XXVII

La mère Noellet commença aussitôt à préparer les bagages des voyageurs. Ce n’était presque rien : ils n’emportaient qu’un petit panier noir au couvercle fermé par une cheville pouvant tenir quelques provisions et, dans un mouchoir, un bonnet et un col blanc pour Antoinette, qui voulait faire honneur à Paris. Mais la métayère mit à trouver ces choses, qu’elle avait toutes sous la main, bien des fois le temps qu’il y fallait. De l’une à l’autre, elle perdait la mémoire, et s’en allait, par un élan de tendresse, vers ce fils dont elle cherchait à s’imaginer le contentement, les premières paroles, quand il apparaîtrait sur le seuil de la Genivière. Car, maintenant qu’il était libre de rentrer, elle ne voulait pas même penser qu’il pût ne pas revenir. Revenir, n’était-ce pas le remède à tout ? Mon Dieu ! comment ferait-elle pour supporter cette joie, elle qui ne l’avait jamais revu ! Lui-même qu’allait-il dire, en voyant arriver à Paris son père et Antoinette, sa sœur préférée, tout éclatante de jeunesse comme un liseron du matin ?

Ce cher enfant ! elle lui pardonnait si pleinement ses torts, qu’elle se demandait même si elle avait jamais eu au cœur d’autre ressentiment contre lui qu’un grand regret de ne plus l’embrasser. Lui ingrat ? Il ne fallait pas le connaître pour l’accuser ainsi. Il était si reconnaissant, au contraire, des compliments qu’on lui faisait, quand il accourait de l’école, avec la croix d’argent que voici là, justement, dans l’armoire pleine de souvenirs !… La maladie, le chagrin dont parlait la lettre, c’était d’avoir été chassé de la Genivière. Pouvait-il n’en pas souffrir, le pauvre, quand elle, presque une vieille femme, ne vivait plus qu’à demi de ne plus voir son Noellet ? Mais, maintenant, c’était fini. Louis Fauvêpre – ah ! le brave garçon ! – avait décidé le père à ce grand voyage de Paris, et Pierre allait revenir, bien sûr.

Vingt fois elle se surprit à songer de la sorte, et, chaque fois, elle se remettait à trotter, en se grondant elle-même d’avoir si peu la tête à soi dès qu’il s’agissait de son Noellet.

Quand elle eut achevé de remplir le panier, d’épingler le mouchoir et d’étendre sur deux chaises les vêtements bien revus et brossés des voyageurs, le métayer et ses filles dormaient déjà.

Longtemps avant le petit jour, tout le monde se leva, elle encore la première.

Elle alluma un feu de sarments, autour duquel il y eut des adieux répétés, des recommandations inutiles et douces ; puis, dans le matin glacé, la Roussette entraîna Julien et Antoinette, bien émus de quitter la métairie.

La Roussette trottait toujours vite, sur ses jambes menues, comme une chevrette des bois. De bonne heure elle arriva à Chalonnes. La carriole fut remisée à l’hôtel. Les voyageurs traversèrent à pied les ponts de la Loire, montèrent dans l’express de Paris, et, cahotés, roulés, ne s’arrêtèrent plus qu’à trois heures de l’après-midi, gare Saint-Lazare.

Julien Noellet avait passé tout le temps du voyage à causer avec un marchand de moutons, et Antoinette à regarder, par la portière, l’éblouissement des campagnes fuyantes.

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