III Lou gal rëmëno l’alo

Je te prendrai, et t’amènerai en la maison de ma mère, et en la chambre de celle qui m’a engendré. Illec tu m’enseigneras, et je te donnerai à boire du vin confict, et du moust de mes pommes de grenade.

LA BIBLE.

Il y avait à peine quelques journées que j’étais ici, où l’ennui m’avait poursuivi, où mon inclination à rompre avec la vie de plus en plus se décidait, au détour de la sombre et majestueuse cathédrale de Saint-Jean, j’aperçus une jeune fille qui se hâtait, je crus reconnaître son erre, je m’approchai, c’était Dina ! Cependant, je n’osais me l’affirmer, ni l’accoster cavalièrement. Je la suivis à quelques pas en arrière et l’appelant plusieurs fois, à demi-voix, Dina ! Dina ! elle se retourna et me salua sans me reconnaître, je l’abordai tremblant : – Noble damoiselle, vous rappelez-vous, lui dis-je, ce jeune homme qui, à Avignon sur le rempart, un soir de sérénade, adressa la parole à messire votre père et que vous remerciâtes de son accortise ?

– Quoi ! c’est vous ?… dit-elle, émue, posant sa main sur mon bras, le front rouge et baissé, fixant les dalles du parvis.

– Ô belle Dina, que je suis heureux de vous rencontrer ! ne me repoussez pas, laissez-moi épancher tout ce qui s’est amassé de souffrances en mon cœur depuis l’heure où je vous vis, où je perdis tout repos ; vous avez fait jaillir en moi un amour subit, une passion violente.

J’épiai la fin de la sérénade pour vous suivre jusqu’à votre demeure, dans l’espoir de pouvoir un jour vous avouer mon amour ; j’attendais dans le trouble de l’heure du départ ; mais vous m’aviez si bien frappé au cœur, que peu à peu je tombai dans une profonde cogitation, et quand je m’éveillai j’étais seul sur le rempart ; je vous cherchai long-temps, je vaguai par la ville, sans succès ; désespéré, un ennui mortel s’était saisi de moi, et vous le voyez, belle dame, j’étais venu le traîner ici ! Oh ! béni soit le ciel, si c’est lui qui me fait ce bonheur de vous revoir ! vous êtes, Dina, maîtresse de ma vie, je suis à vos genoux, si vous me repoussiez, vous me tueriez !…

– Monsieur, il n’est pas bien qu’une jeune fille s’arrête ainsi à causer avec un cavalier ; ne me retenez pas, je vous prie ; calmez-vous, voyez comme les passants nous regardent.

– De grâce alors, entrons dans cette sombre église, là, sous une voûte noire, nous pourrons deviser d’amour loin des regards mauvais.

– Oh ! non, monsieur, je ne puis entrer dans ce temple où demeure l’ennemi de mon Dieu ; j’affligerais trop mon vieux père si jamais il l’apprenait.

– Quel est donc votre Dieu ?…

– Le Dieu d’Israël !

– Je l’avais deviné, car j’ai lu votre nom dans la Genèse. S’il en est ainsi, soyez ma sœur, permettez que je vous accompagne, et nous parlerons.

– Je mets ma confiance en vous, monsieur.

– Depuis long-temps habitez-vous Lyon ?

– J’y suis née, monsieur.

– Votre beauté aurait dû me l’apprendre : mais depuis quand quittâtes-vous Avignon ?

– Le lendemain que vous me vîtes à la sérénade. C’est peut-être mal d’être franche ainsi, mais je ne puis mentir ; à votre vue je me sentis touchée et assaillie d’un sentiment nouveau ; je m’étais aperçue de votre trouble et j’interprétai votre courtoisie. Quand nous nous levâmes au départ, vous étiez debout appuyé contre une palissade ; vous étiez tellement absorbé que nous passâmes près de vous et que mon père vous salua sans que vous l’aperçussiez ; je me retournai plusieurs fois en chemin et je ne vis personne. C’est peut-être messéant d’avouer tout cela ; mais cependant, c’est la vérité. Votre souvenir m’agita toute la nuit. Je fis tous mes efforts pour retarder le départ de mon père, dans l’espoir de vous revoir aux sérénades, mais ce fut en vain : mon père, qui fait le commerce des pierreries, était venu à Avignon pour affaires et se trouvait par elles impérieusement rappelé à Lyon. J’ai bien souffert aussi depuis ce temps !…

La pauvre enfant essuyait quelques larmes.

– Hélas ! je ne pouvais me familiariser avec cette pensée qui me disait : Tu ne le reverras jamais. Pourtant, je devais dans quelques mois retourner à Avignon, et j’espérais…

– Ô Dina, Dina, que je suis heureux ! Oh ! combien je vous aime ! oh ! que votre esprit me plaît ! Je vous adore, croyez-moi, vous êtes ma Rachel, vous êtes mon bon ange visible ! Dina, jusqu’à l’heure où vous m’apparûtes, j’étais passé fier et dédaigneux parmi les femmes, et j’embrasse vos pieds !

– Oh ! si tout ce que j’éprouve pour vous… Mais dites-moi donc votre joli nom, que je vous nomme aussi.

– Aymar de Rochegude.

– Oh ! si tout ce que j’éprouve pour vous, mon Aymar, si tout ce que je ressens est de l’amour, croyez que j’en ai bien, de l’amour !

Dans ces épanchements mutuels, nous arrivâmes au seuil de la maison de Dina ; alors, je lui demandai un rendez-vous prochain.

– Eh ! pourquoi ? me dit-elle.

– Pour nous voir et nous parler d’amour !

– Aymar, il n’est besoin de rendez-vous : Vous êtes un cavalier distingué, vous m’aimez, je crois bien que je vous aime ; venez chez mon père quand vous voudrez, si vous désirez même, montons de suite. Je dirai à mon père, voici venir le jeune cavalier qui vous parla, un soir de sérénade, sur le rempart d’Avignon ; le reconnaissez-vous ? Je viens de le rencontrer, étranger en cette ville ; il m’aime beaucoup, je l’aime aussi… Et mon père vous saluera et vous aimera pour l’amour de moi.

Je montai ; ce bon vieillard, Judas, me reçut avec aménité et me présenta à sa compagne Léa ; et, depuis ce temps, il y a bien dix mois, j’ai, pour ainsi dire, passé tous mes loisirs en sa maison.

Mon amour pour Dina n’a fait que s’accroître par une intimité chaste et délicieuse, comblant de soins et de tous égards possibles le vieux Judas qui me chérit, et sa Léa qui me fait oublier ma mère que je perdis enfant.

Share on Twitter Share on Facebook