XVI NIAISERIES

Comme il passait des bourgeois, Kiki, les mains en poche, traînant la patte, alla leur demander si des fois ils ne savaient pas l’heure. Ils décampèrent tout de suite. Il revint en rigolant avec sa bonne gueugueule.

– Bin vrai, ce que je leur ai fichu la pepette.

– Dis donc, protesta Zonzon qui s’appelait Pépette.

Ils rirent.

C’était à la campagne, avec les quatre de l’autre jour. Il y avait tout près la sale eau jaune de la Tamise : elle était bleue. Il ne faisait pas chaud. Il ne faisait pas froid. Il faisait doux comme dans l’âme d’une petite fille. Ils s’amusaient.

Zonzon jouait aux cartes. Elle avait gagné trois sous à son homme : elle était fière.

Cette fois, ce fut Gros Jules.

– Hé, la môme.

– Ah non, fit Zonzon, pas aujourd’hui. Je ne monte plus à l’arbre, je m’amuse…

– S’agit pas d’arbre, dit Gros Jules.

– Vas-y alors, dit Zonzon.

– Je pense, fit Gros Jules, bien entendu en te comptant, que nous sommes ici cinq… cinq hommes.

– À la bonne heure, accepta Zonzon.

– Comme homme, dit Jules, tu as beaucoup de choses : tu en as même que nous n’avons pas.

– Ça m’regarde, fit Zonzon.

– Mais, continua Jules, de ces choses, il en est une que nous avons et que tu n’as pas.

Zonzon devint sérieuse.

– Dis donc, Jules, pour ce que tu veux dire, je n’y pense pas aujourd’hui : je m’amuse.

– Si, fit Jules, tu y penses puisque tu en parles. Mais moi je n’y pensais pas. C’est pas d’ça que je parle.

– Alors de quoi c’est-y ?

– Je parle, dit Jules, d’autre chose que tu n’as pas et que nous avons.

– Par exemple ?

– Par exemple, expliqua Jules, l’intelligence.

– L’intelligence ? fit Zonzon.

– Oui ; je veux dire la malice.

– Faut voir, fit Zonzon.

Jules prit les cartes en bloc. Il les tendit à Zonzon.

– Pourrais-tu, avec tes dents, mordre à travers toutes ces cartes. Zonzon prit le paquet et, du coin de la bouche, essaya comme quand on croque quelque chose dur.

– Non, fit-elle. Je me tordais la gueule. Et toi ?

– Moi, fit Jules, voici.

Il prit une carte et mordit ; il en prit une autre, puis une autre…

– T’es bête, dit-elle.

Elle choisit l’as de pique.

– Et toi, pourrais-tu, à travers cette carte, m’embrasser sur les lèvres.

Jules tourna en retourna la carte :

– Non.

– Moi bien.

Avec ses doigts, elle fit quelque chose à la carte : il vint un petit trou.

– Par là, dit-elle.

– Bravo, Zonzon !

Il rit. Tous rirent. Elle riait comme une rose.

… Il est bon d’oublier parfois qu’on est des mômes et leurs maquereaux.

Share on Twitter Share on Facebook