3 Des monts-de-piété

La belle chose que la théorie. Comme sur le papier, comme dans les discours d’un philanthrope économiste, le mont-de-piété joue un beau rôle !

Institution utile et secourable, il offre au négociant embarrassé dans ses affaires, au marchand obligé de réaliser des fonds dans un court délai, une ressource toujours prête. Le malheureux y trouve un secours nécessaire : ses enfants lui demandent du pain, aussitôt le mont-de-piété lui prête de l’argent, en échange de quelque objet inutile ; et puis, que d’avantages réels ! On retire son dépôt dès qu’on le veut ; le mont-de-piété prête à un intérêt très modique ; on est inconnu du prêteur, on n’a jamais à rougir de la démarche que l’on fait ; jamais on n’est exposé à un refus : la caisse du mont-de-piété enfin est pour la France entière la bourse d’un ami.

Tout cela est beau, très beau ; malheureusement, lorsqu’on en vient à l’application, tout est changé.

Le mont-de-piété prête, il est vrai, à un intérêt assez modique ; mais d’abord il ne prête qu’une somme égale à la moitié de la valeur de l’objet déposé, l’intérêt se trouve donc par le fait accru.

À l’intérêt réel il faut d’ailleurs ajouter un droit d’entrée, un droit de sortie, un droit de commission, un droit de dégagement ; en somme le mont-de-piété prête à vingt-cinq ou trente pour cent.

Le mont-de-piété, en outre, assigne un délai fatal passé lequel, l’objet déposé est vendu aux enchères. Dans ses ventes, le dépôt sur lequel il a été prêté la moitié de sa valeur intrinsèque, se vend un prix assez élevé. Cependant l’administration, qui s’est engagée à tenir compte au propriétaire de l’excédent de la vente sur le prêt et les intérêts, ne restitue jamais rien. En effet, les frais du mont-de-piété, joints à ceux de la vente, excèdent un intérêt de cinquante pour cent.

Et c’est cette immorale institution, ce trafic infâme, ce brigandage horrible en ce qu’il pèse sur la classe laborieuse et pauvre, qui trouvent des défenseurs et des appuis. On prétend que le mont-de-piété empêche les malheureux d’avoir recours aux prêteurs sur gages. Il les y engage, au contraire, car ces prêteurs sur gages leur prêtent à douze pour cent ; ainsi des usuriers que la loi frappe et flétrit, sont moins voleurs que le mont-de-piété qu’elle institue et protège.

De ces considérations, tirons cette règle générale :

Dans toute espèce de circonstance, il vaut mieux vendre que déposer au mont-de-piété.

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