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Un matin, un peintre et un menuisier avaient travaillé à l’envi l’un de l’autre, pour placer une énorme enseigne au-dessus d’une porte cochère dans un faubourg ; on lisait, en lettres d’un pied de hauteur sur six pouces de large : Dépôt des velours de Nerville.

Au premier étage, la maison Bonnet et compagnie avait un appartement superbe, des bureaux, une caisse, un magasin, puis le petit écriteau noir : Fermez la porte, s’il vous plaît.

Le caissier était entouré de livres et d’un grillage décoré d’un taffetas vert ; enfin tout était en règle, et le dépôt des velours de Nerville pouvait défier tous les banquiers de Paris sur les accessoires d’une maison de commerce.

À deux pas de la maison, un honorable épicier débitait tranquillement le sucre et le café qui se consommaient dans tout le quartier ; il était riche et beau-frère d’un célèbre tailleur du Palais-Royal.

L’épicier voyait aller et venir le chef du dépôt des velours dans un superbe cabriolet, et les garçons chaque matin apportaient ou emportaient des sacs d’argent.

Un jeune commis de la maison allait tous les matins déjeuner à un café qui se trouvait en face de l’épicier : ce dernier, excité par la curiosité le questionna sur la maison de commerce. Le jeune homme résiste et lui confie enfin que cette maison fait fabriquer des velours de soie à soixante quinze pour cent au-dessous des cours ; et, qu’en les vendant moitié moins cher, elle gagne cent pour cent.

L’épicier accourt chez son beau-frère, lui raconte tout ce qu’il sait et tout ce qu’il ne sait pas sur la maison de commerce, et lui parle du velours.

Le tailleur arrive en cabriolet et se heurte presque avec le cabriolet du chef des velours. Ils montent ensemble. Le tailleur explique l’objet de sa visite. On lui demande son nom parce que ces Messieurs ne traitent qu’au comptant et avec des maisons en gros, etc. On débat le prix des velours : bref, on refuse de lui en vendre. Le tailleur s’emporte, il en veut à toute force, fait voir son portefeuille garni de billets de banque. On se radoucit. Le chef dit négligemment : « Faites voir du velours à Monsieur. » Et le chef passe à la caisse.

Le tailleur trouve le velours superbe, en examine soigneusement une pièce entière, en prend pour dix mille francs, passe à la caisse, reçoit une facture acquittée, et l’on descend devant lui dans la cour les pièces de velours.

Il retourne chez lui et sur-le-champ fait disposer une place dans son magasin.

Le velours ne se fit pas attendre ; les commissionnaires le portent au magasin et s’en vont.

Qui diable apercevrait là une escroquerie ? Qui, à l’aspect des bureaux, des commis, du vénérable caissier, du cabriolet, de l’épicier, du chef de maison, de cette bonne foi apparente, se douterait d’un piège ? Et où est-il ?

Que de circonstances habilement réunies ! Que de conjectures vraies ! Que de recherches ! C’est, ce qu’on peut appeler, la haute diplomatie du vol.

Sept ou huit jours après, le tailleur envoya l’un de ses garçons chercher une pièce de ce fameux velours ; car déjà sur les vitres on avait affiché : « Velours à quinze francs l’aune. » Bientôt le garçon vient lui demander où est le velours !… Il monte et voit qu’il n’a emmagasiné que des pièces de serge bordées de velours.

Qu’on vienne dire maintenant que l’industrie n’a pas fait de progrès depuis vingt ans.

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