auteurs illustres qui lui font défaut quotidiennement.

Quand à la nouvelle école de cuisine dont je parle ici elle n’est point cubiste, mais elle est à l’ancien art culinaire ce que le cubisme est à l’ancienne peinture !

 

Ces nouvelles tendances se révélèrent au mois de mai 1912, lors de la rencontre qui eut lieu chez moi de deux jeunes cuisiniers bressans : MM. Joachin Gravant et Louis Pignat. Je ne vous donnerai point de détails sur cette entrevue. Qu’il me sufuse de dire que l’ami Méritarte, mort récemment et qui fut un grand inventeur culinaire, était là et que sa conversation décida les jeunes cuisiniers bressans à se vouer désormais au nouvel art.

 

On l’appela l’astronomisme en mémoire de l’astronome Lalande qui fut fameux par ses essais de bouche.

Tout le monde sait qu’il mangeait avec délices des araignées et des chenilles, dont il portait toujours sur lui une provision dans une onbonnière.

 

La cuisine astronomique est un art et non une science.

Au moment où la science essaie de supprimer la nourriture stomacale au moyen de courants électriques, il était tout naturel que des esprits cultivés tentassent de sauver le goût et instaurassent un art intérieur de la cuisine.

Cette cuisine astronomiste n’a point pour but d’apaiser la faim. Au contraire, pour goûter aux nouveaux plats, il est préférable de n’avoir point d’appétit ; aussi, l’on ne s’étonnera point en apprenant que lors du premier dîner astronomique, qui eut lieu à Lons-le-Saulnier au mois de septembre 191, il ne fut point pris d’apéritif et le détail des mets qui furent servis vous donnera une idée de ce que peut être la nouvelle cuisine.

Nul doute que cet art ne fasse de nombreux adeptes et n’étende grandement le domaine des comestibles.

 

On servit d’abord les hors-d’œuvre parmi lesquels je remarquai des violettes fraîches privées de leur tige et assaisonnées de jus de citron.

Nous eûmes ensuite le poisson, mets délectable, composé de lottes de rivière cuites dans une décoction de feuilles d’eucalyptus. La délicatesse de cette chair ne laissait rien à désirer et ce nous fut un excellent prétexte pour parler de Flaubert qui, dans Salammbô, fait jouer aux lottes un rôle aussi important que tragique.

Il s’agissait d’un dîner très modeste et non d’un banquet. Aussi ne fûmes-nous pas étonnes de voir paraître un simple faux-filet saignant dont la nouveauté consistait en ce qu’il avait été assaisonné non de sel et de poivre, mais de tabac à priser.

Nous nous récriâmes d’abord, car le condiment révélait une audace culinaire peu commune et nous paraissait dépasser les limites que l’on assigne généralement à la gastronomie.

Toutefois, la saveur qu’il communiquait à la viande fut goûtée de tout le monde et un ancien magistrat qui était présent déclara que Brillat-Savarin eût entièrement approuvé la perfection de ce que l’on appela un faux-filet Lattaignant en mémoire de l’auteur oublié de

 

J’ai du bon tabac

Dans ma tabatière.

 

C’est alors que le chef-d’œuvre apparut. Il était formé de cailles qui, soigneusement bardées, avaient été cuites dans du jus de réglisse préparé de la veille. Les bâtons de réglisse avaient été fondus à feu doux dans du bouillon de poule. Le sublime de cette préparation n’échappa à personne et nous fûmes unanimes à louer l’intelligence du cuisinier qui avait imaginé une aussi nouvelle et aussi admirable alliance de substances succulentes.

La salade qui suivit était assaisonnée à l’huile de noix et à la vieille eaux-de-vie de marc. Essayez et vous m’en direz des nouvelles.

Le fromage que l’on servit ensuite était un roblochon, délicat fromage savoyard que l’on assaisonna de noix muscade rapée et pour dessert on out des fruits de la saison.

On s’était tenu à un seul vin, le vin d’Arbois, et tout le monde s’en retourna satisfait d’avoir savouré de nouvelles jouissances gastronomiques, fort audacieuses, mais parfaitement légitimes, puisque notre palais toujours surpris ne l’avait été que le plus agréablement du monde.

 

Ces recherches culinaires me paraissaient dignes d’intérêt. Je les communiquai au public en en parlant d’abord en 1911 dans le Passant de Bruxelles et ensuite et les faisant insérer dans Fanta sio, dont le directeur M. de Forge eut d’abord l’intention de donner dans le courant de janvier 1913 un banquet de cusine astronomiste qui devait réunir l’élite de la jeunesse artistique et littéraire, mais le départ à l’étranger des cuisiniers, MM. Joachim Gravant et Louis Pignat, empêcha ce beau projet d’aboutir.

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