Titre troisième Vol avec effraction

Les voleurs avec effraction sont, parmi les petits voleurs, regardés avec un certain respect. Si les voleurs simples sont les bacheliers de cette faculté, et les escrocs les licenciés, ceux-ci doivent être les docteurs, les professeurs émérites.

Ils ont parcouru tous les grades, possèdent toutes les sciences ; et, opérant in utroque jure, tout est de leur domaine.

Ce sont eux qui disent avec un sourire de mépris, en passant devant la police correctionnelle, lorsqu’on amène des prévenus : « Ce sont des petits voleurs ! »

C’était un voleur avec effraction, celui qui, pendu pour un vol de cent mille écus, dit à son confrère condamné pour un vol de ferraille : « Sont-ce là des clous !… » Il avait un sentiment profond de sa supériorité, et le mépris de ce professeur fut peut-être plus cruel pour son collègue que la corde.

Si l’on peut comparer les divers personnages de ce livre à ceux d’un mélodrame, le voleur effractionnaire sera le brigand sans foi ni loi, qui ne craint ni Dieu ni diable, portant de longues moustaches, ayant les bras nus, les yeux rouges et demandant où il faut travailler.

L’escroc sera le brigand à dehors honnêtes ; et les voleurs simples, les niais.

Il serait difficile de donner un portrait exact du voleur effractionnaire. Il sort presque toujours des derniers rangs de la société, et, ses crimes étant proportionnés à ses besoins, l’humanité frémit de voir un malheureux consommer un vol qui l’emmènera dix ans au bagne dans le seul but de prendre une douzaine de cuillères ou une centaine de louis.

Le héros des voleurs effractionnaires fut celui qui, condamné à cent ans de galères, revint tout récemment à cent vingt et un ans dans son pays.

Il ne reconnut Bourg, sa patrie, dans le département de l’Ain, qu’à l’église de Brou : il accourait avec délices respirer l’air natal.

Il avait triomphé des lois, des fers, des hommes, du temps, de tout.

C’était un voleur privilégié de la nature.

Il ne retrouva ni parents, ni amis : ce fut un nouvel Épiménide.

Tout étonné de marcher en liberté, il allait recueillant les hommages dus à ses cheveux blancs et ne se souvenait plus de son crime que comme d’un songe perdu dans ceux de son enfance.

Il trouva sa postérité morte ; et lui, criminel, était encore debout sur la terre pour être une preuve vivante de la clémence humaine et divine.

Il regretta peut-être ses fers, dut se plaindre de n’avoir pas sa chaîne. Ce patriarche des voleurs, leur portrait idéal, leur gloire, vit encore ; on va consulter son expérience centenaire ; on le visite comme un monument ; c’est un pèlerinage sacré comme celui de La Mecque ; et chaque effractionnaire se souhaite une vie aussi pleine ; il espère triompher comme le doyen des galères et des hommes.

M. de Jouy a, dans les Ermites en Prison, assez agréablement conté l’histoire d’un effractionnaire, le doyen des voleurs de Paris : il est très connu, a été honnête homme et fripon tour à tour. C’est lui qui a légué ce mémorable précepte : « Ne vous amusez jamais à des écus de six francs quand vous forcez un secrétaire. »

Il est difficile de se prémunir contre les vols consommés à l’aide de l’effraction.

La loi qui y attache des peines plus graves est juste. Cette loi s’est dit en elle-même : « Le citoyen a pris toutes ses mesures ; il dort tranquille sur la foi de sa clef pendue avec ses breloques ; il croit aux bonnes mœurs et à l’inviolabilité des serrures ; et si, pendant qu’il repose en paix, un scélérat brise les portes, les volets, les secrétaires, emporte tout, cet abus de confiance est plus épouvantable que le vol qui, s’offrant de lui-même présente, pour ainsi dire, les cheveux de l’occasion à l’homme indigent. »

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