L’humour au subjonctif

J’eusse aimé qu’il y eût des choses qui valussent qu’on leur sacrifiât le plaisir.

Jean Rostand

Lors du lancement de l’association, nous avions grand souci de ne sensibiliser que quelques barbons grincheux, rétrogrades et sectaires… Nous ignorions à l’époque que l’usage de l’imparfait du subjonctif était abandonné depuis plus de cent cinquante ans et que ce délai de prescription nous mettait à l’abri de ces pugnaces revanchards.

Pendant ces trois ans d’existence, alors que nous atteignons le millier d’adhérents dans le monde entier, notre grand soulagement a été de recevoir des témoignages et des encouragements écrits dont le dénominateur commun était l’humour.

Et c’est la fantaisie et la bonne humeur qui font tout le sel de cette correspondance qui nous ont incités à éditer ce livre !

La plupart des lettres que nous avons choisies dans cette compilation émanent de personnes anonymes, qui, grâce à la magie de la télévision et de la presse parlée ou écrite ont été à ce point motivées qu’elles ont spontanément pris la plume ou le clavier pour nous manifester à chaud leur enthousiasme avec un talent certain.

La meilleure façon de restituer l’élan de sympathie que nous avons ressenti à la lecture des quelque mille trois cents lettres aurait été d’éditer les fac-similés de la totalité des courriers manuscrits, mais nous le réservons, si les moyens nous le permettent, à un musée créé en Périgord où seraient reproduits les agrandissements de l’intégralité des documents originaux, leur conservant ainsi toute leur verdeur, leur créativité et leur pertinence.

Il m’est impossible de connaître personnellement tous ces amis et, fatalement, il doit exister des adhérents appartenant à l’intelligentsia francophone qui, par modestie, n’ont pas jugé bon de se faire connaître. Et je souhaite que la parution de ce livre les incite à se découvrir pour nous épauler dans notre aventure grammatico-médiatique aux côtés de

Jean Dutourd, Maurice Schumann, Pierre Bonte, Anne Clancier, André Cherpillod, Bruno Lemesle, Thierry Chevrier, Daniel Bévéraggi, Robert Guyon, Ginette Grasset, Bruno Dewaele, Michèle Balembois-Beauchemin, Jean Varenne, Jacques Henri Bauchy, Jean-Louis Ardouin, Jean-François Durand, Michel Angelbert-Legendre, René Rioul, Bernard de Gennes, Michel Carcenac, Nanon Gardin et son époux, Nelly Boucheron-Seguin et bien d’autres personnalités que j’oublie ou que je ne connais pas !

Monsieur, je n’ai jamais été capable de conjuguer le moindre verbe, mais je me dis que tant qu’il y aura des hommes comme Pierre Bonte et vous, il sera doux de vivre en France.

Patrice Renaudin (adhérent 478)

Cher ami,

Les amoureux du français, tel était le titre du reportage qui m’amena à Monpazier, en 1997, au siège du CO. R. U. P. S. I. S., et qui me permit de faire mieux connaître votre combat en faveur du passé simple et de l’imparfait du subjonctif. À l’issue de l’interview, conquis par votre chevaleresque enthousiasme, j’émis le vœu que vous m’inscrivissiez dans votre association, dont je suis fier d’être aujourd’hui l’adhérent n° 273.

Depuis lors, je m’efforce plus que jamais d’appliquer avec rigueur les règles du Bescherelle, mais si vous le voulez bien, je me satisferai pour aujourd’hui d’avoir réussi à placer un imparfait du subjonctif…

Je voudrais simplement, en conclusion et en hommage au CO. R. U. P. S. I. S., inscrire à votre livre d’or l’un des plus poétiques emplois du passé simple qu’il m’ait été donné de lire. Ce sont quatre vers de Guillaume Apollinaire, dans Poèmes à Lou  :

« (…) Te souviens-tu, mon Lou, de ce panier d’oranges

Douces comme l’amour qu’en ce temps-là nous fîmes

Tu me les envoyas un jour d’hiver à Nîmes

Et je n’osai manger ces beaux fruits d’or des anges (…) »

Avec tous mes vœux de succès pour votre courageuse et nécessaire entreprise, je vous prie d’agréer, cher ami, l’assurance de mes sentiments les plus cordiaux.

Pierre Bonte, Journaliste (adhérent 273)

Il fallait que je vinsse à Monpazier pour que j’inscrivisse cette pensée de Jean Cocteau :

« Le verbe aimer est le plus difficile à conjuguer

Son présent n’est qu’indicatif

Son passé n’est jamais simple

Son futur est toujours au conditionnel »

et que je connusse Alain Bouissière. Mais il n’était pas nécessaire que je le visse pour que je l’admirasse.

Max Desrau, comédien (adhérent 778)

De la simple carte de visite qui affirme sans concession son élan d’enthousiasme en notant :

J’adhère ! de Jacques Longué (adhérent 161)

à la dithyrambique « Ode à Alain Bouissière, ce parfait imparfait » :

À Monpazier réside un curieux personnage

Amoureux du français comme on l’est de vin fin,

Œuvrant à réhabiliter l’ancien langage

Qui fleurissait en France au temps du baisemain.

Il n’est que de franchir le seuil de son auberge

Pour baigner aussitôt dans le monde parfait

Du subjonctif vieillot qu’en ces lieux il héberge

Pour mieux en exalter les plus subtils effets.

Je m’installai céans dans l’antre littéraire

Heureuse de goûter, autour d’un bon café,

Quelques verbes juteux, fleurons de la grammaire,

Conjugués par le maître habile à réciter.

J’eusse aimé traduire en telle circonstance

La phrase qui me vint, au présent, à l’esprit

Afin que nous engageassions, à travers stances,

Une conversation d’où ce temps est proscrit.

Que n’eussé-je donné pour sortir triomphante

De cette épreuve où je comptais me distinguer,

Mais la timidité, veule et paralysante

Me saisit en bloquant les mots dans mon gosier.

Moins douée à parler qu’au jeu de l’écriture,

J’écoutai déclamer, au mode subjonctif,

Cet ardent défenseur de l’art et la culture

Lancé dans un combat aussi glorieux qu’actif.

D’aucuns s’épuiseraient dans des luttes sordides

Adorant un seul dieu, pourvu qu’il fût d’argent,

Tandis que ce poète, au cœur de sa bastide,

Ne gagnait que deniers d’estime en psalmodiant.

Le président qu’il faut à notre république

C’est cet homme Présent, bien qu’épris du Passé

Ce Futur candidat au rêve académique

Élu sous condition qu’il restât Imparfait !

Madeleine Mansiet (adhérente 316)

Toutes ces lettres soutiennent avec enthousiasme notre initiative. Je vous en donne encore quelques-unes à lire car, toutes, elles sont la sève du CO. R. U. P. S. I. S.

Monsieur, puissé-je vous féliciter de toute mon énergie. Vous rendez à la langue un service inappréciable !

Votre initiative, rarissime et extraordinaire en notre triste époque déliquescente, relève à la fois de l’élégance d’esprit la plus lumineuse et du plus tonique bon sens ; en outre, cette probité langagière coïncide chez vous avec le plus louable et le plus légitime dynamisme commercial (je fus boutiquier plus de vingt ans et apprécie d’autant votre idée).

Si j’étais Chirac, je vous décorerais sur-le-champ.

Enfin, il me plaît immensément que votre trait de génie jaillisse du Périgord (j’ai vécu toute mon enfance à Lalinde), pays dont je ne guérirai jamais.

Si vous me répondez, merci de me documenter sur votre association CO. R. U. P. S. I. S. et sur la manière d’y adhérer.

Un dernier mot : le patron de l’hôtel de Londres appellera-t-il à la croisade contre le sabir franglais ?

Pourquoi les étudiants organisent-ils des sit-in, cul-sol ne serait-il pas infiniment supérieur ?

Encore merci… et courage ! Admirativement,

Paul Yvonneau.

Voici un petit clin d’œil historique à relever, car l’usage de l’imparfait du subjonctif ne laisse jamais indifférent.

Edgar Faure, la bouche pleine, tant il est pressé, commence son discours dans lequel, après avoir remercié ses hôtes, il vante sa politique, la seule, l’unique, et termine par cette phrase : « Tout le monde pensait que j’étais un arriviste. »

Un grand silence, pas d’applaudissements, quand soudain, une voix grave s’élève : « Il eût été normal que vous le fussiez ! »

Qui ose ? Qui se permet de prendre ainsi la parole, de plus, dans un jargon très pédant ? C’est notre retraité – chauffeur pour dames seules – qui, sous le feu de l’Arbois du Pirou, a fait montre de sa science grammaticale !

Que va dire Edgar ? La foudre va-t-elle clouer au sol cet impertinent ? Non pas ! Le temps de finir son pain de seigle, le président, tout sourire, s’adresse à notre collègue qui n’en mène pas large :

« Mon cher ami, je ne sais pas ce que je dois admirer dans votre répartie fort pertinente : le fond ou la forme. Le fond, c’est votre pensée lucide : vous me connaissez bien et vous avez depuis longtemps reconnu mes extraordinaires possibilités. La forme : c’est l’expression grammaticale classique qui révèle le lettré que vous êtes ! Vous avez employé l’imparfait du subjonctif, inusité aujourd’hui, qui est toujours difficile à utiliser, mais qui se trouve, dans votre phrase, placé judicieusement. Il confère à votre remarque un charme désuet que j’ai vivement apprécié. Tous mes compliments. »

Pierre Jeambrun dans les sept visages d’Edgar Faure ,

cité par Jean-Pierre Verdon (adhérent 70)

Cette lettre est un régal d’humour et de bon conseil pour qui sait entendre…

Monsieur,

Je vous sais gré des renseignements que vous me communiquâtes dans votre dernier courrier et du soin que vous prîtes à éclairer mon subjonctif. Touchez là, Monsieur, parfait honnête homme vous êtes ! Vous fîtes en sorte que je me ferai une obligation de défendre votre noble cause,

eussé-je à en souffrir. Bien que personne n’osât jusqu’à ces derniers temps prendre le parti du moribond et de ses deux enfants maltraités par le public, les passés simple et antérieur, vous vous plûtes à maintenir la Tradition.

Voilà qui comblera d’aise les générations futures. Ah, Monsieur ! Que de phrases admirablement gréées ne perdîmes-nous pas du fait de l’arrêté ministériel du 26 février 1901 lequel implanta le solécisme au sein de la langue ; ne nous étonnons pas si, après cette opération inesthétique, la langue soit sujette à malformation. Contrairement aux académiciens et aux auteurs en vogue empêtrés dans leurs « coquilles », vous vous appliquâtes à sauvegarder ce qui eût pu l’être des décennies auparavant. S’il n’en tenait qu’à moi, ces pendards eussent été voués aux objurgations de l’Impératif.

Vîtes-vous jamais autant d’acharnement contre un simple mode… Fût-il de cuisson ?

La haine borgne et le racisme phonétique ne présidèrent-ils point à l’élaboration de cette loi « verbicide » ? Fussé-je crédule, je n’en demeurerais pas moins convaincu de la nocivité dudit arrêté. En conséquence, il conviendrait qu’une sainte émulation s’emparât des Français pour mener à terme la libération du mode subjonctif.

Pour ces raisons, c’est avec enthousiasme que je dépose entre vos mains le montant de ma cotisation annuelle à dessein de gagner la bataille décisive, fallut-il que nous recourussions aux bons offices du conseil de l’Europe ou aux instances de l’O. N. U.

Plus que parfaitement vôtre (au subjonctif, il va sans dire !)

Jacques Ratio (adhérent 407)

L’humour mène à tout, même à la défense de la défense de la langue française !

Alors, topons là et relevons le défi !

Il fallait que je suivisse un autre chemin si je n’avais voulu revêtir l’armure et le heaume pour bouter hors de nos citadelles le langage envahisseur qui prétend pourfendre le subjonctif, fût-il imparfait, et faire du français une rose sans pétale.

Au nom de cette rose que j’aimerais garder belle, je souhaiterais que vous m’adoubassiez au sein de votre association.

Hauts les cœurs !

Levons la plume !

Preux de l’imparfait (du subjonctif), garons-nous à droite ! garons-nous à gauche !

Écrasons, piétinons, broyons, sabrons, épéons, coupons, découpons, coutordons, transperçons, brochettons !

Là un « franglais ! » Sus ! (ce n’est pas un subjonctif)

Ici un « verlan » (?), pourfendons !

Là encore, un « têt-de-mort-tié-quoi-toi ? ». Hachons donc menumenumenu !

Hardi les gars, il faudrait que le ciel nous tombât sur la tête pour que nous ne vainquissions pas !

Dieu est parfait,

Notre subjonctif est imparfait

Il est humain, quoi !

Michel Vert (adhérent 170)

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