2 Des agents d’affaires

Paris est rempli de ces honnêtes gens qui font leurs affaires en gérant celles d’autrui. Le négociant qui a fait banqueroute, l’avocat sans cause, le commis réformé, se transforment en agents d’affaires, proprio motu, comme dit le Pape.

Sans nous arrêter à ces pauvres hères qui courent les bureaux et sollicitent par procuration, examinons l’agent d’affaires le plus renommé de Paris, voyons quelle est son industrie.

C’est un homme d’une quarantaine d’années. Il a l’air aimable, ouvert, ses manières distinguées témoignent qu’il a vu le grand monde. Sa toilette est soignée, son cabriolet sort des ateliers de Robert, son cheval a été acheté chez Drake, c’est enfin un homme comme il faut.

Il se lève à dix heures, déjeune au café de Paris, rend visite à deux ou trois chefs de division, avec lesquels il a des relations d’affaires et d’amitié. (Cela veut dire, auxquels il témoigne, argent comptant, sa reconnaissance). Il court chez quelques créanciers de l’État dont la dette a été liquidée la veille (les bureaux ne les ont pas encore prévenus). Votre affaire s’embrouille en diable. Vous pourriez bien tout perdre. Le ministre veut rejeter toutes les créances à l’arriéré. « Allons ! tenez, le tout pour le tout : j’offre vingt-cinq pour cent de la créance. » Refus. Il offre trente, quarante, cinquante. On signe. Il a les pièces. Il court à la caisse toucher la somme entière. Son industrie lui rapporte cinquante pour cent.

Un brave provincial sollicite la liquidation de sa pension ; un autre demande une décoration, une place. On réclame les bienveillants secours de Monsieur l’agent d’affaires, il met les pièces à la poste, et les adresse au ministère. Six mois après, par grand hasard, tout est accordé. Monsieur l’agent d’affaires s’empresse d’avertir ses commettants. Il vante ses démarches, exalte ses soins, demande une somme énorme pour ses frais, son temps, ses déboursés. Là, son industrie rapporte cent pour cent.

Un intrigant veut obtenir une fourniture. L’agent d’affaires se met en campagne. Il voit le secrétaire, il fait un cadeau à la maîtresse de Monseigneur, parvient dans le cabinet, et traite directement l’affaire avec Son Excellence. Ici, on ne peut spécifier le rapport de l’industrie.

Il y a des agents d’affaires de toutes les espèces : comme les reptiles, il faudrait les classer par familles et les décrire soigneusement, depuis celui qui ruine la veuve, sous prétexte de lui faire obtenir une pension, jusqu’à celui qui escompte à douze pour cent des billets qu’il passe à quatre à la banque ; mais alors il faudrait faire un livre, et nous n’avons à dépenser que l’espace d’un paragraphe ; résumons-nous donc :

Sur vingt agents d’affaires, il y a dix-neuf fripons au moins.

Donc, il faut faire ses affaires soi-même, et ne pas se jeter avec préméditation dans un guêpier.

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