I – Problèmes

En gros, le monde comprend trois catégories de pays ou régions :

a) Les pays industriels, qui ont un revenu national, par tête d’habitant, élevé, comme l’Angleterre et les pays de l’Europe occidentale ;

b) Les pays agricoles riches, à faible densité de population par rapport à leurs ressources naturelles. Leur revenu national par tête d’habitant est souvent aussi élevé et parfois plus élevé que celui des pays industriels. Nous citerons comme exemples l’Australie et la Nouvelle-Zélande : les États-Unis et le Canada entrent à la fois dans cette catégorie et dans la précédente ;

c) Les pays agricoles pauvres, à très forte densité de population par rapport à leurs ressources naturelles : Chine, Indes, Pologne, etc.

Les pays agricoles pauvres sont ceux dont le régime alimentaire est le plus déficient. Leur situation ne s’est améliorée que très lentement pendant la période du capitalisme libéral. La liberté ne leur a profité que dans une mesure très restreinte et il paraît certain aujourd’hui que la simple abolition de barrières douanières n’aurait que peu d’effet sur leur économie. Ils ont besoin d’une aide positive des pays industriels et des pays agricoles riches. Les premiers leur fourniraient le capital dont ils ont besoin, d’abord pour améliorer leur technique agricole, surtout pour leur permettre de créer des industries légères (transformations de produits alimentaires, textile, etc.) qui réduirait le surplus de la population agricole. Les pays agricoles riches leur procureraient pendant la période de transition les denrées alimentaires nécessaires pour améliorer immédiatement leurs conditions d’existence. Enfin certains des pays industriels et les pays agricoles riches, qui ont le plus souvent une population très peu nombreuse, ouvriraient leur frontière à l’émigration en provenance des pays agricoles pauvres.

Les pays agricoles pauvres se sont donc présentés à la Conférence de Hot Springs comme des demandeurs. Mais si paradoxal que cela puisse paraître, ils n’étaient pas les seuls dans cette position. Les pays agricoles riches figuraient eux-mêmes parmi les plaignants et il faut reconnaître que leur dossier est susceptible d’être plaidé. Leur principal grief contre les pays industriels est que le rapport d’échange entre marchandises industrielles et marchandises agricoles était avant la guerre défavorable aux pays agricoles, cette situation étant due essentiellement à la position de monopole des pays industriels. Les régions du monde qui, par suite d’avantages naturels ou d’accidents historiques, ont été en mesure d’accumuler les premiers le capital indispensable à la production industrielle moderne et de développer une industrie puissante, se sont trouvées par là jouir d’une position favorisée par rapport aux pays agricoles, ils ont été en mesure de dicter leurs propres termes pour la vente de leurs produits. Au contraire, les pays agricoles ont vu leurs marchés leur échapper dès qu’ils ont voulu élever le prix de leurs produits. L’agriculture exige un capital beaucoup plus faible que l’industrie, et les pays industriels sont presque toujours en mesure d’augmenter leur production agricole.

Les pays agricoles se plaignent, en outre, d’une élasticité insuffisante dans la demande des denrées alimentaires. Une faible augmentation de la production ou une faible réduction de la demande entraîne des baisses de prix catastrophiques. C’est ce qui se produit lorsque les récoltes sont bonnes ou lorsqu’une dépression même légère survient dans les pays industriels. C’est pourquoi en période de crise les prix agricoles baissent beaucoup plus rapidement que les prix industriels. D’où l’effort des pays agricoles pour obtenir l’assentiment des pays industriels à l’élévation des prix de leurs produits, d’où leur désir de créer des organismes internationaux qui veilleraient à maintenir les prix agricoles à un niveau élevé, d’où leur tendance en un mot, vers une économie de monopole qui formerait la contrepartie du monopole naturel dont jouissent les pays industriels, monopole naturel complété le plus souvent par le monopole artificiel dû aux ententes entre producteurs. Il fallait donc s’attendre à ce qu’à la Conférence de Hot Springs les producteurs agricoles tentent de se coaliser en vue d’obtenir de meilleurs termes d’échange pour leurs marchandises.

Aussi longtemps qu’il ne s’agit que des relations entre pays industriels et pays agricoles riches, le problème est d’une importance secondaire. Dans les deux séries de pays les populations ont déjà atteint un niveau de vie élevé, qui leur permet le plus souvent de jouir d’un régime alimentaire sensiblement supérieur au régime défini par les physiologistes comme le régime minimal. Mais il est clair que l’extension du système de monopole de l’industrie à l’agriculture aurait pour les pays agricoles pauvres des conséquences catastrophiques. Monopole signifie, en effet, restriction de la production et, par conséquent, disparition de tout espoir en une économie d’abondance qui permettrait d’améliorer les conditions d’existence de masses humaines les plus défavorisées. Le monde tendrait vers une économie statique ou à développement extrêmement lent, supportable pour les pays industriels et les pays agricoles riches, mais qui perpétuerait la situation misérable des pays agricoles pauvres. Il est donc essentiel en examinant les résultats de la Conférence de Hot Springs, d’avoir toujours présent à l’esprit cette question : Est-ce que les solutions proposées tendent vers une économie de restriction ou vers une économie d’abondance ?

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