XXII Au généralife

19 octobre.

Grenade a secoué la pluie d’hier. Un peu d’eau tremble encore et rit au bout des feuilles, dans les jardins du Généralife, où nous sommes montés. Les Arabes étaient de grands jardiniers. L’idée de planter de fleurs et d’arbres cette haute colline, de l’arroser de centaines de petits ruisseaux, pour que la fraîcheur y régnât en toute saison, était une idée heureuse, et celle également de border l’avenue principale de deux haies d’ifs noirs, arbustes impénétrables, dont chacun fait une ombre assez large pour le repos d’un homme, dont la suite régulière ouvre une série de fenêtres sur les deux plus belles vues qu’on puisse contempler, la Sierra Nevada et la campagne de Grenade. Nous étions absolument seuls aujourd’hui au Généralife. Le ciel était bleu ; la plaine, avec ses veines et ses reflets, ressemblait aux faïences de cet Alhambra, superbe au-dessous de nous. Alors, nous nous sommes assis, simplement pour vivre là une demi-heure, dans la joie. D’en bas, de quelque sentier invisible, perdu entre les cactus, une voix s’est élevée. Elle était jeune ; elle disait : « Je t’aime mieux que ma vie ; – je t’aime mieux que ma mère, – et, si ce n’était un péché, – plus que la Vierge du Carmel. » La réponse de la jeune fille ne vint pas. Je la connaissais pour l’avoir entendue ailleurs : « Si la mer était d’encre ; – si le ciel était de papier blanc… » C’est de la simple poésie d’amoureux, indéfinie. Je la trouvai émouvante en ce moment, parce qu’elle me semblait chanter la gloire de Grenade, sa beauté qu’on ne peut dire qu’avec des mots extrêmes.

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