XIV

Il était huit heures du matin. Le galop d’un cheval, dans la cour de la Cerisaie, fit aboyer le chien, glousser les dindons et paraître deux femmes aux portes.

—  La Framboise ! s’écria la fille de basse-cour.

—  Oh ! dit mademoiselle de Seigny, ce pauvre Cab !

C’était en effet le piqueur du baron Jacques, monté sur Cab qui boitait toujours. Il sauta à terre, et, tenant son cheval par la bride, s’avança vers la jeune fille. Une lettre sortait à demi de la poche de sa veste de velours. Il la prit, et la tendit à Marthe. Marthe se pencha, regarda.

—  La lettre est pour ma tante, dit-elle. Berthe, allez prévenir ma tante : elle est à la laiterie.

La Framboise examinait curieusement les bâtiments de cette Cerisaie, – le seul château qu’il ne connût pas dans un rayon de quinze lieues autour de Marans. – les toits longs des servitudes, aux ardoises moussues que la joubarde fleurissait sur les bords, la cour mal pavée, où des vols de pigeons, des bandes de canards et de dindes se promenaient au milieu de véritables buissons de mauve, une tête d’homme ou de femme apparaissant à droite ou à gauche par une fenêtre basse, par une lucarne de grenier, et disparaissant presque aussitôt. Il y avait de vagues chuchotements derrière les portes.

—  On ne voit donc guère de monde ici ? pensait la Framboise. Ils ont l’air tout ébaubis.

Il jetait aussi de temps en temps un coup d’œil sur la jeune châtelaine, ayant entendu dire, dans le pays, que son maître ferait bien de l’épouser. Et vraiment il approuvait le choix, et se disait mentalement :

—  S’ils se marient tous deux, la Framboise restera à leur service.

—  Toujours boiteux, ce pauvre Cab ? demanda Marthe.

—  Oui, mademoiselle, pour la vie, et monsieur me l’a donné. Il en acheté un autre qu’il appelle d’un drôle de nom : Fre… Fri… non, Fragonard.

—  Ah ! vraiment, fit-elle, Fragonard ?

—  Mademoiselle trouve ce nom-là joli, je le vois bien. Moi, j’aime mieux Cab. Quelle bonne bête, et quel dommage qu’elle soit boiteuse ! Je ne comprends guère M. le baron.

—  Pourquoi donc, la Framboise ?

—  Les premiers jours, monsieur paraissait triste de l’accident ; je comprenais ça, car je l’étais aussi. Eh bien ! ce matin, comme je sellais Cab, dans l’écurie, il m’a dit :

—  Tu vois bien que Cab ne guérira jamais.

—  M’est avis, en effet, monsieur Jacques.

—  On m’en offrirait mille écus que je ne le vendrais pas.

—  Oh ! monsieur Jacques, il n’y a guère de chance qu’on vous en offre ce prix-là.

—  Tu n’as pas idée, François (monsieur m’appelle François chez nous), combien je suis content que cet accident soit arrivé. Je l’aime mieux qu’avant, ce pauvre Cab… Moi, mademoiselle, je ne comprends pas M. le baron, car enfin, un cheval boiteux…

Elle comprenait bien, elle, la petite Marthe de Seigny, et si mademoiselle d’Houllins n’était venue l’interrompre, elle eût certainement continué la conversation avec le naïf la Framboise.

—  Vous avez une lettre pour moi ? dit la vieille demoiselle, qui arrivait en trottant d’une allure de chatte maigre.

—  Voici, mademoiselle.

—  De votre maître, ajouta-t-elle, dans les notes hautes de sa voix, de M. le baron de Lucé… C’est bien de l’honneur, bien de l’honneur qu’il me fait : attendez là.

Elle se faufila dans le corridor, en passant à côté de Marthe qui, demeurée sur le seuil, appela la fille de basse-cour.

—  Victoire, dit-elle, vous donnerez un verre de cidre à la Framboise et un picotin à Cab.

Puis elle alla retrouver sa tante.

Mademoiselle d’Houllins arpentait le salon, la lettre à la main. Ses doigts froissaient le papier. Par-dessous ses lunettes, elle y jetait des regards peu tendres, et ses lèvres pincées marmottaient quelque chose d’inintelligible. Après avoir fait deux ou trois tours, sans paraître s’apercevoir que Marthe était là, elle s’arrêta devant elle, et, croisant les bras :

—  Croirais-tu que ce jouvenceau a eu l’audace de m’envoyer une invitation ? Tiens, lis, ma chère, le billet n’est pas long.

La jeune fille prit la lettre des mains de sa tante, et lut ceci :

« La Basse-Rivière, 3 juin.

» Le baron de Lucé fera pêcher demain, à une heure, dans la Fosse aux Perches. Il serait heureux si mademoiselle d’Houllins, au double titre de voisine et de riveraine, voulait bien lui faire l’honneur d’assister à la pêche. »

Mademoiselle d’Houllins se trouvait fort embarrassée. Elle gardait encore rancune à son voisin du ridicule qu’elle s’était elle-même attiré par sa conduite envers lui, suivant l’usage ordinaire qui est d’en vouloir à autrui des sottises qu’on commet soi-même. Un peu trop jeune pour apprécier à sa valeur la merveilleuse recette du silence, Jacques de Lucé ne s’était pas fait faute de raconter sa première visite à mademoiselle d’Houllins. L’histoire avait eu du succès. Bubusse était devenu légendaire, et le lièvre, cause innocente de tant de bruit, coup de fusil, querelle et procès, courait encore de temps en temps dans les conversations des châtelains des environs.

Mademoiselle d’Houllins savait tout cela. L’éclat de rire moqueur qu’elle avait provoqué bourdonnait encore à ses oreilles. Aller à la Basse-Rivière sans avoir reçu d’excuses, se retrouver face à face avec Jacques de Lucé, et chez lui, elle ne pouvait s’y résoudre. D’un autre côté, refuser une invitation, prolonger la crise, c’était maladroit : elle le sentait.

Marthe se trouvait prise pour arbitre.

Avec cet instinct diplomatique dont les femmes sont douées dès leur enfance, et qui est cause de tant de merveilleux dénouements autour d’elles, la jeune fille avait deviné le problème à résoudre, et tenait déjà la solution.

—  Eh bien ! ma tante, fit-elle d’un ton indifférent, c’est une avance.

—  Une avance bien légère, après son inqualifiable conduite !

—  Comment voulez-vous qu’il fasse mieux ? Il n’aura pas osé venir lui-même ici, de crainte de vous paraître audacieux. Il vous écrit. L’attention est aimable, les termes sont très polis : vraiment, cette lettre ne peut vous offenser.

—  Elle ne m’offense pas non plus. Mais l’invitation est inacceptable : me rendre seule chez lui, c’est au-dessus de mes forces ; m’y rendre avec toi, c’est impossible.

Marthe resta quelque temps silencieuse, relisant la lettre qu’elle savait par cœur. Puis elle dit :

—  Aller chez lui, peut-être… mais il y aurait un moyen.

—  Et quel moyen trouvez-vous donc dans votre petite tête, mademoiselle, puisque moi je n’en ai pas trouvé ?

—  Voyez, ma tante… M. de Lucé vous traite de voisine et de riveraine. Eh bien ! comme riveraine…

—  Tiens, tiens ! accepter comme riveraine ? Assister à la pèche sur nos terres et sans fouler les siennes ? Voilà une idée.

—  Il me semble, en effet, que cela concilie tout.

—  Oui, vraiment : une vraie trouvaille que tu as faite là.

—  C’est pour une heure, ma tante.

—  Puisque nous serons chez nous, je t’emmène, petite. Seule, je m’ennuierais trop.

—  Comme vous voudrez, répondit Marthe négligemment.

La partie était gagnée. Mademoiselle d’Houllins traça les lignes suivantes sur une feuille bleue, qui portait sa date antique sur les rebords fanés que le temps fait au papier :

« Mademoiselle d’Houllins, au double titre de voisine et de riveraine, remercie monsieur de Lucé de l’avoir prévenue de la pêche qui aura lieu dans la Fosse-aux – Perches, cet après-midi. Elle y assistera dans le pré des Olivettes, qui appartient à sa nièce. »

La Framboise repartit avec cette réponse, dont la vieille demoiselle était si satisfaite, qu’elle fut d’une humeur presque égale de neuf heures à midi.

Quand midi sonna, elle alla s’apprêter en maugréant. Depuis dix minutes déjà, on entendait Marthe qui chantait à sa fenêtre, prête à partir.

Pour ne pas déchirer, l’une sa jolie robe mauve, l’autre sa robe de tartan noir, aux échaliers des champs, Marthe et sa tante prirent le chemin de Marans. Elles traversèrent le bourg, et arrivèrent à une heure au pré des Olivettes. À la barrière, elles trouvèrent Jacques de Lucé. Mademoiselle d’Houllins fit un pas en arrière. Il s’inclina, et lui dit avec cette courtoisie de bonne humeur dont il ne se départait que bien rarement :

—  Je vous remercie vivement, mademoiselle, d’avoir accepté mon invitation. J’ai peur seulement que la pêche ne vous intéresse guère. Nous vous avons attendue pour la commencer. Vous serez très bien pour la voir au bout des Olivettes, mais comme il y a plusieurs petits fossés dans votre pré, et que l’herbe est haute, voulez-vous me permettre de vous donner le bras ?

—  Volontiers, dit-elle.

Ils passèrent devant, et, dans le court trajet qu’ils firent ensemble, le baron et mademoiselle d’Houllins, réconciliés, causèrent de vingt sujets. M. de Lucé promit notamment à sa voisine d’opérer un certain échange de terres auquel elle tenait beaucoup. Arrivée à l’extrémité du champ, mademoiselle d’Houllins était aussi radieuse qu’elle pouvait l’être.

—  Au revoir, mon voisin, dit-elle au jeune homme qui prenait congé d’elle pour aller retrouver les pêcheurs.

—  À bientôt, mademoiselle.

Puis, saluant Marthe, il alla rejoindre sur l’autre bord de la rivière, un peu en aval, plusieurs voisins et voisines, également invités et qui, n’entretenant que de rares relations avec la Cerisaie, se contentèrent d’un salut et de quelques mots de bienvenue à l’adresse de mademoiselle d’Houllins et de sa nièce.

Près d’eux, causaient et riaient quinze gars du pays, vêtus de leurs plus vieux habits, chaussés de sabots et armés, la plupart, de longues perches terminées par un marteau de bois, en langue locale, des ribots. Cinq seulement ne portaient pas de bâton, et tenaient un de ces larges filets en forme de poche, montés sur un demi-cercle de bois et traversés par un manche, que l’Académie nomme trouble, et que dans le dialecte populaire on appelle bâches.

La petite rivière avait été barrée à cinq cents mètres environ de l’écluse, la vanne ouverte, et la plus grande partie de l’eau s’était écoulée. Il restait seulement des fosses plus ou moins profondes, une succession d’étangs séparés par des chaussées de vase. La chaleur était extrême. L’air embrasé dansait au-dessus du sol fendu en mille endroits. On sentait un orage en formation. Sur les berges, les feuilles de nénuphar et les roseaux, demeurés à sec depuis le matin, se fanaient et se tordaient déjà sous l’action du soleil. On y pouvait suivre de l’œil, dans la boue encore molle, de longues raies se croisant en tous sens, qui indiquaient les pérégrinations nocturnes des anguilles surprises par la baisse rapide de l’eau. Des fagots pourris apportés par les crues d’hiver, des racines d’arbres enchevêtrées, d’où sortaient d’énormes gerbes d’herbes fluviales, tapissaient çà et là le fond des fosses : obstacles à la pèche, écueils où se déchirent les filets, où les lignes se mêlent et cassent, mais retraites sûres pour le poisson. Rien n’annonçait cependant qu’il y en eût là, pas une ride sur l’eau, pas un remous : tout semblait mort.

Les quinze gars de Marans combinaient entre eux l’attaque, et ne doutaient pas du succès.

—  Nous commençons par l’écluse, cria le baron Jacques, du bout du pré. À moi, mes amis, et en avant !

Deux minutes plus tard, les pêcheurs se mirent à l’eau. Les bâcheurs tendirent leurs troubles à l’entrée des cavernes formées par les racines, dans les endroits profonds et remplis d’herbes, tandis que les riboteurs, postés deux à deux, à droite et à gauche, frappant l’eau, fouillant la vase, épouvantaient le poisson, et le poussaient dans le filet. Au premier bruit, plusieurs brochets, des perchaudes au corps zébré, aux nageoires rouges, s’étaient élancés hors de la fosse, et, remontant le mince filet d’eau qui la reliait à la fosse voisine, avaient provisoirement échappé. Mais combien d’autres n’échappaient pas ! Chaque fois qu’une trouble se relevait, c’étaient dix, vingt, trente gardons frétillant dans la poche, des brèmes vertes, des brochetons, une anguille qui cherchait à forcer les mailles avec son museau, parfois une carpe ou une perche et des goujons à la douzaine. Des cris de joie partaient de la prairie, car les enfants du bourg étaient accourus en masse, et quand les bâcheurs, d’un tour de leurs bras noirs de vase, lançaient en l’air les poissons qui retombaient sur la rive, éparpillés, les écoliers courant, sautant, criant, les ramassaient, et les jetaient, morts ou vifs, dans des baquets pleins d’eau. De temps à autre seulement, quand une grosse pièce avait été prise, un des pêcheurs, la tenant par les ouïes, sortait de la rivière, et tout fier, tout rouge, traînant à ses sabots des rubans d’herbe boueux, allait la mettre lui-même en lieu sûr.

Quand la première fosse eut été complètement explorée, on passa à la seconde. La chaleur était intolérable sur les bords de la rivière, dénudés en cet endroit. Quelques-uns des invités se rapprochèrent du château. Le baron Jacques quitta aussi le lieu de la pèche, et remonta lentement le cours de l’eau, sous prétexte d’inspecter le barrage et de s’assurer qu’il était bien étanche. Les arbres groupés des deux côtés de la rivière, près du pré des Olivettes, l’attiraient, et plus encore l’aimable Marthe qui se reposait à leur ombre.

Le pré des Olivettes avait la forme d’un triangle. Une de ses pointes touchait la rivière, qui tournait autour de cette pointe devenue presqu’île. Des aulnes d’une belle venue, un chêne, des noisetiers sauvages, formaient un bosquet naturel dans cette partie du pré, et comme l’autre bord était également boisé, les branches se rejoignaient au-dessus du ruisseau. On eût dit que l’eau courait dans une charmille. Elle était en cet endroit plus transparente qu’ailleurs : peut-être à cause des bancs de roseaux qui s’étendaient en amont, et la filtraient au passage, peut-être à cause du lit de feuilles et de mousse qui tapissait le fond. Toute la verdure des bords s’y reflétait, depuis les petites graminées jusqu’aux chênes. On y voyait passer les oiseaux qui volaient dans les arbres. Au moindre souffle, toute la voûte verte s’y balançait sans que la surface fût même ridée : le vent n’atteignait pas là. C’était une retraite charmante, qui portait à la rêverie.

Et Marthe y rêvait. Pendant que sa tante d’Houllins s’asseyait à trente pas en arrière, le long de la haie, et, vaincue par la chaleur, peut-être aussi par le livre qu’elle tenait sur ses genoux, s’abandonnait au sommeil, la jeune fille avait cherché un endroit commode d’où elle put suivre de loin la pêche sans s’exposer au soleil, l’avait trouvé à la pointe des Olivettes, et s’était posée là, sur le tronc d’un aulne abattu.

Nous venons de dire qu’elle y rêvait. À qui ? Sans doute un peu à ce jeune voisin qui, dans le même instant, s’approchait sur l’autre rive du ruisseau. L’avait-elle vue ? Avait-elle deviné son approche au froissement des herbes, à la fuite effarouchée d’un martin-pêcheur qui s’était perché, tout bleu et or, en face d’elle ? Elle avait l’air très candide, le sourire d’une pensée intime et tranquille plissait très finement sa bouche et ses yeux bleus, sa main droite tenait une ombrelle, et sa gauche retombait négligemment au niveau des herbes du pré, qu’elle tourmentait.

Jacques la voyait. Il avait pris une allure délibérée, levait la tête, regardait la rivière, s’arrêtait, et se retournait pour n’avoir pas l’air de venir surprendre la jeune fille, mais son pas était d’un brigand : il en étouffait le bruit avec le soin le plus scélérat, marchait volontairement sur les touffes épaisses de ce trèfle appelé mignonnette, qui sont communes dans les prés, évitait les nids de feuilles mortes, et jetait fréquemment un coup d’œil entre deux arbres pour voir s’il était découvert. Idée d’amoureux : approcher sans être reconnu, la considérer un instant dans son attitude naturelle et reposée, lire peut-être sur son visage le mot qu’il y cherchait, se montrer, jouir de la surprise, et s’excuser d’être venu si étourdiment interrompre ses méditations, tel était le projet.

Il réussissait à souhait : mademoiselle de Seigny ne levait pas les yeux.

Jacques de Lucé parvint jusqu’en face du pré des Olivettes, et se tint debout entre deux souches couvertes de lierre. Elle était là tout près. Il la regardait, ému doucement, prêt à la saluer d’un bonjour amical. Elle ne bougea pas.

—  Est-ce étrange, pensa-t-il, qu’elle ne m’ait pas vu !

Il étendit les bras, et, se retenant aux troncs des arbres, se pencha au-dessus de l’eau, espérant que ce mouvement éveillerait l’attention de la jeune fille.

Elle demeura immobile.

Mais les premières gouttes d’une pluie d’orage commencèrent à tomber. L’une d’elles, perçant le feuillage, heurta la surface de l’eau, et rejaillit. Instinctivement, Jacques l’avait suivie des yeux. Le petit lac, un instant ridé, reprenait déjà son calme. Le jeune homme s’aperçut alors que son image se projetait jusqu’au milieu du ruisseau, et que c’était là, peut-être, le point tout voisin d’elle que Marthe fixait. Elle regardait en bas, il regardait devant lui : ils se voyaient tous deux. En même temps, mademoiselle de Seigny se leva.

—  Mon voisin, dit-elle, c’est mal à vous de surprendre ainsi les gens !

Elle attendait, essayant de sourire, inquiète au fond de ce qu’il allait répondre.

—  Oh ! ne m’en veuillez pas, dit-il, puisque nous sommes réconciliés depuis une heure. Si vous saviez, mademoiselle, comme je suis heureux ! Mademoiselle d’Houllins a tout oublié. Pour moi, c’était fait depuis longtemps…

—  Elle dort, dit Marthe tout doucement, en inclinant son ombrelle.

—  Où donc ?

—  Tout à côté.

—  Nous allons être de vrais voisins désormais, reprit à demi-voix Jacques de Lucé. Je vais pouvoir me présenter à la Cerisaie, où vous m’avez si bien accueilli, vous, mademoiselle.

—  Oh ! monsieur !

—  J’ai bien souvent pensé, depuis, à cette heure où je vous ai retrouvée, après douze ans, la même encore et si… charmante…

Elle écoutait maintenant, les yeux baissés, sérieuse ; elle avait envie de partir et de rester.

Il continua :

—  Oui, ce souvenir m’est souvent revenu, et c’est lui, je crois, qui m’a amené ici. Pardonnez-moi si je vous ai surprise : j’avais peur, en faisant du bruit, de faire envoler l’apparition…

—  Jacques ! Jacques ! où es-tu ? viens donc, une carpe superbe ! cria un des amis du baron.

—  Marthe, ma fille, gémit mademoiselle d’Houllins réveillée par la pluie, viens vite, il pleut !

La jeune fille se détourna rapidement, et quitta le bosquet des Olivettes. Jacques vit sa robe mauve disparaître derrière les noisetiers.

—  Qu’as-tu, mon enfant, tu pleures ? dit mademoiselle d’Houllins quand Marthe fut près d’elle.

—  Rien, ma tante, répondit-elle, les premières gouttes d’orage.

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