C’est des histoires dont on ne se vante pas devant tout le monde. On les garde pour soi les jours qu’on se dit :
– Ce que tu fais là Valère, c’est mal.
Et qu’on se répond :
– Eh bin quoi ? C’est pas d’ma faute…
Celle qu’à cette époque aimait Valère, peut-être bien qu’elle avait des cheveux dont on pense : « C’est de la soie » ; des yeux, qu’on aurait dit le ciel ; une bouche à piquer cette rose dans un verre. Il ne l’aimait pas pour cela : elle avait un grand front et puis, elle écrivait des livres.
En ce temps Valère était jeune ; il lisait des livres. Il avait des cheveux – roux, oui, – mais en ordre ; un col bien net et l’âme de quand on est le neveu de son oncle et qu’un jour, comme ce brave homme d’oncle, on étudiera pour devenir prêtre. Prêtre ! Ne rigolez pas ! On croit en quelque chose qu’on ne voit pas, on appelle ça : Dieu ! On bouffe une hostie ; on goûte : « C’est du machin… de la pâte, quoi ? et l’on se monte le coup : Pas de la pâte… Dieu ! » Valère aimait se monter le coup. Alors ce front… ces livres !… il s’était monté le coup.
Comment aiment les autres, il ne savait pas. Lui, ce n’était certainement pas comme les autres. Il ignorait qu’une femme, ce fût de la viande autour d’un sexe. Le front, c’est par là que l’on pense : le jour il rêvait de ce front ; la nuit il rêvait de ce front ; quand il voyait une chose, que cette chose était belle, il aurait voulu savoir ce qui, devant cette belle chose, se fût passé sous ce front…
Dans les livres qu’elle écrivait, il se trouvait beaucoup de belles phrases. Une surtout, où elle disait : « le splendide idéal. » Lui aussi, il aimait le splendide idéal. Alors il eût été bon qu’elle le sût, qu’elle lui permit, un jour, de venir, qu’ensemble ils eussent parlé de ce splendide idéal.
Il expliquait cela dans ses lettres, et encore que plus tard sans doute il deviendrait un prêtre, que puisqu’elle était une dame il ne pouvait pas l’appeler Dieu, mais qu’il l’appelait sa Madone, qu’il voulait vivre comme un moine qui vit pour sa Madone.
Elle répondait :
– Non.
Elle prétextait :
– Ce n’est pas possible… Monsieur.
Ou bien :
– Je suis une honnête femme…
La question n’était pas là. Et plus elle s’obstinait : « non », plus il s’entêtait : « oui », plus son front semblait grand, plus, tout entière, elle devenait la Madone. Cela dura un an. À la longue, un jour, elle répondit, mais avec plus de mots :
– Je vous attends ce soir !
Dieu ! Comme il faisait beau chez cette femme ! Ce n’était pas comme chez une de ses tantes où cela sentait toujours un peu la lessive. Ce n’était pas non plus, comme maintenant, chez Zonzon ou les autres. Il voyait de beaux tableaux, de belles sculptures, des meubles vraiment comme on n’en pouvait trouver que chez une femme à grand front.
Elle était assise. Elle portait un peignoir, mais pas comme ils sont. Le sien était en velours avec des galons d’or et drapé lourd : on aurait dit, sur le corps d’une Madone.
Elle se laissa contempler. Puis elle dit :
– Vous êtes si loin, venez…
Il vint. Il vint très près, puis un peu moins, parce qu’il craignait de la toucher.
Elle demanda :
– Je vous fais peur ? il ne faut pas…
Il répondit :
– Maintenant que je suis ici, je voudrais vous entendre prononcer votre phrase.
Elle savait quelle phrase. Elle ferma les yeux. Elle eut son front comme un casque.
Elle prononça la phrase.
Il fit :
– Oh ! c’est beau.
Elle parut contente. Elle sourit :
– Alors, embrassez la bouche qui a prononcé la belle phrase.
Il aurait préféré le front.
Il se mit à genoux ; il avança les lèvres. Ce qu’il allait toucher, ce n’était pas une bouche, c’était comme l’hostie dont on pense :
– Pas de la pâte… c’est Dieu !
Et voici : quand il eut touché les lèvres, il sentit qu’en dessous, il y avait de la dent ; que derrière ces dents, il y avait de la langue ; qu’avec cette langue elle farfouillait, après la sienne jusqu’au fond de la gorge. Dieu ? Ah bin oui ! Une femelle que ça amuse de débaucher un gosse.
Il fut comme on est tous ; il eut envie de sa chair ; il dut chercher ; cela dura : elle avait plein de dentelles et d’élastiques, sans doute exprès. Il sut ainsi en fin de compte, lorsqu’on y met les doigts, le splendide Idéal, le peu que c’est…