VII

Ils comptent aussi les jours à la Genivière. Et demain, c’est jour de sortie. Comme il fait bon veiller, cette nuit d’hiver, au coin du feu ! Dehors, il gèle légèrement. Autour du foyer, où les tisons d’un fagot entier se consument peu à peu, recouverts par un bout d’une écorce de cendres, blanche et frémissante, que le vent soulève, les Noellet sont assis en demi-cercle. Le père tresse des paillons pour mettre le pain à lever. Assis et penché en avant, il enroule sur elle-même une torsade de paille qui formera le fond, et lie les anneaux de cette spirale, les uns aux autres, au moyen d’une sorte de lanière verte. Est-ce du jonc, du roseau, de l’osier ? Non, une tige de ronce coupée en quatre. C’est Jacques qui a été cueillir dans les haies ces longs brins souples qui s’allongent derrière sa chaise, et s’enlacent comme des couleuvres. Il les prend un à un, les fend avec son couteau, les passe à son père. Tous deux sont absorbés par ce travail, auquel se prêtent mal leurs mains dures à plier.

À côté, il y a quatre femmes, quatre bonnets blancs inclinés aussi vers le feu, presque pareils, quatre bonnets blancs qui ne causent presque pas, et s’appliquent de leur mieux : la métayère d’abord, un peu parcheminée et amaigrie maintenant, sa fille aînée près d’elle, Marie, plus brune, plus grande et de physionomie plus sévère ; puis Antoinette, alerte, éveillée, toute blonde et rose ; enfin, la dernière et touchant de sa chaise l’autre montant de la cheminée, Mélie Rainette, qui est venue passer la veillée à la Genivière. Elle y vient souvent, depuis quelque temps. Aurait-elle donc changé ? Serait-elle devenue coureuse et folle de plaisir comme tant de filles qui s’en vont bavarder, danser et coqueter de ferme en ferme ? Mais non, voyez-les toutes. Chacune a sur son tablier un peloton de fil, à la main un crochet fin d’acier et une sorte de rosace blanche à jour qui grandit plus ou moins vite, suivant l’âge et l’adresse. Mélie est la plus adroite, naturellement. C’est elle qui a donné aux autres la méthode et le dessin. Ses maigres doigts d’ouvrière, plissés et piqués, tordent le fil d’un effort sûr et rapide. Antoinette et Marie se dépêchent tant qu’elles peuvent. Mais on sent bien qu’elles n’ont pas l’habitude de ce travail. Dans les métairies de Vendée on ne fait pas de dentelle au crochet. Pourquoi donc et pour qui toutes ces femmes travaillent-elles ? À peine si elles se disent un mot de temps à autre. Seulement, quand elles lèvent la tête et qu’elles échangent un coup d’œil, on voit bien qu’elles ont la même pensée. Leurs sourires se parlent tandis qu’elles se penchent de nouveau, de ces sourires aux causes profondes qui durent un peu sur les lèvres, comme une fleur qui a le pied dans l’eau. C’est qu’elles ont le même secret, et qu’elles préparent ensemble la même surprise. Il y a déjà, le croiriez-vous, plus de cinquante roses dans l’armoire. Il en faut cinq cents peut-être. Mais avant deux ans tout sera fini, cousu, prêt à porter. Oh ! la belle aube blanche et mousseuse ! Sera-t-il content quand il la recevra de leurs mains ? Seront-elles heureuses quand elles la lui offriront et qu’il montera à l’autel, habillé en diacre, avec leur aube toute en roses blanches ! Car lui, c’est Pierre, l’aîné de la Genivière, celui qu’on aime et qu’on gâte à l’envi. Il est si beau, si intelligent ! Toutes les espérances de la maison sont sur lui. Les yeux se mouillent de penser seulement à l’avenir. Cher enfant ! comme on l’aime, et comme sa place est bien gardée !

Ce soir surtout, les sourires, les signes d’intelligence sont plus fréquents entre les femmes, parce que demain il sera là. Depuis un mois, on s’en réjouit. Et la joie qui va venir, vous savez, c’est au moins aussi bon que la joie venue. Riez donc, Antoinette, et vous Jacques, et vous Marie, riez vieille maman, dont la jeunesse s’est partagée entre ces beaux enfants et s’est perdue en la leur. Soyez fière ! Demain, vous aurez votre Pierre à vous, tout un jour, comme autrefois.

Le père, en tordant la paille, pense à tout cela, lui aussi. Le voilà, qui étend sa main par-dessus les jambes de Jacques, et saisit la petite rose qu’achève sa femme, de l’autre côté. Il pèse cette toile d’araignée dans sa main lourde, et cela lui paraît drôle. Il essaye de passer un doigt dans le plus grand des jours de la dentelle, et, n’y parvenant pas, il a un haussement d’épaules admiratif.

– Comme c’est fin tout de même, dit-il.

Une fusée de murmures satisfaits lui répond sous les bonnets blancs. Mais nulle ne s’interrompt de travailler, et l’aube merveilleuse grandit, dans le songe recueilli de la veillée.

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