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ANECDOTE

Nous avons connu un honnête homme, que nous offrirons comme un modèle, un type véritable de l’homme prudent.

Il s’était habilement cuirassé contre toutes les attaques que les fripons, les gouvernements, les gens comme il faut, la société, pouvaient faire à sa bourse.

D’abord il résolut de mourir garçon. Il est mort !… et nous l’avons suivi, lui dans le char des pauvres, et par-dessus lui un drap blanc. Il n’était cependant pas mort vierge. Oh ! non.

Toute sa fortune était placée en viager par de belles et bonnes hypothèques. Il avait réussi à amasser ainsi cent soixante mille livres de rente viagère.

Il ne payait donc pas d’impôts fonciers, ni d’emprunts forcés, ni de réquisitions de guerre, subventions, contributions, etc.

Il avait fait assurer sa vie.

Il logeait dans le plus bel hôtel garni de Paris, et occupait un appartement magnifiquement meublé.

Il ne payait donc jamais d’impôts mobilier, personnel, etc., était exempt de la garde nationale et du logement des troupes.

Il n’avait pas de domestiques.

Il s’était arrangé chez un loueur de carrosses pour avoir toujours à ses ordres une voiture et un laquais.

Il faisait les meilleurs repas en ville, et n’était pas tenu de les rendre, en sa qualité de garçon.

Il dînait chez les plus célèbres restaurateurs, ergo n’avait pas de parasites.

S’il eut des enfants, il n’en fut jamais embarrassé, non plus que de leurs mères, et ne se releva jamais la nuit pour les soigner.

Il atteignit cette terre qui pèse tant sur notre poitrine, sans avoir dépensé un sou autrement que pour son plaisir : il pouvait se comparer au justum et tenacem d’Horace.

Il eut toute sa vie une liberté illimitée, ne sentit aucun frein, aucune chaîne, et vécut heureux comme on doit l’être lorsqu’on jouit de tous les bénéfices de la société, sans supporter une seule de ses charges.

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