Titre deuxième Escroqueries

L’escroquerie emporte avec elle l’idée d’une certaine finesse, d’un esprit subtil, d’un caractère adroit. Là, il faut inventer un plan, des ressorts. Elle intéresse presque.

Les escrocs sont les gens comme il faut de la petite volerie ; ils ne sont pas repoussants à voir ; ils revêtent le costume de l’honnête homme, ont des mœurs, un langage épuré ; ils s’introduisent dans les maisons sous toutes les formes, hantent les cafés, ont un appartement et se servent rarement de leurs dix doigts autrement que pour signer. Il y en a qui se retirent et deviennent honnêtes gens quand ils sont riches.

Un homme de bon sens frémira des dangers qu’il court à Paris. On a calculé qu’il existait sur le pavé du roi vingt mille individus environ qui, le matin, en se levant, ignorent où et comment ils dîneront. Cela n’est rien : il faut songer qu’ils dînent et dînent bien.

La classe des escrocs est nombreuse comme on voit, et présente des singularités curieuses.

À proprement parler, cet homme comme il faut de la petite volerie naît et meurt toutes les vingt-quatre heures. Il ressemble à ces insectes du fleuve Hypanis dont parle Aristote. Le problème est résolu pour lui s’il a mangé quand le soleil se couche.

La garnison de Paris est ordinairement de vingt mille hommes : c’est un rapprochement original que ces vingt mille industriels dressant tous les matins vingt mille pièges contre leurs compatriotes qui n’ont que vingt mille soldats pour s’en garantir.

On a prétendu qu’il y avait, par le fait du suicide, une espèce de caisse d’amortissement de ces vingt mille industriels, et que la Seine absorbait annuellement, selon son cours plus ou moins favorable, une certaine quantité de ces vingt mille hommes comme il faut, formant la masse flottante d’une véritable dette sociale.

Il est vrai que le nombre des suicides s’élève à deux cent soixante ou trois cents, bon an mal an ; mais il est de notre devoir de prévenir les honnêtes gens et les administrateurs qui dormiraient sur un pareil calcul, de la fausseté de cette assertion.

Il est de principe qu’un industriel ne meurt jamais dans l’eau ; et quand cela serait, le nombre des surnuméraires qui attendent est plus considérable que celui des industriels qui prennent ainsi leur retraite : d’ailleurs on a reconnu à quelles classes appartenaient les suicides, et la statistique de leur malheur a été dressée : ainsi les vingt mille pièges n’en subsistent pas moins tous les matins.

Un homme comme il faut de la petite volerie a toujours une quarantaine d’années, parce que ce Figaro des voleurs a dû nécessairement passer par bien des filières avant d’arriver à cette profession dangereuse.

Il a une certaine connaissance des usages du monde, doit bien parler, avoir de bonnes manières et de la conscience.

La chaussure est de sa toilette ce qui se fatigue le plus ; et un homme observateur remarquera toujours l’état de la chaussure de ceux avec lesquels il se trouve. Cet indice est sûr. Un fripon n’est jamais bien chaussé, il court trop. Il y en a qui, semblables à Charles XII, restent cinquante jours bottés.

Pour bien examiner ce Gilblas, saisissons-le dans son jour le plus brillant. Voyez-vous, dans ce salon, un homme à moustaches, à favoris épais, bien habillé ? On conjecture qu’il pourrait donner, à 20 francs le cachet, des leçons de mise de cravate, tant la sienne est lisse et blanche et bien nouée. Il porte des éperons : n’est-il pas chevalier ?

Il reste à poste fixe à table d’écarté : il parie, en attendant son tour d’entrée. Rien sur sa physionomie n’indique l’amour de l’or et la pénurie de sa bourse. Il parle avec aisance, plaisante, sourit à ces dames ; mais s’il vient un coup à décider, l’homme de paix, comme dit Sir W. Scott, est intraitable ; il applique la règle de l’académie avec rigueur. Saisissez-le bien sous toutes ses faces ? Il a un œil perçant, les mains lourdes en apparence, il est bien tourné, prend des attitudes, se penche et parle même de Rossini, de la tragédie nouvelle, etc.

Il a pendant quinze jours son cabriolet ; il le quitte, le reprend, selon les caprices de la fortune. Il est le protecteur de l’honneur des dames : il n’y a plus que ces descendants des anciens preux qui prennent la défense des belles, et soient prêts à tirer l’épée si quelqu’un ne rend pas justice à leurs attraits.

S’il joue, il relève ses manches et bat les cartes avec un fini, une prescience qui séduisent ; il regarde son associé qui, perdu dans la foule des adversaires, parie contre lui, et d’un signe lui dévoile le jeu de l’ennemi.

Il existe à Paris un modèle de ces Philibert cadets. Il est trop connu pour que nous le dépeignions. C’est le grand homme, le Catilina du genre.

On sait qu’il dépense cent mille francs par an, et n’a pas un sou de rente. Il a maintenant cinquante ans ; il reste vigoureux et frais comme un jeune homme. Il donne le ton encore pour les modes. Personne ne mène plus lestement un cabriolet, ne monte aussi bien à cheval, ne sait mieux prendre le ton crapuleux d’une orgie pleine d’esprit, ou les grâces françaises de l’ancienne cour.

Soutenu par un fameux diplomate, soutenu par le jeu, soutenu par l’amour et reçu incognito dans le monde, on pense que cet Alcibiade des fripons doit son illustration aux services tacites de tous les genres qu’il a rendus à un homme d’État célèbre. Aussi les coquins de la capitale le citent-ils avec orgueil ! C’est un de leurs grands hommes. Comment finira-t-il ? Voilà la question car on n’a pas encore eu l’esprit de faire des fonds de retraite pour ces messieurs.

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