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MONSIEUR UN TEL

Un homme très aimable, et connu dans la société, s’est trouvé, à quarante ans, presque sans fortune. On le voit toujours bien mis, recherché, galant ; c’est enfin Monsieur Un Tel. Il a su conquérir un très bel état ; et voici comme :

Vous, père de famille, riche et ayant maison de campagne, vous avez une fille à marier ; il vous propose un gendre. Ce gendre est un charmant jeune homme, qui a une belle place, une honorable famille, un nom.

Monsieur Un Tel vient dîner cinq ou six fois pour causer avec vous, il passe les soirées, gagne au jeu, établit le compte de votre fortune, s’enquiert de la dot.

On consulte Mlle Paméla. Paméla ne demande pas mieux. Elle aime singulièrement ce bon Monsieur Un Tel, qui s’occupe ainsi de marier les jeunes personnes.

En effet, rien n’est plus sérieux, et l’entrevue a lieu au spectacle : vous trouvez le jeune homme on ne peut mieux (phrase consacrée). Monsieur Un Tel est enchanté : il vous amènera même le jeune homme : il tient tout ce qu’il a promis. Le mariage marche : les renseignements se prennent : Paméla s’engoue et le jeune homme vient souvent avec son ami Monsieur Un Tel à la campagne du futur beau-père.

Après un certain temps déterminé par Monsieur Un Tel, le jeune homme est forcé d’épouser une jeune personne très riche, laide, qu’il n’aime pas. Monsieur Un Tel est désespéré ; le prétendu est violenté par son père, et alors déclamations contre la tyrannie des parents : mais il a encore quelqu’un en vue.

Nous ne connaissons personne qui n’ait été dupe de Monsieur Un Tel ; nous seuls avons deviné ce petit commerce de dîners d’amitié, de parties d’écarté lucratives. Cette profession est cachée sous les formes les plus agréables, sous l’amabilité la plus séduisante ; et Monsieur Un Tel est réellement un homme aimable.

Monsieur Un Tel n’a plus à payer que son loyer, son bottier, son tailleur, et encore… il a tant d’ordre !

Il lui est arrivé de négocier plusieurs fois de bons mariages ; et alors avec quel soin il l’a proclamé ; il vante ces ménages-là comme les plus heureux : c’est un de capo de conversation : il y revient sans cesse.

Monsieur Un Tel est aimé et estimé ; il nous en voudra peut-être, mais nous ne l’avons pas nommé ; c’est de la générosité.

Ceci s’applique aussi à Madame Une Telle.

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