II – Les résolutions de la conférence

Les pays industriels, importateurs de denrées alimentaires, et les pays agricoles riches, exportateurs des mêmes denrées, se sont affrontés sur le problème des stocks régulateurs. Un accord unanime existait au sein de la conférence sur la nécessité de constituer pour les principaux produits agricoles des organismes chargés d’en régulariser le marché et les prix. Personne ne désire revenir à l’anarchie caractéristique de l’entre-deux-guerres. Mais le désaccord a surgi au moment où il s’est agi de déterminer les attributions de ces organismes. Les pays importateurs de produits agricoles ont accepté de leur donner les pouvoirs nécessaires pour empêcher les cours de s’effondrer à la suite d’une bonne récolte ou de s’élever verticalement en cas de mauvaise récolte, en un mot pour soustraire les cours aux influences des variations atmosphériques. C’est le principe même sur lequel fonctionne en France l’Office du Blé. Théoriquement, cet Office n’a pas pour tâche de porter les cours à un niveau supérieur à celui qui s’établirait par le libre jeu de l’offre et de la demande. Il a essentiellement pour objet de constituer des stocks au cours des bonnes années et de les garder jusqu’au moment où de mauvaises récoltes rendent la consommation supérieure à la production courante. Les stocks régulateurs ainsi constitués ne porteraient en rien préjudice aux intérêts des pays consommateurs, puisque le niveau moyen des prix resterait inchangé. Ils augmenteraient la sécurité des pays producteurs en les mettant à l’abri des fluctuations violentes. Les pays importateurs ont également donné leur accord en ce qui concerne l’intervention éventuelle des stocks régulateurs au moment des crises. Il est tout à fait essentiel en effet lorsque, pour une raison ou pour une autre, une dépression économique s’amorce en un point quelconque du globe, d’en empêcher les effets de se propager. Si des organismes comme ceux envisagés ici sont en mesure de soutenir les cours des produits agricoles, pendant le temps nécessaire pour que les mesures prises contre la dépression produisent leur effet, le pouvoir d’achat des pays exportateurs de produits agricoles se trouvera maintenu, et la chute du niveau général des prix amortie.

Mais les pays exportateurs voulaient davantage. Ils voulaient que les organismes qui géreront les stocks régulateurs aient également le pouvoir de procéder à des achats en temps normal, lorsque les cours des produits agricoles apparaîtront trop bas par rapport à ceux des produits industriels. Quel devrait être le rapport entre prix industriels et prix agricoles, c’est ce que personne n’a été capable de définir. Mais il est apparu que les producteurs agricoles considèrent le rapport qui existait avant la guerre comme leur étant trop défavorable. En outre, l’expérience des années d’avant-guerre ayant montré que pour faire monter les prix des produits agricoles, il fallait en limiter la production, les représentants des pays agricoles exportateurs ont insisté pour que des pouvoirs soient donnés aux nouveaux organismes agricoles, leur permettant de fixer des contingents de production ou d’exportation pour les différents pays.

Un dilemme s’est donc trouvé posé, qui consiste essentiellement en ceci : l’organisation de la production mondiale représente incontestablement un régime économique supérieur à la liberté pure et simple lorsque la réglementation tend à une expansion de la production. S’il s’agissait simplement de choisir entre la liberté pure et simple d’une part, et, d’autre part, un plan de production mondial tendant à l’accroissement de la production, la préférence devrait être accordée au plan. Mais, à Hot Springs, le choix était entre la liberté, mitigée de mesures destinées à apporter un certain ordre sur les marchés, et un système d’organisation à tendance restrictionniste. Le choix dans ces conditions ne saurait faire de doute. Il importe en premier lieu d’écarter le danger d’un système de monopoles agricoles qui compromettrait pour de longues années une expansion économique mondiale.

Certes, toutes les résolutions proposées accordaient aux consommateurs une représentation dans les organismes chargés de gérer les stocks régulateurs. Les pays producteurs ne verraient probablement aucune objection à ce que cette représentation soit égale à la leur. Il nous est apparu cependant que la représentation des consommateurs serait absolument impuissante à empêcher les tendances restrictionnistes de triompher, et cela essentiellement pour la raison suivante : il n’y a à peu près aucun pays dans le monde qui n’ait en matière de restrictions à la production une attitude ambivalente, aucun pays qui n’ait à défendre à la fois les intérêts de ses consommateurs et les intérêts de ses producteurs. Tel pays, par exemple, qui est importateur de certaines catégories de produits alimentaires est exportateur d’autres catégories. Ou bien, s’il importe tous les produits alimentaires dont il a besoin, il exporte d’autres marchandises, des matières premières notamment, dont le régime sera très vraisemblablement le même que celui des produits alimentaires. C’est dire qu’à l’intérieur de chaque pays, il existe un conflit d’intérêts entre consommateurs et producteurs. Or, si l’expérience économique des vingt dernières années est positive sur un point quelconque, c’est sur celui de la suprématie politique des producteurs. Plus puissants, mieux organisés que les consommateurs, ils font presque toujours triompher leurs thèses. En un mot, il n’est nullement certain que les délégués des pays importateurs de denrées alimentaires dans les organismes chargés de la gestion des stocks régulateurs, défendent avec énergie le point de vue des consommateurs. Soumis eux-mêmes à l’influence de certaines catégories de producteurs, il est plus que vraisemblable qu’ils seront amenés à traiter avec les représentants des pays producteurs de denrées alimentaires. Ils accorderont à ceux-ci des majorations de prix pour les produits alimentaires, en échange de majorations de prix pour les produits dont eux-mêmes sont exportateurs.

Bien que la résolution finale concernant les stocks régulateurs comporte des phrases à sens multiples, dans l’ensemble le danger d’une organisation agricole mondiale à tendances restrictionnistes a été provisoirement écarté. C’est surtout grâce à l’action des Anglais que ce résultat a pu être obtenu.

Ce qui eût dû être l’objet essentiel de la Conférence, à savoir : « Comment donner aux pays agricoles pauvres le pouvoir d’achat dont ils ont besoin pour améliorer le régime alimentaire de leur population ? », cette question n’a été examinée que très superficiellement. La délégation française a proposé un plan comportant la modernisation de l’agriculture de ces pays, leur industrialisation, des migrations suffisantes pour réduire la pression démographique dans les régions les plus pauvres en ressources naturelles, des mesures pour mettre fin aux pratiques de monopole dans les pays industriels. Ces propositions ont été insérées dans les résolutions finales, mais à aucun moment discutées à fond. On peut peut-être dire qu’elles sortaient du cadre de la Conférence de Hot Springs, et qu’il appartiendra à d’autres assemblées internationales de les discuter. Il reste vrai qu’elles constituent l’essentiel du problème à l’ordre du jour de cette première conférence.

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