Mon chat ! cria Zonzon.
Quand Zonzon avait dit : « Mon chat », on savait bien lequel, mais on faisait mine de s’y méprendre :
– Oui ! oui ! Zonzon, ton chat…
Et elle rageait.
Pourtant, cette fois, on n’eût pas besoin de blaguer. Elle bouillait d’avance. Elle avertit :
– Le premier qui rigole, à cause de Gustave, je lui tords la gueule.
Qu’un chat s’appelât Gustave, c’était déjà curieux. Pour celui de Zonzon, ce l’était plus, car, à l’examiner de près, Gustave aurait pu s’appeler Augustine. Elle aimait bien son Gustave ! Elle l’avait amené d’en France. Sur le bateau, à cause des gabelous, elle avait dû le cacher sous sa jupe. Même qu’aux premiers mois, elle avait pu montrer, où les cuisses se touchent, cinq marques très rouges que Gustave n’y avait certainement pas mises avec sa langue.
Alors ce qui l’enrageait, c’est que tantôt, en rentrant, Gustave qu’elle avait laissé en édredon au pied du lit, ni au pied du lit, ni en dessous, ni nulle part, elle n’avait plus retrouvé son Gustave.
François était son homme. Il n’était pas là. Mais il y avait Valère qui l’aimait toujours bien. Il dit :
– Alors, Zonzon, ton chat, c’est-y qu’il a filé ?
– Non, fit Zonzon.
– Alors c’est-y qu’il a sauté par la fenêtre ?
– Non, fit Zonzon.
– Alors c’est-y qu’il s’a faufilé entre tes jambes ?
– Non, fit Zonzon.
– Alors ?…
– Alors, déclara Zonzon, celui qui me l’a pris, je l’emmerderai dans la gueule.
Puis elle partit.
Croire qu’à travers une porte, on vous prend un Gustave, ce sont des lubies de Zonzon ! Et pourtant, oui. Le lendemain, en rentrant, elle retrouva son Gustave, cloué sur la porte, ou plutôt ce n’était plus Gustave : ce n’était que sa peau, avec les quatre pattes et la tête qu’on avait laissées après.
François son homme l’accompagnait ; ce qu’elle pensa, il n’en aurait rien pu voir. Il crut :
– Zut ! ce qu’elle va en faire des histoires !
Et pas du tout. Elle ne sacra même pas. Elle décrocha le peau, la retourna, regarda comment qu’on avait fait. Elle dit :
– Pas malin, c’est de la sale ouvrage.
Le soir, quand elle revint au Cercle, on vit, tout de suite, que si elle n’avait pas oublié son Gustave, du moins, elle s’en fichait. Elle devait avoir bu pas mal de gin. Elle était rouge. Elle se tenait mal d’aplomb. Elle commença :
– Dites donc, mon chat…
François n’avait rien dit. Ils rigolèrent, comme elle :
– Oui, oui, Zonzon ! Ton chat ! C’est-y que tu l’as retrouvé, ton chat ?
Elle rit plus fort :
– Non, que j’vous dis. Et vous ne savez pas ce qu’on a fait de mon chat ?
Et eux, pour continuer la blague :
– Si, si, Zonzon ; on sait bien ce que l’on peut faire à ton chat.
Elle se tordit :
– Et c’est-y que vous voulez voir mon chat ?
Et eux, encore plus fort :
– Oui, oui, Zonzon, oui, oui.
Ils crurent vraiment qu’elle allait. Elle se troussa, attrapa quelque chose et vlan ! avec sa tête et ses pattes leur lança la peau de son chat.
Mince de fourrure ! Ce n’était pas celle qu’ils attendaient. Elle dut s’asseoir tant elle riait. Elle dit :
– C’est pas un de vous qui arrangerait si mal mon pauvre chat ?
Ils éclatèrent encore :
– Oh ! non, Zonzon, oh non !
– Non !
Elle fit, tout à coup, celle qui devient sérieuse. Elle les regarda l’un après l’autre : Valère, Louis, D’Artagnan… à leur brûler les yeux.
Puis elle pouffa.
Ce qui survint par la suite n’eut avec la mort de Gustave aucun rapport. Il se passa bien des choses. De François, elle eut le temps d’en revenir à Valère, le quitta, lui revint. Elle vécut ses huit jours chez le lord, Kiki mourut.
Un samedi soir, à la rue, son homme lui dit :
– Tu sais, pour ce que nous ferons cette nuit, pas la peine : nous irons sans toi.
Elle savait quoi. Elle dit :
– Tant mieux.
Et Valère, en s’éloignant, eut le temps de la voir qui aguichait son premier type.
Pour les hommes, l’affaire était simple : quelques broches, un peu d’argent, une vieille qu’il ne fallut même pas étourdir, puisqu’elle s’évanouit toute seule.
Ils étaient trois : Valère, l’Allumette, D’Artagnan qui, pour cette fois, avait tenu parole. Les paquets à la rue, Valère et l’Allumette attendaient quand ils s’avisèrent que D’Artagnan tardait bien à sortir. Ils rentrèrent et, dans le vestibule, ils le trouvèrent, le nez sur les dalles, plus évanoui, s’il se peut, que la vieille. Il soufflait comme un cochon. Ils l’emportèrent, comme ils purent. Ce ne fut que plus loin qu’ils lui découvrirent, entre les côtes, un trou, juste assez près du cœur pour dire qu’on l’avait raté.
Que s’était-il passé ? Ils n’avaient rien vu, D’Artagnan non plus. Il s’en expliqua un peu : au moment de sortir, quelqu’un l’avait tiré par les jambes, couché par terre, frappé par tout le corps, puis piqué, sous les côtes, avec quelque chose de dur. Ce ne pouvait être la vieille. Alors qui ?
D’Artagnan chez lui, Valère et l’Allumette revinrent au Cercle en parler aux amis. Zonzon les attendait. Elle était contente ; elle venait de finir son quatrième type, ce qui, pour une soirée, n’était pas mal.
Ils dirent :
– Ce n’est pas tout ça, Zonzon. Figure-toi…
Ils racontèrent leur histoire. Elle écouta. Mais elle n’aimait guère D’Artagnan ; peut-être pensait-elle à des propres affaires. Elle répondit ce qu’on répond :
– C’est le chat…