III La maison des plaines

Le lendemain, qui était un mercredi, Davidée surveillait la rentrée des élèves qui arrivaient par petits pelotons, espacés, et qu’on ne pouvait apercevoir de la cour avant que les enfants n’eussent déjà franchi la porte. Elles venaient de la droite ou de la gauche, à l’abri des murs ; leurs sabots ne claquaient pas toujours, car la terre était molle, de toute la nuit de pluie et de brume. Le plus souvent, dans l’entaille claire entre les piliers, on apercevait d’abord le bout d’une jambe mince projetée en avant par la marche, un genou, puis toute la petite fille, qui tournait au plus près, entrait, et d’un seul coup d’œil en demi-cercle, avant d’avoir fait trois pas, avait déjà inspecté la cour, reconnu les compagnes, la maîtresse de service, et la place par où il fallait se faufiler, pour gagner le préau couvert, ou pour retrouver la meilleure amie. Quelques-unes, apercevant mademoiselle Davidée, accouraient, le visage épanoui, les yeux flambants d’amour innocent, la bouche déjà gonflée pour le baiser : « Bonjour, mam’selle ! » Aussitôt le baiser donné, elles étaient comme des oiseaux qui ont replié les ailes : doucement, avec des demi-tours de tête, à droite, à gauche, guettant ce qu’on allait penser, elles s’en allaient se mêler aux groupes. D’autres passaient, avec une révérence qui ne pliait qu’un seul genou ; d’autres, dans la hâte du jeu et du caquet à reprendre, ne voyaient pas la maîtresse ; d’autres la voyaient, et, sournoises, les yeux baissés ou détournés, héritières de l’esprit de révolte, longeaient la muraille, ramassaient une balle, ou faisaient semblant de rire à quelqu’un de lointain, puis, dès qu’elles n’étaient plus sous le regard direct de la surveillante, prenaient un air satisfait et impertinent. Toutes, elles jouaient inconsciemment le jeu de leur sexe, de leur famille, de leur temps, de leurs passions déjà nées et tenaces.

Davidée, immobile, les pieds dans le sable trempé, une mantille de laine blanche sur les cheveux, guettait, non pas une enfant, mais une femme. Son cœur battait, à chaque nouvelle silhouette qui surgissait à l’angle de la muraille. « Comment n’est-elle pas encore arrivée ? elle n’est pas souvent en retard ! Le feu ne sera pas allumé. Cette femme néglige son service et ce n’est pas étonnant ! » Elle disait mentalement « cette femme » avec un accent de mépris, avec irritation. Elle essayait de préparer son visage, de le commander par avance, afin que l’accueil fût ce qu’il devait être : digne, non offensant. Des images lui venaient, qu’elle chassait. Et dans cette lutte contre elle-même, elle s’énervait. Les enfants, en arrière, sabotaient, se poursuivaient, ou attendaient l’heure, mornes, appuyées aux poteaux du hangar, lasses d’une usure transmise.

– Anna Le Floch ! La voilà ! La voilà !

Des cris d’étonnement, des cris de joie, une course vers la porte. Elles furent, en un moment, vingt petites autour d’une enfant que le bruit et le mouvement faisaient encore pâlir, et qui ne répondait que par un sourire obligé, douloureux, effarouché. Anna Le Floch aux cheveux déteints et cordés, Anna Le Floch aux yeux verts sauvages, Anna Le Floch vêtue de la robe de laine grise qui tombait toute plate sur la poitrine et sur les hanches comme une robe d’enfant de chœur, laissait pendre ses mains que les compagnes prenaient et lâchaient tour à tour, et qui ne répondaient pas. Elle s’appuyait toute, en arrière, sur sa mère, la grande Phrosine, qui la tenait par les épaules, et, doucement, la poussait et la faisait avancer :

– Va, petite, tu vois, elles sont contentes. N’aie pas peur… Laissez-la, vous !… Elle est faible encore. Va, petite, va !

Cette Phrosine était mère.

– Bonjour, mademoiselle, je suis bien en retard. Elle a voulu venir… Vous n’êtes pas contente ? Dame ! j’ai pas de voiture pour l’amener !

Davidée n’avait répondu que d’un signe de tête. Et c’est pourquoi Phrosine, subitement, avait pris cet air et ce ton de révoltée. C’est pourquoi elle avait poussé sa fille, rudement, dans les bras de la maîtresse, et crié : « J’ai pas de voiture pour l’amener ! » Puis elle s’était mise à marcher, très vite, vers les classes.

Les enfants éprouvaient de la pitié pour Anna Le Floch. Mais la plupart n’auraient su la témoigner qu’en embrassant cette compagne qui n’avait pas joué de tout l’hiver. Une ou deux se haussèrent jusqu’à ses joues plates, d’une pâleur égale, et y mirent un baiser. Les autres s’écartèrent parce que « Mademoiselle » avait entouré de son bras droit la taille d’Anna, et qu’elle se penchait, et se dirigeait à petits pas vers la classe, en disant des mots qui devaient plaindre et qu’on n’entendait pas. Anna, les yeux durs, les yeux noyés dans l’ombre de son mal, regardait devant elle, sans voir, et ne répondait pas. La fumée commença de sortir par le tuyau de tôle qui perçait la fenêtre de la classe et que maintenaient deux fils de fer.

Quand Phrosine sortit, huit heures et demie étant sonnées depuis deux minutes, les enfants étaient en deux rangs, devant la porte. Elle chercha la maîtresse, et, comme le soleil éclairait déjà la moitié de la cour, elle mit la main en travers, les doigts joints, au-dessous de ses cheveux relevés en casque, et elle descendit, tandis que les écolières s’écartaient et levaient haut la tête, pour regarder ces cheveux ardents comme une châtaigne de septembre, et ce visage maternel, grave et hardi, qui devenait incroyablement doux quand elle disait bonjour, du coin de l’œil, à des amies de son enfant, et qui devint pareil à la figure de la Mater Dolorosa, quand elle aperçut, entre deux petites bien portantes, sa fille elle-même, la pâle Anna Le Floch. Elle n’eut pas l’habileté de feindre ; elle continua de marcher ; elle resta douloureuse jusqu’à la fin, voyant encore le visage qui n’était plus devant ses yeux, et, lorsqu’elle passa près de Davidée Birot qui venait la dernière :

– Mademoiselle, ayez soin d’elle, faites-la déjeuner ici ; ça ne mange pas trois bouchées de pain ; d’ailleurs, elle est bien malade.

L’adjointe répondit :

– Certainement, j’aurai soin d’elle.

Puis frappant ses mains l’une contre l’autre, elle donna le signal d’entrer en classe.

Et le soleil monta, au-dessus du toit qui abritait les deux classes, au-dessus du jardin où les trois jacinthes antiques, dans l’angle tiède du mur, au midi, levaient leurs pousses charnues d’un vert de contrevent, et encore maculées de sable.

À midi, Anna Le Floch fut servie dans la cuisine, avec deux autres enfants qui payaient une redevance à mademoiselle Renée. Elle goûta à peine à la soupe chaude que Davidée avait versée dans l’assiette. « Mange donc, ça te fera du bien », disaient les deux voisines en la poussant du coude. Elle remuait la tête, comme celles qui sont très sûres que le mal est sans remède, mais, comme il faisait chaud, et que le feu donnait sa flamme, elle se tournait vers lui, et étendait ses mains transparentes. La directrice et l’adjointe, à l’autre bout de la table, se hâtaient de déjeuner.

– Qu’a-t-elle ? demanda Davidée.

– Tuberculeuse, rachitique, ou pire encore, murmura mademoiselle Renée. Il y en a bien qui sont malades de leur père.

– Et qui est le père ?

– Je ne sais pas.

– Vous ne l’avez pas connu, depuis six ans que vous êtes ici ?

– Non.

– Moi, je pense qu’elle a plus de chagrin qu’elle n’en peut porter. Avez-vous observé ses yeux : ils ne regardent pas en face, de peur de laisser voir dans le cœur.

– Je la crois sournoise, en effet…

– Il suffirait qu’elle fût malheureuse pour se cacher. J’ai grande pitié d’elle !

– Dites-moi, mademoiselle, vous surveillerez la récréation, n’est-ce pas ? J’ai des lettres en retard.

Davidée surveillait souvent, presque toujours la récréation, c’est-à-dire la rentrée des élèves, avant la classe du soir, et comme les enfants se hâtaient de revenir pour jouer, elle se mêlait souvent à leurs jeux. Mais ce jour-là, elle se borna à surveiller de loin les petites qui, une à une, depuis midi et demi, recommençaient à tourner à l’angle du chemin, et entraient dans la cour. Avec Anna Le Floch, elle était descendue dans le jardin, elle avait mis son bras sous le bras de l’enfant, et, à petits pas, dans l’allée bombée et moussue, juste au milieu des carrés enveloppés de buis, elle se promenait. Voici le premier bon soleil ; oh ! vraiment, à l’abri du mur qui coupe le vent, la chaleur a le temps de pénétrer les membres et de toucher le sang qui a besoin d’elle. Anna Le Floch, bien que la marche soit très lente, a les cheveux tout mouillés de sueur et collés sur les tempes, ses pauvres cheveux qui ont toutes les teintes du roux, du blond et du cendré. Tout d’abord, elle avait essayé de dégager son bras et de s’en aller. Mais des mots doucement dits, et le voisinage d’une âme qu’elle devinait compatissante, l’avaient apprivoisée à demi. C’était bon, cette chaleur, et ce jardin, et cette compagnie qui est tout à vous. Avec certitude, avec plénitude, Anna Le Floch sentait que le cœur de cette jeune maîtresse n’était occupé, en ce moment, d’aucun amour, d’aucun intérêt, d’aucune autre affaire, et qu’elle y régnait, elle, la malade. Comme cela dispose aux confidences, comme cela détend les volontés les plus fortes et la longue habitude de se taire ! L’une soutenant l’autre, et parlant des petites choses de la classe et de l’Ardésie, elles avaient tourné une fois de plus, à l’extrémité de l’allée, au bout du petit domaine de l’école, et elles revenaient, ayant du soleil sur la joue droite. Le rire des enfants qui jouaient arrivait amorti déjà, enlevé par le vent. On était protégé par leur bruit même et par la distance. Une larme avait monté aux yeux de la petite Le Floch, qui était presque heureuse.

– Dites-moi si vous m’aimez un peu ?

– Oh ! oui, beaucoup.

– Dites-moi pourquoi vous êtes si triste ? Je voudrais vous faire du bien. Est-ce d’être malade que vous êtes triste ?

– Non.

– Alors ?

La petite baissa la tête et s’arrêta.

– J’ai du chagrin.

– De quoi ?

– Je ne sais pas… De vivre.

Anna se sentit pressée par le bras de Davidée Birot, et l’adjointe reprit :

– C’est peut-être de ne plus voir votre papa !

Un tressaillement de tout le corps épuisé répondit d’abord. Puis la voix haletante et enrouée murmura :

– Il est parti, et il n’est pas revenu.

– Il y a longtemps ?

– Pas cette année, ni l’autre, ni l’autre. J’avais trois ou quatre mois, peut-être moins, peut-être je venais de naître. À présent, j’ai douze ans.

– Douze ans, plus la souffrance, cela fait bien quinze ou seize ans, ma pauvre petite.

– Oh ! oui. Seulement, j’aurais voulu n’avoir pas d’autre papa. Et maman m’en a donné un autre.

– Il vit avec vous ?

– Le matin, le soir, toujours. Il n’y a qu’à midi qu’il ne revient pas. C’est un carrier, un homme d’à-haut.

– Je sais.

– Il voudrait bien que je l’aime ! Mais moi je ne l’aime pas.

Les yeux verts, les yeux sauvages se levèrent, et Davidée y lut une haine jeune, profonde, instinctive. Le nom de l’homme ne fut pas prononcé. La petite ferma les yeux, elle laissa les coins de ses lèvres descendre vers son menton, et elle dit :

– J’ai envie de me tuer.

– Qu’est-ce que vous dites là ? Vous n’avez pas le droit de vous tuer, Anna ! On n’a pas le droit…

– Pourquoi donc ?

La maîtresse se redressa, car un tumulte inaccoutumé s’élevait du milieu de la cour, là-bas. Les enfants poursuivaient un rat sorti d’un caniveau. Elle se mit à marcher de nouveau, et elle remarqua que la plate-bande près de laquelle Anna Le Floch s’était arrêtée, était la plus récemment bêchée du jardin… Elle entraîna l’abandonnée, la solitaire, la désespérée, et elle disait :

– Je serai votre amie, voulez-vous ? J’irai vous voir quand vous ne pourrez pas venir. Si vous avez envie de pleurer, je vous permettrai… Sur mon cœur vous pleurerez : il sait ce que c’est.

Anna avait repris sa figure fermée et farouche. Elle approchait de la cour. Elle y rentra.

L’après-midi s’écoula comme les autres, mais, après quatre heures, un incident troubla l’école. Quelques minutes avant la fin de la classe, mademoiselle Renée avait l’habitude d’énoncer et de commenter, devant les grandes, une maxime morale. Elle appelait cela, comme elle l’avait vu faire dans d’autres écoles : la prière laïque. Et elle soumettait, par avance, à l’inspecteur primaire, la liste de ces points de méditation ; elle l’inscrivait sur son journal de classe. La veille, elle avait développé, avec une facilité verbale qui la faisait bien noter par ses chefs, cette maxime : « Le temps, c’est de l’argent. » Le cahier portait pour le mercredi 24 mars : « Prière laïque : l’alcoolisme est un suicide lent. » Les vingt-cinq élèves écoutaient comme elles écoutent quand l’aiguille de l’horloge va passer sur la demie qui délivre : on serrait les porte-plume, on fermait les cahiers, et les livres, avec un frôlement continu et lent, glissaient dans les sacs de cuir ou les poches. Cependant, deux ou trois, plus intelligentes, prenaient intérêt à la leçon, et Anna Le Floch, la dernière du dernier banc à gauche, sous le rayon de la fenêtre, écoutait même avec une attention passionnée. Affaissée, courbée, les coudes écartés, les deux mains allongées sur les joues et maintenant droite la tête, le menton touchant presque la table noire, elle n’était qu’un visage d’une pâleur de cire vierge et qui avait un grand cercle bleu autour des yeux fixes. Qu’est-ce donc qui l’exaltait ainsi et la tenait éveillée, dans la fatigue extrême d’une journée finissante ? Est-ce que mademoiselle Renée se doutait qu’on suivît avec tant d’ardeur ses mots et ses phrases, sous le jour de la fenêtre du chemin ? Non ; elle était myope, et elle avait serré son lorgnon dans l’étui. Elle ne pouvait voir la figure d’Anna ni l’angoisse dans les yeux de l’enfant. « Les enfants d’un père ou d’une mère alcoolique, disait-elle, sont très souvent dégénérés, malades, infirmes, des déchets de la vie, parfois des criminels. Il faut les plaindre. Mais quelle responsabilité pour les parents ! Mourir jeune par la faute de ceux qui nous ont donné la vie ! J’espère bien que je ne verrai pas mourir une de mes élèves, ni de ce mal hérité, ni d’un autre. Cela me ferait trop de peine. Je me suis demandé quelquefois ce que je ferais, si l’une d’entre elles venait à disparaître. Vous savez que je ne crois pas à l’immortalité de l’âme. Je crois aux transformations de la matière. Si ma petite fille à moi mourait, au lieu de prier pour elle, ce qui serait peine perdue, je planterais et sèmerais des fleurs sur sa tombe, et j’irais en respirer le parfum. »

– Mademoiselle ! Anna qui est morte !

Toute la classe était debout.

– Mademoiselle, elle a les yeux fermés ; mademoiselle, comme elle est blanche !

Quelques-unes tiraient par la manche l’enfant qui ne réagissait pas, et qui laissait son visage, que les mains ne soutenaient plus, s’incliner et se poser sur la table, le front touchant le bois.

– Elle est morte ! oh ! oh ! morte ! elle n’entend plus !

Des gémissements, des cris perçants commençaient à s’élever, mais, vite, la directrice avait traversé la classe, étendu Anna sur le banc, et dit avec autorité :

– Elle n’est qu’évanouie. Ce n’est rien. Rassurez-vous. Le cœur bat. Allez, mes petites. Et qu’on se taise ! Pas de cris ! Appelez seulement mademoiselle Davidée. Je vous réponds que demain vous reverrez votre compagne.

L’adjointe accourut. Les enfants se retirèrent. Quelques-unes, près de la porte, se tinrent un moment arrêtées, cherchant à voir si Anna remuerait. Elle ne remuait pas. Elle avait les paupières baissées, les lèvres entr’ouvertes, et on voyait ses dents qui avaient l’émail bleu, du même bleu que le tour de ses yeux. Davidée l’avait prise dans ses bras, s’était assise sur un escabeau, et elle la tenait, comme les mères, en travers de ses genoux. La petite tête renversée reposait sur le bras droit de l’adjointe. De la main gauche, celle-ci dégrafait le col de la robe grise.

– Un peu d’eau, mademoiselle, vite s’il vous plaît !

Mademoiselle Renée alla mouiller son mouchoir à la pompe de la cour, bassina les tempes d’Anna Le Floch, et, ne réussissant pas à la réveiller :

– Portez-la sur mon lit, dit-elle.

– Sur le mien, si vous le permettez. Je la connais bien, elle sera contente de me reconnaître au réveil.

Elle n’était pas plus lourde qu’une enfant de six ans, la petite Le Floch. Davidée la souleva sans effort, avec un sentiment d’inquiétude et de possession maternelle ; elle traversa la cour ; elle monta les degrés. Il n’y eut pas besoin d’aller jusqu’à la chambre. Anna ouvrit les yeux et dit, la bouche sèche et serrée :

– C’est fini. Laissez-moi. Je veux m’en retourner. Je veux voir maman.

La directrice portait dans sa main droite les sabots oubliés.

– Entrez dans la cuisine ; mettez-la sur une chaise ; elle ne peut s’en aller comme cela !

La petite, assise près du foyer, où se consumaient deux tisons, refusait de manger ou de boire, – les grands remèdes populaires, – refusait de répondre, même à Davidée. Elle répétait, remuant en mesure ses pieds posés sur le carreau, près des cendres chaudes :

– Je veux m’en aller ! Je ne veux pas mourir ici !

– T’en aller ? Est-ce que tu pourras marcher ? demanda mademoiselle Renée.

Pour la première fois, l’enfant répondit nettement à l’interrogation, et dit « oui » d’un ton si ferme, que la directrice repartit aussitôt :

– Puisque vous voulez que je vous la laisse, mademoiselle, chargez-vous de la reconduire, Je ne crois pas qu’il y ait de danger. La distance n’est pas très grande.

Oh ! comme elles allèrent lentement et silencieusement, mais contentes, Davidée Birot et Anna Le Floch, à travers la cour, et dans le chemin ! Il était cinq heures et demie. La grande douceur de ces fins d’après-midi, au premier printemps, nul ne la peut prévoir sûrement. Il faut que le vent tombe. Alors le soleil promet sa chaleur ; il passe un moucheron dans l’air déshabitué ; on voit des branches sans feuilles, lourdes de bourgeons, qui ne remuent plus, car la mauvaise bourrasque est passée, mais qui boivent l’or du ciel couchant, et des pierres qui ont entre elles des brins d’herbe frais. La campagne de l’Ardésie avait elle-même un petit attrait comme une fille sans beauté que sa joie secrète embellit. Elles étaient seules, la maîtresse et l’écolière malade. Elles faisaient, marchant à pas comptés, se lever par endroits une poussière qui n’allait pas très haut, mais que le couchant rendait ardente. Et bientôt elles furent trois sur la route qui va vers le village des Éclateries, qui est le commencement des Justices. Comment Jeannie Fête-Dieu se trouvait-elle là, au carrefour de la route et du chemin qui mène à l’église ? Qui l’avait envoyée ? Qu’attendait-elle, appuyée au mur de pierre d’ardoise, son panier pendu au bras, ses livres grossissant les poches de son tablier, ses joues rondes bien roses, ses yeux ronds bien tranquilles, ses cheveux coiffés d’un béret de laine blanche tricotée, ses mains couvertes à demi par des mitaines bien reprisées ? Nul ne le saura. Elle s’avança au-devant de la pauvre petite qui suivait sa voie douloureuse, elle dit : « Mademoiselle, grand’mère Fête-Dieu serait bien contente si vous alliez la voir, elle s’a échaudée » ; puis elle prit le bras droit d’Anna Le Floch, comme mademoiselle Birot avait pris le bras gauche, et, supposant que la permission était donnée, elle accompagna, elle la plus sage, elle la première de la classe, la petite malade qui regagnait le logis. Ses deux voisines marchaient à l’endroit où les chevaux posent le pied, et elle suivait l’ornière, prenant bien garde de ne pas trébucher, et de ne pas donner de secousse au bras d’Anna. Quelques murs de maisons, crépis à la chaux, percés de fenêtres qu’on n’ouvrait pas, rompaient le long ruban de clôtures en pierre sèche, qui bordait le chemin. Parfois, un pêcher de plein vent levait au-dessus de l’arête sa gerbe de baguettes pourpres.

– Vous ne voulez pas vous reposer, mon enfant ?

– Non, mademoiselle, je peux marcher.

Elle ne parlait pas. Mais le regard, à présent, cherchait devant elle un toit très long, qui tombait presque jusqu’à terre, en faisant un bel arc, comme le flanc d’un navire. On le vit bientôt entièrement, le grand toit de la toute pauvre maison de Phrosine. Une haie vive le long de la route, et, sur les trois autres côtés, une vieille palissade de châtaignier limitaient un terrain peu planté, non cultivé, où s’élevait la maison. Et ce refuge de pauvre était enclos dans le domaine vaste et montant d’un maraîcher dont on voyait, à l’extrémité opposée, l’habitation, la grange et la charmille.

– Je n’étais jamais venue, dit l’adjointe.

Elle ouvrit la barrière à claire-voie. Deux enfants, une femme : à elles trois elles avaient fait si peu de bruit, que la mère elle-même ne se doutait de rien. Un dernier souffle, tiède et lent, coulait sur les blés nouveaux et glanait les rayons. Le jour se retirait au ciel. La malade, d’un geste raide et vif, dégagea son bras gauche, le mit au cou de mademoiselle Davidée, et, avec la tendresse de toute une âme conquise, baisa la joue qui se tendait. Jeannie Fête-Dieu s’était déjà retirée. Elle avait disparu. Phrosine sortit de la maison, et descendit par la petite allée d’herbe, entre les pruniers, jusqu’à la haie de la route. L’expression de son visage, l’inquiétude, vingt questions que l’on se fait à soi-même et auxquelles on répond, tout s’apaisa, quand elle vit, de près, Anna à la robe grise, qui disait :

– Je suis mieux, maman, ne me gronde pas !

– Elle a encore faibli, je parie ? N’est-ce pas, mademoiselle, qu’elle s’est évanouie ? Ah ! vilaine, vilaine fille ! Viens que je te couche ! J’ai mis des draps blancs à ton lit.

Phrosine prit dans ses bras ce long corps frêle, comme avait fait Davidée dans la cour de l’école, et elle l’enleva et la porta jusqu’à la maison. Mais elle tenait la tête penchée à droite, elle soulevait celle de sa fille, et elle disait des mots de douleur et des mots d’amour, cette Phrosine sauvage et de mauvaise vie : « J’ai mis des draps blancs à ton lit… Tu vas bien dormir… Promets-moi ?… Tiens, regarde la jonquille qui a fleuri pour toi… La trouves-tu belle ? » Mais, entre leurs yeux rapprochés, entre leurs âmes qui avaient vécu neuf mois ensemble, il y avait un dialogue secret, et probablement habituel, car la mère comprenait très bien ce que demandaient les yeux douloureux de l’enfant ; elle savait pourquoi sa tendresse, à elle, n’arrivait pas à consoler, à fondre le cœur de cette petite malade qui ne souriait pas, qui ne s’abandonnait pas au bercement des mots et qui ne souriait pas à la jonquille nouvelle. Le visage très pâle et très tiré d’Anna, avec effort, se tourna vers la porte de la maison. Il prit une expression d’effroi. Alors, la mère murmura :

– Non, il n’est pas là, ne fais pas ta mine qui me fait de la peine ; il est allé à une réunion de perreyeurs du côté de Bel-Air. Ils veulent faire la grève… Ainsi, tu vois, il n’est pas là. Je t’assure !…

Le petit visage se détendit. Une émotion, une gratitude, une espérance suppliante passèrent dans les yeux. Anna Le Floch regarda sa mère comme elle avait regardé tout à l’heure la maîtresse d’école. La mère entra dans la maison, tourna tout de suite à gauche, et Davidée, qui la suivait, la vit pousser une seconde porte et pénétrer, portant toujours son fardeau serré contre sa poitrine, dans la seconde chambre, qui était tout étroite.

– Là, couche-toi à présent ; tu m’as promis de dormir ; je vais te faire une bolée de tilleul bien sucré, et tu t’endormiras.

Il aurait semblé, à ceux qui auraient entendu de telles paroles dans la nuit, que c’était une jeune mère qui endormait sa toute petite fille.

L’adjointe considérait, autour d’elle, la grande pièce qui servait de logement à Phrosine : un plafond bas, enfumé, aux solives apparentes, au-dessus duquel devait pyramider la charpente d’un grenier gigantesque, des murs jaunes où pendaient un miroir et trois calendriers d’années anciennes, offerts par des maisons de commerce, et enluminés de la même manière : trois têtes de femmes décolletées, souriantes, peintes à la vaseline claire. Elle se souvint que son père, à Blandes, dans la maison blanche, avait des chromolithographies toutes pareilles, mais encadrées d’or, sur la tapisserie du cabinet de travail où il écrivait des lettres, quelquefois. Davidée vit que le lit de noyer occupait l’angle à gauche, et elle se détourna, à cause d’une pensée qui lui vint. La cheminée avait dû abriter, réchauffer, réjouir des familles nombreuses ; la hotte s’avançait jusqu’au tiers de la pièce ; dans une niche, creusée dans l’épaisseur du mur, près du foyer, là où, jadis, on mettait la chandelle de résine et les provisions de chènevottes, il y avait une casquette d’homme.

Phrosine revint, et elle dit :

– L’enfant veut dormir ; elle refuse le tilleul, et tout ce que je peux lui offrir.

Elle avait soigneusement attiré la porte de gros chêne.

– Tout. Elle est bien malade… Je vous remercie, mademoiselle, de l’avoir conduite jusqu’ici. Ce n’est pas tout le monde qui l’aurait fait.

– Oh ! je vous assure que je me serais reproché de ne pas le faire. C’est mon élève, la nôtre en tout cas.

– Et qui vous aime, je peux le dire.

– Pauvre enfant !

La jeune fille se rappelait ce que mademoiselle Renée avait raconté de Phrosine, et cette histoire était comme un troisième personnage, et qui gênait, en même temps, Davidée et Phrosine, car elles savaient l’une et l’autre qu’il était là, témoin hostile et présent. Elles échangeaient des formules de compassion, de remerciement, et elles sentaient le vide des mots qu’elles disaient ou qu’elles entendaient, et la main de Davidée ne se tendait pas, et son regard n’avait fait qu’effleurer celui de Phrosine, parce qu’elles n’étaient pas seules dans cette chambre, et qu’il y avait le péché auquel toutes les deux elles pensaient.

– On vous a parlé de moi ? dit Phrosine. Je le vois, et, ce matin, je l’ai déjà vu !

Cette fois, les deux regards se rencontrèrent et se heurtèrent. Davidée leva la tête, comme une fille qui a conscience de sa noblesse, qui est pure, qui est brave, et elle dit :

– C’est vrai : je sais votre conduite depuis hier soir.

– Alors, causons, si vous voulez ; n’ayez pas peur de le rencontrer, lui ; j’ai prévenu la petite qu’il n’était pas là : il ne rentrera pas avant sept heures. Vous êtes chez une femme qui s’est mise en ménage avec un autre homme que son mari. Je n’avais pas de quoi vivre. Pourquoi me regardez-vous comme vous faites ? On dirait que vous allez tomber de votre haut ! On ne se cache pas, pourtant ! Si vous voulez vous asseoir, je vous expliquerai plusieurs choses qu’il faut savoir, tout de même, avant de juger.

Davidée hésita une seconde, et s’assit, presque en face de la fenêtre, près de la cheminée. Phrosine était à contre-jour, mais il y avait de la lumière dans le vert tout vibrant de ses yeux et dans le sang rose qui colorait ses joues. Quelle passion, quelle volonté sûre de sa puissance, quelle espèce de défi dans le mot qu’elle avait jeté : « On ne se cache pas ! » Cependant elle parlait à voix contenue, de peur qu’on ne l’entendît, de la chambre à côté.

– Je vous parais peu de chose, n’est-ce pas, reprit-elle, moi qui viens balayer vos classes, et allumer le poêle ?

– Mais non, vous vous trompez.

– Nettoyer le préau, et jeter des baquets d’eau dans les cabinets, tandis que vous faites la propre et la savante ; je ne suis pas de votre monde, vous me le faites comprendre.

– Puisque j’élève votre fille, et les filles de toutes les femmes de l’Ardésie, qu’est-ce que vous me reprochez donc ?

– Votre air, qui n’est pas le même pour toutes.

La jeune fille rougit, et riposta vivement :

– Jusqu’à hier soir, je n’avais que de l’amitié pour vous… En ce moment, ce n’est plus la même chose. Comment voulez-vous ? Je ne suis pas maîtresse de mes impressions.

– Cela se voit !

– Pourquoi ne vous mariez-vous pas avec lui ?

– Il faudrait être libre.

– Vous ne l’êtes pas ?

– Je suis mariée.

– Alors, c’est plus mal encore… Tenez, laissez-moi partir. Je suis venue pour vous obliger, et non pour discuter ce que vous faites.

Phrosine voulait parler ; elle tenait à faire un aveu.

– Non, vous ne devez pas me mépriser, dit-elle. Vous ne savez pas combien j’ai été malheureuse. J’ai été trois ans avec mon mari, un ouvrier qui était boiseur aux carrières, un charpentier qui débitait les poteaux pour les galeries. Il m’a lâchée, il a fait bien pis, car il a volé mon fils, que je n’ai jamais revu, et j’ai su, depuis, qu’il l’avait abandonné à l’Assistance publique à Paris. Il y a douze ans de cela. Où est-il, mon fils ? Où est-il, mon mari ? Il me laissait enceinte. Et la voilà, ma fille, celle que vous avez ramenée. J’étais toute seule pour gagner la vie de deux. Eh bien ! j’ai attendu trois ans son retour, à mon homme. J’ai goûté de la misère, allez ! J’ai travaillé pour quelques sous, en gardant la petite. Après ce temps-là, je ne pouvais plus vivre seule, je n’avais plus d’argent, plus de courage : je me suis mise avec quelqu’un. Et ce n’était pas Maïeul, vous comprenez ? Qui est-ce qui me le défendait ?

– Mais… la loi.

– Est-ce qu’elle me nourrit, la loi ?

– Les usages, la morale… Vous pouviez…

– Quoi ?

– Divorcer.

– À quoi ça sert ? On se passe de la permission. Est-ce que chacun n’a pas le droit de disposer de son corps ?

– Mais non !

– Vous croyez que c’est le maire qui permet cela ? Vous racontez ça aux enfants ! Mais voyez-vous, la loi, c’est comme les usages, mademoiselle : on peut y faire attention quand on est riche, et qu’on a le temps, et qu’on a des gens qui s’occupent de vous. Moi, personne ne s’occupait de moi, et je pouvais faire ce que je voulais, même mourir, sans déranger mes voisines : je n’en avais pas. J’habitais la maison de la Fête-Dieu, tenez, justement, au-dessous de la Gravelle, où il loge à présent, lui… Ah ! je vois bien que je vous déplais en parlant comme je fais. Mais je ne cherche pas à paraître meilleure que je ne suis. Votre morale, à vous, c’est ce que vous voulez ; la mienne, à moi, c’est ce que je peux… Ne soyez pas difficile, allez, vous en trouverez d’autres comme moi, quand vous connaîtrez l’Ardésie. D’ailleurs, ça n’est pas cela que je veux vous expliquer.

Davidée ne trouvait que de médiocres réponses à ces gros paradoxes moraux, débités avec assurance par cette femme, et elle s’irritait contre elle-même, secrètement, d’avoir si peu de repartie, ce soir, et de défendre mal une cause qu’elle savait juste.

– Le triste, reprit Phrosine, c’est que la petite le déteste. Il ne sait qu’inventer pour lui plaire, mais elle ne veut ni le regarder, ni causer avec lui, et, je vous le dis comme je le pense, cela me met dans une colère !…

– Elle meurt de votre inconduite : cela s’est vu.

– De ce que j’aime Maïeul Jacquet, et de ce que je ne peux pas vivre sans lui ?… Elle meurt !… Mademoiselle, vous êtes sévère pour le pauvre monde ; mais au moins vous ne cachez pas ce que vous pensez… Je ne crois pas qu’une fille puisse mourir de ça…

– J’en suis sûre, au contraire : je la comprends.

– Mais elle en souffre, et moi aussi, et lui autant que moi. Tenez, je voulais vous dire ceci : vous avez été étonnée l’autre jour, quand Maïeul vous a proposé de bêcher votre jardin ?

– À moitié, j’ai cru que c’était une attention pour moi.

– Oh ! que non, c’était une attention pour elle. Vous ne le connaissez pas, il a le cœur tendre plus qu’une femme, avec son air de ne jamais rire. Il savait qu’elle avait de l’amitié pour vous, la petite, et il pensait : « Si je fais plaisir à la maîtresse, Anna sera contente. » Et il lui a raconté ce qu’il avait fait en revenant.

– Qu’a-t-elle dit ?

– Comme toujours : rien, pas un mot. Elle a mangé trois cuillerées de soupe, et elle a demandé à se recoucher. Quand elle est là, – et Phrosine montrait la porte de la chambre de l’enfant, – elle est heureuse ; elle tousse, elle a de la fièvre, elle a faim, elle a soif : mais elle n’appelle jamais, elle ne vit pas avec nous. Je vous assure que la vie n’est pas gaie, et que j’en ai assez.

L’adjointe eut envie de rouvrir cette porte, de se pencher sur le petit lit, d’embrasser l’écolière, et de lui dire, bien bas, à l’oreille : « Jeune fille, pureté émouvante, je suis avec vous, vous avez une grande amie. » Elle n’osa pas. Si vive et spontanée qu’elle fût, les habitudes disciplinaires avaient déjà tempéré l’audace de son humeur ; elle se demanda : « Ne serais-je pas imprudente ? » ; elle sortit, jetant seulement un regard du côté où allait tout son cœur.

Dehors, le crépuscule était le maître des choses ; elles commençaient à se ressembler toutes par la couleur, et les buissons de l’enclos, les groseilliers, les tas de fumier et de pierraille n’étaient que des dos ronds et vagues, un peu plus pâles à leur arête. L’adjointe avait passé devant Phrosine, suivi l’allée, attiré la claire-voie. Il y avait un silence infini dans le ciel, dans les champs, sur les buttes. Seules, les routes enchevêtrées égrenaient dans l’ombre des bruits de pas, des bruits de roues, et des voix indistinctes, lointaines, mourantes. Phrosine était venue jusqu’au milieu de la petite avenue de pruniers, pour reconduire mademoiselle Birot.

– Si elle devait mourir ?… Vous croyez ?…

– Personne n’est sûr. J’ai dit cela dans l’émotion, trop vite…

– Vous croyez que cela se peut ? que mon enfant, ma fille, Anna ?…

Davidée comprit qu’elle allait dire une chose grave, et que si elle répétait : « Oui, je crois qu’elle en peut mourir », ce qui restait d’obscure conscience à cette femme deviendrait remords peut-être et poursuivait son œuvre, jusqu’où ? Elle dit avec effort :

– Oui.

Et elle s’éloigna vivement dans le crépuscule. Elle était peureuse. Le silence de ce chemin qu’elle reprenait toute seule l’inquiétait ; elle observait les grosses touffes de lierre qui, çà et là, sur les murs bas, ressemblaient au buste d’un homme accoudé ; elle craignait d’entendre marcher derrière elle. Pourquoi ce Maïeul Jacquet ne serait-il pas rentré au moment même où elle venait de quitter Phrosine ? Il n’avait pas besoin de longues explications pour apprendre ce qui s’était passé. Il suffisait que Phrosine répétât quelques phrases qu’avait dites la maîtresse d’école. Alors, la colère se saisissait de lui ; il sautait hors de la maison, il courait entre les pruniers, il rejetait la porte à claire-voie qui restait ouverte derrière lui, et, sur la route, il se mettait à galoper.

Elle se trouvait à la hauteur de la première des carrières abandonnées de Champ-Robert, quand elle entendit, en effet, des pas rapides, tantôt nets, tantôt amortis par la poussière, mais qui s’approchaient. Il faisait encore un peu clair. Elle ne pouvait, même en s’appuyant, toute droite et immobile, le long des murs d’ardoise, échapper aux regards de l’homme qui venait. Et l’homme qui venait, c’était Maïeul. Elle en était sûre. Quel autre pouvait se hâter de la sorte, un soir de mars, quand la fatigue du travail et le poids de l’air brumeux alourdissent les jambes ? Il marchait à enjambées pressées, comme un fermier qui va chercher le vétérinaire pour une bête malade. Et tout à coup il se mit à crier :

– Hé ! la demoiselle ? La demoiselle de l’école des filles ?

Elle quitta le milieu du chemin, courut à droite, s’effaça contre le mur, les bras pendants, le visage tourné vers celui qui allait apparaître, qui allait surgir des brouillards et de la nuit mêlés au ras de la terre. Le cœur lui battait.

– La demoiselle ? Je vous rejoindrai bien ! Pas la peine de vous sauver !

Elle ne bougeait pas. Elle ne remuait que le bout de ses doigts qui tâtaient la pierre pour y trouver appui. Elle pensa que son col blanc la trahirait tout de suite, et aussi son visage pâle, et aussi ses yeux qu’elle sentait agrandis par l’ombre et luisants. Et elle se dit : « Puisque je ne peux l’éviter, je ne crierai pas, je ne fuirai pas, j’irai à lui. »

Il était déjà devant elle, entre les deux ornières, roulant sur ses hautes jambes, le chapeau en arrière, la tête levée et dépassant l’arête du mur en face. Il s’aidait d’un bâton pour marcher. Il ne vit pas la jeune fille. Mais, comme il s’arrêtait dix pas plus loin, maugréant et criant : « La demoiselle ? » elle traversa la route, se planta droit au milieu, et dit :

– Que me voulez-vous donc, monsieur Maïeul Jacquet ?

Il se détourna.

– Qu’avez-vous à crier mon nom ? Je vous croyais plus poli. Je suppose que vous avez trop bu ?

Comme c’était vrai, il ôta son chapeau.

– Excusez-moi.

Un moment, il demeura sans parler. La surprise avait rompu la suite des reproches qu’il récitait en courant. Les mots lui revinrent en mémoire, peu à peu, et le tremblement de colère de la main qui tenait le chapeau s’aviva.

– J’ai passé par la maison, tout à l’heure !

– Pas la vôtre.

– Celle qui me plaît. J’ai appris que vous aviez reconduit la petite.

– Pas la vôtre non plus. Et n’ai-je pas bien fait ?

– Très bien. Je ne vous le reproche pas. Mais vous avez trop parlé. Pourquoi vous êtes-vous mêlée de nos affaires ? Pourquoi avez-vous dit à Phrosine que la petite pouvait mourir ?

– Elle me l’a demandé.

– Vous voulez donc qu’elle me chasse ? Vous serez cause qu’elle me chassera !

L’adjointe oublia toutes les consignes. Elle laissa parler son cœur, et ce fut elle-même, la vierge, qui répondit :

– Tant mieux !

– Ah ! vous voulez qu’elle m’abandonne ! Vous vous repentirez de ce que vous dites !

– C’est à vous de vous repentir ; pas à moi. Vous vivez dans le mal, vous êtes l’amant d’une femme mariée…

– Qui serait morte de faim sans moi.

– Faites-la vivre, et tenez-vous chez vous, alors vous pourrez parler de votre charité. Vous désespérez une enfant, Maïeul Jacquet, vous la tuez parce qu’elle a un cœur délicat, qui vaut mille fois le vôtre, et c’est moi, une femme, ici, sur la route, qui vous le dis, sans avoir peur de vous : vous êtes lâche, vous savez très bien quel est le devoir ; il est de vivre honnêtement ; il est de vous sacrifier ; et vous ne le faites pas ! Vous n’avez pas même pitié. Vous dites que vous aimez la petite…

– Bien sûr !

– Et vous faites tout, excepté ce que demande son pauvre cœur malade. Vous ne vous séparez pas de la mère, vous avez peur qu’on ne vous chasse : tout géant que vous êtes, je vous trouve faible et sans volonté… Je vous défends de me suivre. Bonsoir.

Elle rajusta sur sa tête et sur ses épaules son écharpe de tricot et, relevant sa robe, qui était courte, passant à côté de Maïeul, elle reprit le milieu du chemin, vers l’Ardésie.

L’homme, malgré sa demi-ivresse, avait tout compris. Les mots, dans sa tête, faisaient un voyage avant de rencontrer la partie claire de l’esprit. Il dit, après que l’adjointe eut fait dix pas :

– En voilà une petite femme !

Et, quand elle fut sur le point de disparaître dans l’ombre :

– Dites donc, la demoiselle, où donc que vous l’avez prise, votre morale ?

Elle entendit, mais elle était déjà loin, et aucun bruit de pas ne sonnait plus en arrière, sur le chemin. Les maisons voisines de l’école, à droite, formaient une masse plus sombre dans les demi-ténèbres, un nuage arrondi, pareil à ceux qui, là-haut, lourds de pluie et de nuit ayant à peine une étoile entre leurs écailles rapprochées, remontaient la vallée de la Loire, poussés par le vent de mer. La route s’abaissa un peu. Devant la porte de l’école, une ombre avait forme humaine. Elle se détacha de la muraille, hésita, vint au-devant de Davidée.

– Ah ! enfin, c’est vous, mademoiselle ! Comme vous rentrez tard ! J’étais inquiète !

Mademoiselle Renée embrassa l’adjointe.

– Vous avez chaud ! Vous tremblez ! Que vous est-il arrivé ?

Les deux maîtresses d’école fermèrent la porte de la cour, entrèrent dans la cuisine, et Davidée raconta sa visite à la maison des Plaines. Mais elle ne parla ni de la poursuite de Maïeul Jacquet, ni de la rencontre sur le chemin. Quand elle eut répété plusieurs des paroles qu’elle avait dites à Phrosine :

– Mademoiselle, dit mademoiselle Renée, c’est une histoire plus grave que vous ne croyez. Si vous voulez la paix, taisez-vous ; voyez tout, et ne dites rien ; prenez la morale comme une leçon à faire en classe, mais, hors de la classe, ayez l’air de l’oublier…

– J’aurai bien du mal !

– Il le faut. Je serais étonnée que votre affaire n’eût pas de suites.

– Parce que j’ai eu pitié d’une enfant ? Parce que j’ai dit à une femme qu’elle avait tort, étant mariée, de vivre illégitimement ?

– Quel mot ! Comme vous y allez ! Qu’est-ce que ça peut vous faire ?

– À vous, rien ?

– Rien. Des mots. La morale, c’est ce que je dis en classe, d’après des programmes qui changent ; une leçon ; la géographie des bancs de sable. C’est ce que voudra l’inspecteur, ce que voudra le ministre. Ils sont chefs de religion. Ça les regarde, ça ne me regarde pas. Ça fait partie de ma fonction de dire : amen. Mais je pense tout ce que je veux là-dessus. Je vis comme je veux, je laisse les gens vivre comme ils veulent. Ma pauvre petite adjointe, si vous avez des préoccupations morales pour tous les gens qui n’en ont pas, si vous avez un principe, cachez bien tout cela : ou vous êtes perdue !

Elle riait, satisfaite d’avoir retrouvé sa compagne. Davidée faisait bouillir de l’eau sur le fourneau à alcool. Elle ne répondait plus, elle disait des mots de subordonnée : « Croyez-vous ? J’aurai du mal à être indifférente ;… il faudra du temps, je le crains ;… j’essaierai ;… si vous aviez vu Anna Le Floch, si malade, et encore plus malheureuse !… »

Quand elle eut avalé une tasse de thé, elle essuya ses yeux que le grand air et un reste d’émotion avaient rendus humides.

– Je ne dînerai pas.

– Grande enfant !

– Je suis énervée, c’est vrai. J’ai besoin d’être seule.

Mademoiselle Renée la considéra, en baissant le menton, comme elle faisait volontiers.

– Seule, vous venez d’expérimenter que vous l’êtes terriblement… Allons, bonne nuit !… Savez-vous que vous êtes tout à fait jolie, émue ainsi, désemparée…

L’adjointe fit un signe d’adieu et monta.

La chambre était en ordre. Davidée eut plaisir à voir que la courtepointe du lit était bien tirée et sans plis ; la chaise devant la table, et le siège caché sous les planches noircies ; les deux autres chaises le long du mur qui fermait la pièce du côté du jardin ; les deux vases de cristal aux deux coins de la tablette de la cheminée, le réveille-matin au milieu ; l’étagère garnie de tous ses bibelots et de tous ses livres, ceux-ci en bas, ceux-là sur la planchette supérieure, ornée d’une balustrade en cuivre. Elle ne se demanda pas pourquoi elle éprouvait de la joie à constater que les chaises occupaient chacune la place qu’il fallait et formaient une harmonie. Elle eut l’impression d’être « à la sauve », posa la lampe à côté de l’encrier, s’étira, dénoua l’écharpe dont elle s’était coiffée et ne l’enleva pas, car la fenêtre du jardin, en toute saison, laissait passer une lame d’air, chaude ou froide, qui sifflait, chantait, coupait ou caressait les joues. « Je suis bien ici ! songea-t-elle. Voilà mon refuge. Partout ailleurs, quelle contradiction et quelle impuissance ! Quelle pourriture surtout ! Je suis enveloppée par elle ! Je la découvre mieux à mesure que j’avance dans la vie. C’est ce que je gagne à vieillir. Il y en a que je ne connais pas et que je devine. J’ai peur d’elle. » Davidée se regarda dans la glace pendue au-dessus du réveille-matin. Elle vit une image de jeunesse, un visage ardent, volontaire, quelqu’un qui était bien loin de la paix. Elle pensa à sa mère, qu’aucune idée générale, aucune théorie de M. Birot, maître de carrière, ne parvenait à émouvoir, probablement même à intéresser. « Je suis tout le contraire, murmura-t-elle ; je crois que la misère morale, encore plus que l’autre, me trouble le cœur, et m’empêcherait d’être heureuse si elle était trop près de moi, si je ne pouvais pas la guérir, ou essayer de la guérir. »

Ses bandeaux noirs, détendus par la course, et par le vent, touchaient de leur arc la pointe de ses sourcils. Elle les rejeta en arrière, pour elle-même, pour qu’ils fussent aussi dans l’ordre, et elle s’assit devant sa table. Dans le tiroir, dont elle portait la clef attachée à sa chaîne de montre, elle prit un carnet vert, sur lequel elle avait coutume d’écrire, lorsqu’elle avait besoin d’une amie, c’est-à-dire souvent. Le cahier vert voisinait avec d’autres, plus anciens, qu’elle avait rapportés de l’école normale de la Rochelle, avec des paquets de lettres, des images, des boîtes de plumes et des fleurs séchées, nouées d’un ruban. Elle écrivit :

« J’ai peur de douter de la vie que j’ai choisie. Je me sens peu faite pour l’effacement qu’on me conseille. Pourquoi ne pas suivre cet élan qui m’entraîne à secourir les âmes blessées, et pourquoi refuserais-je de les juger, si elles m’en prient ? Presque rien, dans ce que je fais ici, n’est fait avec tout mon cœur, avec tout moi-même. On veut me brider. Tantôt, par hasard, j’ai parlé librement, et il paraît que j’ai dépassé mes droits ! Cette Phrosine, je n’ai pas été chez elle pour surprendre ses secrets, je ne l’ai pas interrogée. C’est elle qui m’a parlé et j’ai répondu selon ma conscience. Je me suis sentie comme la sœur d’Anna. À sa place, je souffrirais comme cette petite. Voir sa mère vivre dans le mal ; ne pas respecter et être obligée d’aimer ; être, dans le cœur maternel, après l’homme qui n’a pas le droit de venir et de partager ; acheter à ce prix-là le pain quotidien, ah ! j’en mourrais comme elle ! Je ne pourrai jamais me taire devant une douleur si naturelle et si touchante. L’incroyable, c’est l’assurance de Phrosine. On dirait que le devoir, pour elle, n’existe pas, qu’elle n’est soumise à aucune autorité, que l’amour et la pauvreté la libèrent de l’obligation d’être une honnête femme et une bonne mère. »

Ayant écrit ces lignes, la jeune fille posa le porte-plume sur l’encrier de verre, et chercha, dans le tiroir, un gros calepin, fermé par une bague de caoutchouc, et qui contenait des notes prises, autrefois, au cours de mademoiselle Hacquin, professeur de psychologie à l’école normale. « Il faut que je repasse un peu ma morale puisque me voilà consultée et combattue », songea-t-elle. De sa main, habituée aux feuillets, elle tourna des pages et des pages d’une écriture nette, où les pleins étaient appuyés et les déliés très légers, d’une écriture personnelle et forte. Elle lut :

« Il y a quatre espèces de problèmes moraux : les métaphysiques, comme l’existence de Dieu, la vie future ; les formels et abstraits comme la question du bonheur ; les problèmes réels et sociaux ; les problèmes casuistiques… Existe-t-il un Être suprême ? Quel est-il ?… Idée infiniment abstraite, éloignée de la conduite humaine. Éliminons les hypothèses. Faut-il solidariser des idées vraies et nécessaires, comme les idées morales, avec des idées incertaines ? Pourquoi établirions-nous une connexion entre des choses qui ne sont pas liées d’une manière rationnelle ? On peut ainsi compromettre la morale. Si on veut qu’elle soit solide, il faut adopter la dissociation de la métaphysique et de la moralité… »

Ah ! voici ce que je cherche : le devoir… « Est moral dans une société, ce que cette société exige… À quoi reconnaîtrai-je que la société exige ceci ou cela ? Je le reconnaîtrai à la sanction, à toute sanction, depuis celle de l’opinion jusqu’à celle des peines effectives. Le devoir, c’est la forme commune de toute activité, industrielle, économique, hygiénique, qui prétend ne pas recommencer indéfiniment les mêmes délibérations, sur des points de conduite vérifiés par l’expérience. Notre devoir n’est que notre vouloir dégagé de la sensibilité… La morale, dans son origine, constitue un phénomène social. Elle dépend des sociétés, de telle société qui peut rejeter certaines de ses habitudes anciennes… »

Davidée s’arrêta, émue d’une angoisse subite. Comment, c’était cela ? Elle avait vécu d’une pareille doctrine ? Faire comme tout le monde, voilà ce qu’on lui avait enseigné ! Et on avait appelé cela une morale ? Elle avait cru avoir une morale ? En fait, non, elle avait vécu autrement, d’après des exemples d’honnêteté, de droiture, ceux de la maman Birot, du père quelquefois, de quelques êtres qu’elle savait justes. Mais, eux-mêmes, ces modèles secrets, où avaient-ils puisé ? Ils n’étaient meilleurs que parce que, dans les occasions difficiles, ils se séparaient de la lâcheté commune. De quelle doctrine insuffisante l’avait-on armée, de quelle déraison ? Suivre d’autres faiblesses, d’autres incertitudes, d’autres hommes et d’autres femmes, qui cherchent et se contredisent, et qui cèdent presque tous au conseil de l’attrait ! Avoir pour soi l’opinion d’aujourd’hui et l’avoir contre soi demain, et, pour le même acte, être approuvée hier et blâmable aujourd’hui ! Quelle morale était-ce là ? Il semblait à la jeune fille qu’elle venait d’ouvrir un coffre où elle avait naguère enfermé une fortune, et qu’elle ne trouvait plus rien de son trésor.

Elle jeta le carnet dans le tiroir, et appuya son front dans ses mains. Mademoiselle Renée montait l’escalier. Les trois marches du milieu de la volée gémirent comme de coutume. L’adjointe eut peur un instant que la directrice n’entrât, et ne vît que l’inquiétude, le trouble, la fatigue avaient grandi. Elle devina que mademoiselle Renée faisait une halte sur le palier du premier, et qu’elle s’étonnait sans doute que la lumière fût encore allumée. Mais la porte de l’autre côté de l’escalier fut fermée et la maison d’école rentra dans l’harmonie de la nuit. Davidée, courbée sur la table, reprit la plume et écrivit : « D’ailleurs, quelle règle que celle de l’opinion pour toute la vie intérieure ! Quel juge de l’intime pureté froissée ! Quelle certitude peut-elle me donner ou donner à Anna Le Floch, et quelle consolation ? Toute ma pensée, ma tristesse, mes sympathies, mon rêve, les soumettre à l’opinion ? Comment l’opinion me fortifiera-t-elle contre la tentation, elle qui ignorera la tentation, la faute ou la victoire ? Chacun livré à tous ! Non, non ! L’opinion de l’Ardésie, de la ville, du monde entier, non ! je la rejette. Je ne suis pas prisonnière des habitudes, des préjugés, des passions d’êtres semblables à moi, s’ils n’ont à me dire que ceci : nous sommes le tourbillon, la poussière, le bruit, et nous vous approuvons, sauf à changer d’avis quand il nous plaira ! Je ne comprends pas que les leçons de mademoiselle Hacquin aient eu sur moi une influence. Ont-elles dirigé un seul acte de ma vie ? Je me le demande ce soir, pour la première fois, et je ne crois pas que je leur aie donné autre chose que l’assentiment d’une élève que l’examen préoccupe plus que la vérité. Il a fallu que le hasard me mît en face de l’amoralité la plus absolue. Alors j’ai vu que mon être profond, ce qui est en moi principe d’action, lumière, énergie, protestait. Je me suis emportée. Et ce soir, je découvre que je serais bien démunie d’arguments, si Phrosine savait faire un raisonnement en forme. Au fond, la manière dont elle vit en est un. Elle se soustrait aux devoirs qui la gênent, parce qu’elle les estime insuffisamment sanctionnés. Elle n’est pas maîtresse d’école, elle est très pauvre, elle aime cet homme, elle vit avec lui et par lui : que lui importe l’opinion ? Et n’a-t-elle pas déjà une part d’indulgence autour d’elle ? Ses voisines ne sont pas toutes sévères. D’après les doctrines de mademoiselle Hacquin, elle peut se réclamer de la morale. Ah ! moi qui ai cru enseigner les autres, quelle assurance puis-je leur donner ? Mademoiselle Renée a raison : je dois être prudente, je devrais l’être. Je ne le serai pas ! J’agirai comme j’ai agi. Mais je me sens désemparée, et je n’ai personne qui puisse m’aider. Je n’ai pas confiance en celle qui est ma directrice. Elle n’a qu’une intelligence souple, assimilatrice et vulgarisatrice. C’est une receveuse d’idées faites. Elles lui sont indifférentes dès qu’elles lui viennent avec la marque « laissez passer ». Je ne la crois pas sûre. Ce soir, elle m’a embrassée avec un excès qui m’a déplu… Je suis jetée au milieu de difficultés que je ne prévoyais pas. Je n’ai, pour les vaincre, pour passer au travers, que l’instinct, que des exemples anciens, du temps que j’étais petite fille. Dans la nuit, je n’ai pas d’autre lanterne. J’irai quand même. Je ne changerai pas, je ne me tairai pas : seulement, j’ai de la peine. »

Un peu de temps encore, devant sa table, sous la lumière de la lampe, elle songea. Les menus événements de la journée se ranimèrent pour être jugés. Elle n’eut pas de regrets, mais le trouble ne la quitta pas. Comment sortirait-elle de ce drame qui commençait ? Où était l’appui ? Elle sentait bien que Davidée Birot, Phrosine, Anna Le Floch, Maïeul Jacquet, se retrouveraient, qu’il y aurait une suite aux paroles échangées, et que la destinée allait éprouver, peut-être légèrement, peut-être durement, l’âme seule, l’âme désemparée qui veillait sur les buttes bleues devenues toutes noires de l’Ardésie.

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