…………………………

– Racontez-moi, racontez-moi, supplia l’infirme. Et d’abord êtes-vous bien sûr d’avoir compris ?

– Oui et non… Pas un moment il n’a ouvert les yeux, ni seulement bougé les doigts que je tenais serrés dans ma main, mais sa voix était quand même haute et forte, elle sonnait comme une trompette.

– Une trompette ? Et comment avez-vous pu me dire tout à l’heure que vous deviez coller votre oreille sur sa bouche ?

– Enfin, je l’ai cru… Mais si, Guillaume, je t’assure, elle sonnait comme une trompette. Il est vrai que j’étais un peu ivre. Jambe-de-Laine a gratté longtemps contre la porte, pauvre folle ! – elle n’était pas sûre que l’autre fût parti ; elle m’entendait geindre en dormant, comme M. Ouine. Car il geint toujours en dormant, figure-toi, et même éveillé, les yeux grands ouverts, tout à coup – dix secondes, vingt secondes peut-être – comme ça : heu… heu… quelle horreur !

– Alors ?

– Alors ? Eh bien ! voilà. Je pense que le pauvre type est mort maintenant.

– Vous ne trouvez rien à dire de plus, Philippe ? Non ? Oh ! Steeny, mon petit Steeny, je vous ai vu l’autre nuit, en rêve, cloué par le milieu de la poitrine sur un rocher aride, une espèce de muraille flamboyante, un mur de sel et, avant que j’aie pu seulement prononcer un mot, vous m’avez crié : « Non, non, reste là, ne bouge pas, laisse-moi », absolument comme si vous étiez déjà damné.

– Tu m’embêtes. On lit ces histoires-là dans les manuels. Et d’ailleurs tu sais nos conventions, je fonce droit devant moi, toujours. Si la vie n’est qu’un obstacle à forcer, je la force, je sortirai de l’autre côté tout écumant, tout sanglant. Et toi, tu me suis, mais de loin, nous te verrons déboucher à ton tour, portant le poids de mes péchés. Enfin tu es mon âme, fiche-moi la paix, notre salut c’est ton affaire… Écoute, Guillaume…

La pauvre maison, avec sa ceinture de goudron, son crépi blême, ses minuscules fenêtres continuait d’entrer lentement dans le jour, poussait lentement hors de la nuit, ainsi qu’une carène naïve, ses vieux flancs ruisselants d’ombre. Un nuage, en passant, l’enveloppa de sa silhouette vertigineuse, poursuivit de colline en colline sa course démesurée, s’évanouit.

– Écoute, Guillaume… j’ai manqué à ma parole, j’ai manqué à ma parole le jour même où je me suis réellement senti une parole, le premier jour de ma vie d’homme. Rien pourra-t-il jamais effacer ça ?

La main du petit infirme s’était posée dans la sienne et il la sentait centre sa paume, aussi dure, aussi froide qu’une main morte.

– C’est ma faute, Philippe. Quand vous avez frappé, je vous ai reconnu tout de suite à travers la vitre, j’aurais dû vous laisser le temps de respirer. Oui, vous parliez d’une voix de somnambule, vos yeux tournaient comme des lampes.

Il essaya de croiser sur la poitrine les deux béquilles qui claquèrent l’une contre l’autre, lugubrement. Mais Philippe, à plat ventre, ne cessait d’épier le petit visage résolu, peu à peu cerné par l’aube, au ras de l’herbe. Le jour insidieux en accusait encore l’excessive, la pathétique mobilité. Il voyait se tendre l’arc douloureux de la bouche, la double fossette au creux livide, la recherche anxieuse puis la brusque concentration du regard, tout ce drame familier dont il connaissait depuis longtemps chaque rite secret.

– Tant pis, murmure la voix dans un souffle, pour eux seuls – comme si la vieille maison pouvait entendre – ne vous mettez plus en peine de ça, Philippe, ne tournez jamais la tête en arrière, ne pensez jamais qu’au lendemain. Et puis dépêchons-nous ! Dépêchons-nous de faire de grandes choses ensemble, j’ai trop peur de ne pas pouvoir vous suivre jusqu’au bout, vous m’aurez usé avant.

Il a glissé les deux mains sous sa nuque et le jour éclaire en plein le visage de nouveau méconnaissable, avec son doux sourire sans âge.

– Répondez-moi, Steeny, ne faites pas le têtu. Ou alors menez-moi un peu plus loin, jusqu’aux étables ; ils vont se lever d’une minute à l’autre.

–Pas la peine, dit Philippe, ce ne sera pas long. Mon Dieu ! Pourquoi t’ai-je raconté cette histoire ? Il est vrai que je n’avais pas beaucoup dormi, l’averse sonnait sur ma tête, jamais je n’avais tant désiré te voir, toucher ta main, t’entendre ! Pense donc ! J’avais eu beau chercher du haut de la crête les feux de la gare du Plantier, pas moyen, la nuit me poussait dans le dos… Ils auront trouvé ce matin le lit vide, mon chapeau est encore sur la table, et en ouvrant la porte à tâtons, j’ai dû casser quelque chose, un cadre, un vase, je ne sais quoi, cela craquait sous mes bottes… Après tout, ce n’est qu’une phrase tellement obscure, l’imagination d’un ivrogne agonisant, une leçon répétée peut-être ?… Qui pourrait le dire ? D’abord, figure-toi, il n’a même pas voulu tourner les yeux. Ginette avait tiré son bras maigre hors des couvertures, le secouait : « Anthelme, Anthelme ! voilà Philippe… Philippe, le petit Philippe auquel tu as toujours quelque chose à dire. (Oui, mon amour, ne le pressons pas trop, laissons-lui prendre son temps, il s’agit, je crois, de votre père, mon amour !…) Anthelme ! allons, Anthelme… » L’autre s’ébrouait, reniflait ou geignait à petits coups en faisant « non ! » de la tête, tu aurais cru voir une nourrice avec son marmot, pouah ! Enfin il a tout de même cessé de pleurnicher. Jambe-de-Laine m’a poussé aussitôt vers le lit, ses deux mains sur sa poitrine, sa tête contre ma joue : « Il va parler, mon ange, écoute ! écoute ! Délivre un peu sa pauvre âme ! » C’est alors qu’il m’a dit cela… cette chose…

– Quoi, au juste ? Tâche de te souvenir. Répète-le-moi mot à mot.

– Est-ce que je me rappelle ? Il m’a parlé de mon oncle François, que je n’ai jamais vu, qui est brouillé avec ma mère, – de mon père qui était son camarade au lycée d’Étouy – son copain, son vrai copain ! – ajoutant chaque fois d’autres mots incompréhensibles. Les longues mains de Ginette me passaient sous le nez, je crois qu’elle lui pinçait les côtes, il faisait hi ! hi ! avec une grimace. N’oublie pas qu’il empestait l’alcool, l’odeur de l’alcool couvrait tout… Enfin il a crié – mais j’ai menti, ce n’était pas d’une voix de trompette – il a répété deux fois, le plus fort qu’il a pu : « Philippe n’est pas mort, garçon. Ton père vit toujours, mon garçon ! » Après quoi, ayant hoché gravement le menton à la manière du croquant qui vient de faire un bon tour – de vendre une vache soufflée, par exemple, ou un cheval cornard – il s’est remis à pleurnicher de plus belle, tandis que les larmes de Jambe-de-Laine me coulaient dans le cou. « Garde cela pour toi, Steeny. Il l’a voulu, nous devons respecter sa volonté, la volonté d’un mourant, n’est-ce pas, mon ange ? » Puis elle m’a demandé ma parole d’attendre, de ne rien dire à personne sans sa permission. «Pas un mot à notre ami, surtout ! » … Notre ami, c’est M. Ouine. Je l’ai donnée naturellement. J’ai donné ma parole… Une parole d’honneur à Jambe-de-Laine, je voudrais savoir ce qu’il en pense, M. Ouine !

– Vous me l’amènerez, M. Ouine, – si ! vous me l’amènerez, je le veux ! Je le veux. Promettez-moi que vous me l’amènerez ? Vous me l’amènerez demain.

– Demain ? Pourquoi pas tout de suite ? Est-ce que je sais seulement où il sera demain ? Mon vieux, figure-toi, il m’a servi lui-même à dîner – du pain de mie, de la marmelade – un dîner de bonne sœur, quoi ! sur sa triste petite table de bois blanc. Et puis j’ai bu comme je n’avais jamais bu, mon cher. Alors, il a dû me coucher dans son lit. Peut-être l’ai-je vu après, un peu plus tard, en casquette, dans un drôle de paletot de cuir, et ses ridicules guêtres de toile, tu sais, comme on en vend dans les bazars. Peut-être l’ai-je vu, peut-être ne l’ai-je pas vu, peut-être n’était-ce qu’un rêve ? Quand je me suis réveillé tout de bon, il était parti.

– Parti ? Parti pour où ?

– Est-ce que je sais !

– Tout de même, en pleine nuit, sous ces torrents d’eau ! Regarde, les pâtures en bas sont noyées, la rivière a monté jusqu’au chemin de Langle.

– Que veux-tu que je te dise ! Il n’était plus dans la chambre, voilà tout. Après ça tu peux très bien croire qu’il était allé simplement coucher ailleurs, à l’étage au-dessus, par exemple. L’épatant, c’est qu’on peut l’imaginer dans n’importe quelle conjoncture vraie ou fausse, vulgaire ou inouïe, tragique ou comique, absurde – il se prête à tout, il se prête à tous les rêves. Moi, au contraire, je l’imagine très bien sous « ces torrents d’eau » dans la nuit noire, vers quelque but connu de lui seul, vers son but.

– Je dois le voir, reprit l’infirme pensif. Comment osez-vous parler de lui sur ce ton, quand hier encore vous ne le connaissiez guère plus que moi !… Quel homme est-ce donc ? Ah ! Steeny, j’ai peur pour vous.

– Idiot !

– Mais non, Philippe, je vois plus de choses qu’on ne pense, d’ici, de ce perchoir, avec ce sale village sous mes yeux, tout le jour. J’avais tellement espéré que vous me tireriez de là, mon ami ! Et maintenant, il me semble… Oui, vous avez beau rire ! J’en sais plus que vous maintenant, plus qu’aucun d’eux, j’ai trop souffert. Souffrir, voyez-vous, cela s’apprend. C’est d’abord comme un petit murmure au fond de soi, jour et nuit. Jour et nuit, qu’on dorme ou qu’on veille, n’importe ! Il arrive parfois que vous croyez ne plus l’entendre, mais il suffit de prêter l’oreille : la chose est toujours là qui parle, dans sa langue, une langue inconnue. Des semaines et des semaines passeront encore, et tout à coup, brusquement, voilà que vous commencez à comprendre. Oh ! sans doute, il y a comprendre et comprendre ! Naturellement, ce ne sont pas des mots, des phrases qu’on puisse répéter tels quels et cependant la conversation est établie, vous n’êtes plus seul, vous ne serez plus jamais seul. Même lorsque vous vous sentez bien creux, bien vide, la souffrance fait la demande et la réponse, pense pour vous. Il n’y a qu’à la laisser travailler. Quand je songe à ce que j’étais l’année dernière, tenez, Philippe, j’ai honte ! Si maladroit, si grossier ! Je n’aurais pu vous servir à rien.

– Et maintenant ?

– Maintenant je ne cherche plus à vous comprendre, je n’ai pas besoin : il me semble que toutes vos peines passent par moi.

Il détourne les yeux. Le beau visage de Steeny vient de se durcir, ses lèvres tremblent.

– Je te défends, dit-il.

Mais sa voix exprime moins la colère qu’une crainte farouche, irraisonnée.

– Ce ne sont pas des peines, d’ailleurs, reprend-il en secouant la tête. Je te défends d’appeler ça des peines. Voilà beau temps que je n’ai plus de maison, – une cage de briques avec deux jolies bêtes dedans, ce n’est pas une maison.

– Philippe !

– Eh bien quoi ? Si le mot te gêne, pense à des tourterelles, à des colombes. je ne dépasse pas les bornes de la licence poétique. D’ailleurs la comparaison ne vaut que pour l’une des deux. On ne peut pas voir maman sans penser aussitôt à une cage dorée. Mais l’autre… Je la vois plutôt avec une muselière d’acier à son perfide petit museau, comme mes furets putoisés. N’importe ! Vois-tu, Guillaume, les types parlent toujours de la maison paternelle. Ça a beau être un peu coco, un peu romance. c’est vrai qu’il n’y a pas de maison maternelle.

– Alors ?

– Alors, je ne me suis jamais senti si libre, mon vieux. Léger comme une abeille. Je ferai mon miel partout.

– Vous ne pensez pas ce que vous dites, Philippe. Pourquoi mentir ? Vous me l’avez dit cent fois : ce que je hais le plus au monde, c’est la facilité. La facilité vous dégoûte.

– Et après ? Quand je mesure le temps que nous avons perdu à chercher des héros dans nos livres, j’ai envie de nous battre, Guillaume. Chaque génération devrait avoir ses héros bien à elle, des héros selon son cœur. On ne nous a peut-être pas jugés dignes d’en avoir des neufs, on nous repasse ceux qui ont déjà servi. Servi depuis 1789, avec une légère éclipse vers 1880, en faveur des héros de la science, autre soldat-citoyen, autre libérateur des peuples, autre champion de la démocratie et du droit, zut et zut, et zut ! Le plus comique, mon vieux, c’est qu’en 1914, forcés de justifier les définitions des manuels scolaires, la presse de leur imagerie d’Épinal a failli ne pouvoir suffire aux commandes. Trois, cinq, six millions de héros d’un seul coup. Autant de héros que de gros sous ! Ça vous dégoûte des hommes de bronze. Vive le héros en pâte d’amandes !

– Et pourtant, Philippe, vous êtes dur. Rien ne pourra jamais changer ça.

– Dur ? Avide plutôt. Ah ! oui ! avide. Tu ne trouves pas qu’ils ont tous l’air de regarder la vie de loin, de bas en haut, chapeau à la main, comme un monument ? Comprends-tu ce que je veux dire ? Palais, cathédrale, musée, – ou simplement gendarmerie, caisse d’épargne, selon le goût de chacun. La vie pour nous, ça ne doit pas être un but, c’est une proie. Et pas une seule, des milliers et des milliers de proies. autant que d’heures. Il s’agit de n’en rater aucune, avant la dernière, la dernière des dernières, celle qui nous échappe toujours, – couic ! Une chose qui bouge, et tu sautes dessus. Dès lors, pourvu que tu t’empares de l’animal, qu’importe si c’est par ruse ou par force ? Tu peux le poursuivre ou l’attendre, l’affûter, le tirer posé ou branché, le prendre au gîte. Ou encore l’avaler au passage comme une truite, à contre-courant, qui engoule le frai. « Je vous apprendrai, m’a-t-il dit, à vous remplir de l’heure qui passe !… »

– Qui ça, il ? Oh ! pas besoin de me répondre, allez ! Écoutez, Philippe, c’est horrible ; je suis sûr que vous venez de parler exactement comme lui, je n’aurais pas reconnu votre voix.

– Vrai ! Ne te moque pas de lui, Guillaume. Au grand jour, avec ses yeux mi-clos, ses joues glabres, il a l’air de n’importe quoi, d’un agent voyer, d’un mauvais prêtre. C’est dans sa petite chambre de Néréis qu’il faut le voir – tu dirais une chambre de bonne – entre ces quatre murs nus. Tu sais, parmi tant de gens qui se ressemblent, dont la ressemblance est ridicule, odieuse, obscène, – tous pareils, quelle ignominie ! – on rencontre parfois des types, on pense : « Celui-là, c’est Rastignac, ou Marsay, ou julien Sorel », – mais on sent presque aussitôt que ce n’est pas vrai, qu’on est en train de jouer avec soi-même, avec son rêve comme un chaton avec sa queue. Tandis que M. Ouine… Tiens, ce mot de héros, – quand il fixe sur toi son regard dormant, son regard qui a l’air de flotter au ras d’une eau grise – tu ne pourrais pas le prononcer sans rire. Et pourtant… Car nos héros, eux aussi, que veux-tu, ils se ressemblent ! Lui est particulier, unique.

– Taisez-vous, dit Guillaume, vous ne l’aimez pas.

– Je n’ai pas besoin de l’aimer.

– Vous vous servez de lui contre vous-même, il vous venge. Mon Dieu, Philippe, rien ne vous arrêtera plus !

– De quoi te plains-tu ? C’était dans nos conventions, vieux frère. Foncer droit devant moi, toujours. Quand le premier pas est fait, il n’y a plus qu’à garder l’équilibre, la pente vous tire toute seule. Ainsi je me demande pourquoi je suis venu chez toi ce matin. J’ai manqué à ma parole et je crève de froid dans ma veste trempée. Beau résultat !

– Rapprochez-vous, dit doucement le petit infirme, rapprochez-vous que je tienne votre main dans les miennes… là… ainsi… Mon Dieu, Philippe, vous allez me laisser seul, je ne vous reverrai peut-être plus. Comment exprimer en une minute ce que j’ai mis tant de jours à comprendre ? Et remarquez que ça aurait sauté aux yeux de n’importe qui. Philippe, vous avez trop longtemps tenu chez vous la place d’un mort.

– Et après ?

– Ne m’interrompez pas. Sinon je ne saurai plus, je perdrai le fil. Il y a mort et mort. Les morts de la guerre sont des morts à part, pas comme les autres. Les épuisés, les résignés, ceux que la maladie, les fièvres, les sueurs ont dégoûtés de leur corps, qui finissent par le haïr – j’ai connu ça, moi, Philippe – ou bien ceux que la catastrophe a surpris, qui sont entrés dans la nuit les yeux grands ouverts, tels quels, avec leurs pauvres petits soucis quotidiens – une lettre à écrire, une visite à faire, un rendez-vous, l’apéritif, que sais-je… au lieu que…

– Es-tu bête ! La cheminée qui dégringole, l’autobus qui vous tombe dessus, une balle en plein front, quelle différence ?

– Énorme, Steeny ! La mort pouvait les prendre à l’improviste, elle ne les surprenait pas. Abattus en pleine vie, en pleine force et presque toujours à la minute même, comprends-tu, où ils engageaient les dernières réserves d’énergie, les dernières réserves de l’âme. Comment veux-tu que ce soient des morts pareils aux autres, qu’ils acceptent, qu’ils se résignent ? Si ! Si ! écoute encore, écoute jusqu’au bout. Maintenant cette idée-là ne me quitte pas, ni jour ni nuit. La nuit surtout. Vers deux ou trois heures, quand la fièvre tombe, il se fait autour de moi, en moi, en moi plutôt un silence si profond – tu ne peux pas comprendre ! – si profond que je me figure… Mon Dieu, faut-il croire que rien – rien ne passe jamais d’un monde dans l’autre, jamais rien ? Un murmure, une rumeur, que sais-je ? Ça ne t’est pas arrivé de marcher un soir d’octobre, du côté de Brinqueville, sur le plateau, lorsque la brise vient du nord-ouest ? Si tu colles bien ton oreille contre la terre, retenant ton souffle, tu finis par entendre une espèce de roulement sourd qui ne rappelle aucun des bruits de la plaine, qui retentit au creux de la poitrine, qui te serre le cœur : c’est la grande marée d’équinoxe vers Roulers ou Briville là-bas… Peut-être as-tu mis ton oreille juste au point qu’il faut, à la place même où commence à devenir perceptible – pas plus fort qu’une roue de charrette – l’immense détonation des vagues qui va se répercutant sur des milliers et des milliers de milles de mer, sous d’autres cieux que le nôtre – pas plus fort qu’une roue de charrette, tu te rends compte ? Eh bien…

– Je devine où tu vas… Mais sois tranquille, mon vieux, les morts sont morts.

– Pas ceux-là ! Pas comme tu penses !

– Des blagues ! On les a oubliés tout de suite, au contraire, tes morts. Ils étaient trop.

– Les oublier… les oublier… Vous voulez dire qu’on fait semblant, Philippe. Ils sont encore trop près, beaucoup trop près, ils n’ont pas encore lâché le monde, ils se cramponnent. Allez, Steeny, un mort qu’on vénère, celui-là est bien mort. La vénération en fera un modèle, un exemple, un symbole – une abstraction. Eux n’en sont pas encore à se nourrir d’encens, de fumées. Ils disent qu’ils les ont reniés, ça me fait rire. Des vaincus, eux ! Et s’ils étaient des tyrans, justement – nos maîtres, nos vrais maîtres ? «Ils n’auraient pas pensé, ils n’auraient pas voulu… » Sait-on ce qu’ils pensent, ce qu’ils veulent ? Le désordre universel, s’ils en étaient cause ? Moi, je les vois très bien à la frontière qu’ils ont franchie trop tôt, malgré eux, et qui s’efforcent de la repasser – les coups qu’ils portent ébranlent le monde. Une, deux, trois générations peut-être qu’ils auront gâchées, faute de pouvoir en façonner une à leur image – leur image vraie, authentique – non pas celle des anniversaires et des commémorations – leur ressemblance, à la ressemblance de leur dernier regard, de leur dernier cri, lorsque toute leur vie s’échappant d’un seul coup, ils griffaient et mordaient la terre. Mais vous verrez qu’ils réussiront, Philippe, ils ne manqueront pas toujours leur coup. Ils finiront bien par l’avoir, leur génération, et Dieu sait ce qu’elle sera. Leur génération à eux, corps et âme. Rien de commun sûrement avec le poilu de la place de la mairie, et sa bonne grosse moustache de zinc ! D’ailleurs m’est avis que nous ne les attendrons pas longtemps, mon vieux, les héritiers, les légitimes. Ils sont en route. Et vous par exemple, Philippe…

– Moi !

– Vous ! Votre avidité, votre dureté, votre passion de revanche – cette rage à vous contredire, à vous renier, comme si vous aviez fait déjà de grandes choses, des choses mémorables, et qu’elles vous eussent déçu… Tenez, votre admiration pour M. Ouine, votre idée d’un héroïsme à rebours… Hélas ! Philippe, lorsque vous serez las des luttes contre vous-même, il sera trop tard, je serai mort.

Son visage à cette minute tout rayonnant d’intelligence et de volonté faisait face au paysage si nu sous la brume, pauvre et nu.

– J’ai pensé cela souvent, dit Steeny d’une voix sombre. Me crois-tu assez bête pour n’avoir pas compris depuis longtemps que ce n’est pas de moi seulement qu’elles ont peur là-bas ? mais que m’importe, à présent, que m’importe surtout, si mon père vit ?

– Mon Dieu, Philippe, êtes-vous capable de croire une telle nouvelle possible et d’en parler comme d’une chose indifférente ? Mais vous ne la croyez pas possible !

– S’il vit, c’est aussi qu’il est mort pour moi, le plus vraiment mort, tout à fait mort : je ne lui pardonnerai jamais.

– Vous ne la croyez pas possible ?

–Tu m’embêtes ! Crois-tu aux marquis de Vandomme, toi ? Dans toute l’histoire d’Ardenne ou de Lorraine, pas trace de Vandomme, pas plus de Vandomme que sur ma main, tu me l’as dit vingt fois – le petit homme vert s’est fichu de nous. Eh bien ! nous voilà logés à la même enseigne, toi et moi, plus d’ancêtres, le monde commence. J’aime mieux ça.

Il s’était mis debout, dans sa veste trempée de pluie, et juste à la hauteur de ses épaules, Guillaume voyait fuir la ligne immense des collines sur un ciel brouillé, couleur de saumure.

– Allez-vous-en, dit l’infirme avec douceur, allez-vous-en ! Je veux dire éloignez-vous un peu, tournez-moi le dos, je suis sûr que vous allez pleurer.

– Hop ! Steeny… par ici Steeny, mon petit ange…

Du creux où ils s’étaient blottis la haie d’épines faisait un obstacle infranchissable. Même debout, Steeny ne distinguait qu’à peine, sur le fond encore obscur, la crête hérissée, les pousses du dernier printemps. Mais tout à coup, dans le silence, le fer d’un cheval invisible sonna sur une pierre, et presque aussitôt, contre la barrière, à deux pas, Ginette parut.

– Ici, par ici, Steeny, chère âme ?…

On voyait remuer, entre les lattes grises, son visage peint, verni de la pointe affaissée du menton jusqu’à ses hauts sourcils châtains – cette image violente, inexplicable, à cette heure, en ce lieu, parmi ces choses paisibles, aussi lugubre qu’une tête coupée. La grande jument toussa dans le brouillard.

– Voulez-vous me rendre un grand service, Steeny ? (Elle glissait les doigts entre sa chemise et son cou, l’attirait doucement vers elle.) Rentrez chez vous, prenez votre bicyclette et courez informer M. Ouine que je ne puis m’arrêter à Fenouille. Je vais aller plus loin, beaucoup plus loin. N’est-ce pas, vous ferez ainsi, mon amour ?

– Peut-être, dit méchamment Steeny. Et d’abord je prendrai mon bain.

– Vous ferez, commença-t-elle en tournant le dos, de sa voix puérile…

Mais à la même seconde le poitrail de la jument la heurtait en pleine poitrine, elle essaya de s’accrocher aux brancards et roula contre le talus.

– Philippe !

Un moment, la bête étonnée chercha son mors, secouant avec rage ses guides flottantes, et déjà les petites mains de l’enfant tiraient sur les longues branches d’acier, broyaient la bouche délicate. Admirable détente de l’être, merveille d’oubli ! Il sentait sous ses doigts, il tenait tout entière entre ses paumes la puissance de ces hanches énormes, de la croupe écrasée contre le sol, de ces cuisses géantes, que la douleur faisait trembler, blanches d’écume, entre deux gerbes de boue. Maintenant, sa résistance brisée, elle fuyait devant lui, à reculons, de plus en plus vite.

– Attention ! cria l’infirme, de l’autre côté de la haie. Prenez garde, Steeny ! Prendre garde à quoi ? La grande jument tombe sur les genoux.

– Sale bête.

Il a lâché exprès les rênes, essuie son visage ruisselant de boue. Que dire ? Quoi de plus morne qu’un chemin défoncé par forage, la double coulée d’argile où le purin s’étale en flaques huileuses, l’immense gargouillis des terres saturées ? Qu’importe !

Il ne voit que la bête vaincue, il n’entend que le souffle rude, précipité, sur un rythme d’épouvante, le grincement des cuirs trempés de sueur, il aspire furieusement, à pleine gorge, une odeur si chaude, si vivante qu’elle ressemble à celle du sang. Tout ce qui en lui d’ordinaire juge, raisonne, accepte ou repousse, se tait. Dieu sait combien de fois déjà, au cours des dernières semaines, il a cru qu’allait se rompre un lien chaque jour plus fragile, surgir le monstre… « Qu’il est rageur ! disait Miss avec son sourire ambigu, regardez-le, Madame ; vous croiriez voir un petit taureau. » Colères précoces, aux trois quarts feintes en dépit des larmes, vains simulacres impuissants à délivrer le dieu prisonnier ! Leur mensonge n’en finissait pas de lui empoisonner le cœur. Tandis qu’aujourd’hui…

– Rendez-moi ce paquet, Philippe…

La robe de Mme de Néréis est fendue à la taille, découvre une pauvre combinaison de jersey ; un pan de soie traîne dans l’eau jaune. Ginette aurait-elle peur ? Sa bouche esquisse une grimace douloureuse et le rouge des lèvres a coulé jusqu’au menton.

– Dans votre main… là… voyons, Philippe !

Tiens ! c’est vrai qu’un cahot a jeté hors de la voiture une chose informe, qu’il a rattrapée au vol… «Philippe ! Philippe !… » Comme elle prie ! Et pourtant le regard n’implore plus. Les deux mains gantées d’argile, avec leurs dix griffes peintes, dessinent en l’air, à son insu, on ne sait quelle menace, le geste gauche d’une de ces terreurs d’enfants, prompte à tuer.

– À bas les pattes ! crie Steeny, furieux. Est-ce que vous ne pourriez pas la demander poliment, au moins, votre saleté ?

Il a sauté en arrière et fait tourner le paquet au bout de sa ficelle. Pour le suivre, le regard affolé de Ginette va et vient comme la navette du tisserand. Flûte ! voilà que se crève brusquement le journal trempé de pluie, tout s’éparpille, et Steeny se penche pour retirer de l’ornière un petit paletot de velours brun… « Qu’est-ce que c’est qu’ça ?… » ricane-t-il. Mais il n’a pas le temps d’achever, ni même de lever la tête et il lance au hasard une ruade inutile. Ginette s’est laissée tomber sur lui, en gémissant. Lorsqu’il se redresse, ses mains sont vides, et la grande jument calmée s’éloigne au pas, puis au trot.

– Putain ! Sacrée putain de malheur !

– Venez jusqu’à la maison, Philippe, dit l’infirme de sa voix grave, vous pouvez monter par là, prenez seulement ma béquille. Tiens, c’est drôle, votre poignet saigne.

– L’idiote m’a mordu, je crois, constate Philippe. Oui, voilà toutes ses dents marquées dans ma peau. Oh ! oh ! Guillaume, voilà déjà qu’elle tourne aux Roches, tout là-bas, on croirait même qu’elle galope !… Oui, ma parole, elle galope ! Où diable peut-elle aller si bon matin !… Et puis ne hausse pas les épaules comme ça, mon vieux, tu m’agaces…

– Je ne hausse pas les épaules, dit l’infirme, vous me faites seulement pitié, Philippe.

Il enveloppa son ami d’un regard rapide et reprit avec une extraordinaire noblesse d’accent, d’une voix si grave, si pure qu’elle parut effacer en une seconde jusqu’au souvenir de l’inexplicable, de la lugubre apparition :

– Peur et pitié…

– À Dieu, Guillaume ! cria Philippe, et il s’enfuit.

* * *

Ils ont porté le petit cadavre dans la salle de la mairie, sur la table hâtivement dépouillée de son tapis vert. À sa droite le garde champêtre a rangé drôlement les deux souliers, face à face, et qui ont l’air de se faire signe l’un à l’autre, de leurs semelles tordues. C’est tout. Un charretier des Croules, un ivrogne, l’a trouvé ce matin par hasard, juste au ras de l’étang, sous les ronces, nu. «Le courant l’a déshabillé pour sûr, un fameux courant ! L’eau bouillait autour comme de la bière. » Mais au premier coup d’œil il a reconnu le valet des Malicorne, un gamin bien honnête, pas vicieux. Tonnerre ! Sa pauvre tête n’était qu’une boule de vase et de cailloux. « Je l’aurais cru décapité, c’pauvre fieux ! » dit-il.

Le maire vient d’enfiler sa culotte. Déjà tinte l’enclume du maréchal au fond de la rue muette, l’immense rue muette, lavée de frais, surprise telle quelle par l’aube, pleine encore des formes et des rumeurs de la veille. Un moment elle apparaît plus claire, plus blonde et comme limpide, si fraîche qu’un moribond y poserait la joue, si proche qu’elle semble au niveau des grandes baies vides, jette au plafond son reflet… Mais déjà l’ombre l’a prise en écharpe, puis galope d’un bout à l’autre, jusqu’à la dernière crête visible, la montée de Trablois dont le mince copeau d’or saute à son tour. Le ciel gris s’élance de toutes parts en rugissant, puis s’apaise aussi vite : une pluie fine commence à tomber, l’angélus sonne.

– Nous aurons encore de l’eau, dit le maire. Mauvais pour les constatations.

Ses gros yeux distillent une larme suspecte arrêtée au bord des cils et qui roule sans cesse. Il faudra qu’il l’écrase ce soir, avant de s’endormir, et la nuit en reformera une autre. Sacré farceur ! Son nez verni par l’herpès avec son réseau de veinules bleues, sa rondeur élastique, son excessive mobilité, terrorise sa femme. À vrai dire au milieu de cette face usée, il éclate d’une vie effrayante, goguenarde. « C’est mon gris-gris », disait-il jadis aux demoiselles. Et plus d’une a voulu tenir dans sa paume ce nez monstrueux car l’ancien brasseur ne cache pas son goût pour les fillettes. « Oui, ma petite, figure-toi, j’ai senti battre son cœur tout au bout, c’est comme si tu tenais une vraie bête. » Le bonhomme n’est pas loin de penser comme elles, mais il garde à présent son secret. Sous prétexte d’une confidence, faite d’ailleurs par bravade, le docteur Malépine, en pleine réunion des délégués cantonaux, l’a pressé de questions saugrenues, parlé d’hyperesthésie des centres nerveux du bulbe, et finalement traité de grand olfactif. « Cher ami, la Science appelle les choses par leur nom : l’appendice nasal est chez vous un des organes du plaisir. Notez bien, messieurs, que l’observation n’est pas nouvelle : Duriez cite l’exemple d’un malade que la moindre trace d’iodoforme excitait jusqu’au spasme. Le nez se colorait brusquement et il y a même noté – chose incroyable – des phénomènes d’érection. » Malheureux olfactif ! Il a ri d’abord comme les autres, sans trop comprendre, et il n’était pas peu fier, non plus, de se voir comparé à M. Émile Zola. Il a fallu des jours et des jours de paresse, des jours et des jours passés sous la tonnelle, face à la mince cheminée de briques, au loin – les toits roses de son ancienne brasserie, du royaume perdu – des jours et des jours d’ennui, pour que germât l’infime graine du doute, le premier doute.

Et c’est vrai qu’il n’a jamais été un garçon ordinaire avant que les cours capricieux de l’orge ou du houblon aient donné un sens à chaque heure, à chaque minute de sa vie… Mon Dieu ! c’est vrai qu’il a humé, flairé, reniflé plus que personne, possédé sa jeunesse par les narines, et la vieillesse qui commence a elle aussi son odeur… Sa vraie mémoire est là, entre les deux yeux, au fond de ces cryptes obscures. Une bouffée de vent au travers de la route, la voiture qui passe, tiède sous la bâche, le mouchoir neuf qu’on déplie, moins encore – voilà le trait fulgurant du souvenir, tel regard, tel visage, tel signe voluptueux : la pénombre d’une chambre, un lit de fer, ou la meule hospitalière, criblée de soleil à midi… et aussitôt quelle sueur glacée au creux des mains ! Malheureusement chacun de ces coups le frappe au même point de la nuque et son regard a bien de la peine à déchirer la toile d’araignée que la brusque poussée du sang vient tisser dans ses prunelles. Milliard de dieux ! Faut-il découvrir à soixante ans passés qu’on n’est pas comme les autres, scandale des scandales, effroyable damnation des imbéciles ! Lui qu’aucune femme n’a jamais vu pâlir se découvre maintenant à l’égard de ce nez difforme, impur, inexplicable, une espèce de pudeur comique. Vaine défense ! L’idée sournoise s’est enfoncée au plus épais de sa cervelle et toutes les pinces du beau docteur à barbe blonde ne l’en délogeraient plus. « Pas comme les autres » – lui, le magistrat municipal, un maire… « Tiens, Malvina, dit-il à sa femme ébahie, j’aimerais autant d’être curé ! » Que faire ? L’imprudent Malépine, en parlant de neurasthénie, n’a d’ailleurs qu’aggravé le mal. Quoi donc ! elle est là, quelque part, sous son crâne, l’imperceptible meurtrissure héritée d’un aïeul inconnu, le repli enflammé où l’épouvante a pondu son œuf, ainsi qu’une mouche bleue ! Fou qu’il était, pauvre fou, d’avoir tiré vanité jadis de son inavouable flair ! La semaine dernière encore, chassant le renard du côté des fonds Goubaud, les camarades ont marché sur un vieux piège rouillé, au bout de sa chaîne, marquée de sang frais : «Allons, Arsène ! » Nul d’entre eux n’ignore qu’au temps de sa jeunesse il passait pour capable d’éventer, au petit jour, le gîte encore tiède sous les feuillages ruisselants… « Allons, Arsène ! » Mais il a haussé les épaules, très digne, bien qu’avec une grimace de détresse. «Idiots ! Me suis-je assez payé votre tête, dans le temps, imbéciles ! » Et de rire… Hélas ! l’attention qu’il apporte désormais à sa bizarre manie l’exerce incroyablement, bien loin de l’apaiser. Jamais, non jamais ses narines maudites n’ont mieux goûté, savouré, filtré au travers d’invisibles cils, les trillions de houppes nerveuses, un air plus riche, plus dense, chargé d’odeurs qui glissent les unes sur les autres, ou se pénètrent sans se confondre jusqu’au cœur du jour quand la force de midi les étale en une seule nappe épaisse, toute bouillonnante sous le soleil comme ces grasses eaux, pleines de bulles. Alors, à l’abri du mur, le chapeau rabattu sur les yeux, il connaît une sorte de répit dans la saturation des cinq sens, le repos noir de l’ivresse. Nul ne se doute que le dégoût, sinon le remords, des plaisirs hélas ! désormais sans retour a pris chez le bonhomme vicieux, tout environné du pressentiment de la mort, la forme de ce délire cocasse. « Tiens, Malvina, s’est-il écrié un soir, je ne suis au fond qu’un cochon ! – Imbécile, on va l’entendre ! » Et prenant le ciel à témoin de ses deux bras maigres que la crise de l’âge mûr a couverts d’un duvet satiné : « Ça voudrait être conseiller général, et ça ne se respecte même pas soi-même ! » N’importe ! le cri n’en a pas moins soulagé son cœur. Parfois, il rêve de poursuivre la confidence sur l’oreiller, en pleine nuit, de se délivrer une fois pour toutes, dût la vieille crever de rage ou lui éclater de rire au nez. En attendant il se lave chaque matin et chaque soir à grande eau, tout nu devant le baquet, se frotte avec frénésie comme si, déclare Malvina, il en voulait à sa vieille peau. Tant pis pour Malvina ! L’heure qui suit est bonne, sans rêves, presque blanche. Répondant au docteur qui le félicite, en son langage, de demander « au traitement hydrothérapique, même sommaire, les apaisements que certains naïfs attendent de pratiques superstitieuses », il a eu ce mot profond, déchirant : « Le difficile, voyez-vous, c’est seulement d’avoir pitié de soi. »

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