Le subjonctif et les médias

À mon tour, maintenant, de parler des journalistes de la télévision, de la radio et de la presse écrite.

Nombreux sont ceux qui, à l’occasion d’un reportage, ont adhéré spontanément à notre mouvement.

Et, pour remercier ces professionnels souvent critiqués par les puristes pour leur usage élémentaire du français, je me dois de les défendre car, souvent, contre leur gré, ils sont contraints de simplifier leur langage pour ne pas tomber dans le piège de l’élitisme.

Le style, les voix « guindées » des animateurs radio de France Culture des années 60 ne sont plus adaptés à notre époque. Le ton « cul-cul-turel » n’est pas commercial, il évoque le Service Public, poussiéreux, fonctionnaire, subventionné !

Heureusement, maintenant, l’audimat commande, et je suis le premier zappeur (trouvez-moi un autre vocable aussi onomatopéique !).

Malheur au présentateur qui expose un sujet de façon nombriliste, la magique télécommande l’efface et le renvoie à sa masturbation intellectuelle (ou physique) !

Les producteurs ont pris des cours de vente et l’empathie gagne ; on s’intéresse enfin au public, on parle comme lui, on l’implique, on lui construit des émissions dont il est la vedette…

Beaucoup de nos sympathisants ne seront pas d’accord avec ce que je viens de dire mais n’avez-vous jamais eu envie de bâiller lorsque votre interlocuteur ne parle que de lui, ne parle que pour lui ?

C’est pour cette raison que les journalistes utilisent le ton, le style et le langage de la majorité de leurs auditeurs. Tout le monde doit comprendre !

Les journalistes sont, avant tout, des littéraires et ils gardent la nostalgie de la bonne langue. Leur intérêt pour le CO. R. U. P. S. I. S. ne s’explique pas seulement par l’action mercantile de « pondre » un article original et cocasse qui se démarque…

Néanmoins, peu ont fait l’effort d’employer dans leurs articles le passé simple et l’imparfait du subjonctif et, parfois, avec des fautes.

Une exception, Alexis Bollaert dans son article paru dans la Nouvelle République du Centre .

Le pouvoir des médias est époustouflant car, suite aux reportages télévisés qui ont été retransmis dans le monde par RFO et TV 5, nous le vérifiâmes (ça m’a échappé !) lors d’un voyage effectué en janvier 1997 au Sénégal :

Nous arrivons à Saint-Louis du Sénégal, et, comme c’est la coutume après avoir traversé le désert du Sud marocain et de Mauritanie en voiture, nous déposons à l’Hôtel de la Poste (Jean Mermoz y dormait, chambre 219), une pancarte de l’hôtel de Londres, Monpazier (France), minuscule village du Périgord.

La réceptionniste sénégalaise regarde l’adresse, son front se plisse et nous demande :

– Monpazier… Monpazier ! Il n’y a pas là-bas quelque chose qui défend la langue française ?

Le mois suivant, un petit groupe originaire de Monpazier fait l’escalade d’un volcan situé dans l’île de la Réunion. Au sommet, ils engagent la conversation avec un couple de Réunionnais :

– D’où êtes-vous ?

– De Monpazier, en Dordogne !

– Ce n’est pas là-bas qu’on parle à l’imparfait du subjonctif ?

En janvier 1998, nous prenons, mon épouse et moi-même, nos vacances à l’île Maurice, cette île merveilleuse qui n’a pas oublié le français malgré la dépendance grande-bretonne datant de 200 ans.

À la suite de l’intervention d’un sympathique couple d’adhérents mauriciens, M. et Mme Éric Ribot (adhérents 598), nous avons eu les honneurs d’un entretien à la télévision nationale, d’une interview radio et d’un article de presse.

Cette relative notoriété, stimulante et flatteuse, était difficilement imaginable car nous n’avions en main que les lettres de réaction aux émissions et articles (nous avons reçu 400 lettres dans les 15 jours qui suivirent l’émission Envoyé Spécial ). Nous avons réalisé après coup l’impact dans la fréquentation touristique à Monpazier au cours de la saison 1998.

Bonjour,

Plût au ciel que vous habitassiez dans la région du Pen Ar Bed, le « bout du monde » en breton !

J’eusse aimé que l’émission Envoyé Spécial du 22 mai 1997 fût regardée par la France entière.

Cela eût été une œuvre de salut public !

Bien que cela paraisse utopique, je forme le vœu que vous fassiez beaucoup d’émules. Avec toute ma sympathie.

Marie-Louise Munar (adhérente 468)

Hormis ces réactions épistolaires enthousiastes, de nombreuses personnes qui nourrissaient un intérêt tout à fait relatif pour la grammaire avaient toutefois noté mentalement notre existence et, à l’occasion d’un voyage, profitaient pour faire un détour, plus motivés par l’aura de Celui-Qui-Passe-à-la-Télé que par le bon vieil imparfait du subjonctif !

Ce qui est très bénéfique pour Monpazier, village touristique par excellence, curieusement mieux connu par les touristes d’origine anglo-saxonne que par les Français !

Et bénéfique également pour le Périgord !

Mais n’est-ce pas grâce au Périgord, ce musée, ce conservatoire, cette réserve naturelle qu’il est dans sa totalité, que le CO. R. U. P. S. I. S. a réussi son tour de force médiatique ?

L’explosion médiatique de 1997 (20 minutes cumulées de passage dans les journaux télévisés, toutes chaînes confondues, plus Aléas de Françoise Prébois et Envoyé Spécial de Pierre Bonte), avait entraîné des réactions enthousiastes de personnes qui, avec une constante humoristique, amalgamaient la réhabilitation de conjugaisons endormies avec des visées plus sérieuses telle que la défense de la langue française.

Nous avons malheureusement détruit les enveloppes des courriers et nous regrettons les adresses que notre facteur local (le facteur Cheval, et ce n’est pas un pseudonyme !) nous lisait lors de sa distribution.

Nous avons conservé le double de l’enveloppe de la lettre écrite par Mrs Mary Portno, en réaction à un article paru dans le Times, partie du Lancashire en Grande-Bretagne le 5 janvier, et qui nous est parvenu 5 jours après (l’original a été confié aux archives du bureau de poste de Monpazier pour la performance !).

Voilà ce qu’on peut lire au recto de l’enveloppe :

à Monsieur Bouissière

propriétaire d’un bar

dans LE Dordogne

France

et au verso :

À M. le facteur, ce monsieur est président

du C…… Comité pour la préservation de la langue française.

Essayez de trouver l’adresse de son bar s. v. p.

Mais il faut se méfier des journalistes… (je « galèje » !)

C’était au tout début de l’association et mon expérience à l’égard des médias était sérieusement élémentaire.

Appel de Richard Place qui officiait à la Dépêche du Midi. Dans mon esprit, un journaliste de la presse écrite n’utilisait pas de magnétophone…

Puis-je vous interviewer par téléphone ?

Et une conversation à bâtons rompus commence.

Que ferez-vous lorsque l’intérêt pour votre association commencera à faiblir ?

Réponse sous forme de boutade :

Aucun problème, puisque Monpazier (promotion oblige !) est une bastide créée par les Anglais, nous conjuguerons les verbes anglais !

ILS DÉFENDENT L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF

Une association de défense de l’imparfait du subjonctif et du passé simple s’est créée en Dordogne. Défense de la langue française dans un café. Un café dans un village pittoresque en plein cœur de la Dordogne. Les clients affluent, c’est l’heure de l’apéritif. Une scène assez banale. Jusqu’au moment où un client prend la parole et dit au patron : « il eût fallu que je busse ! » Réponse du barman : « il eût donc été séant que je vous servisse. » Et le voilà versant une rasade d’alcool anisé.

Ce bistrot un peu original, c’est l’établissement d’Alain Bouissière à Monpazier. Depuis le 2 mai 1996, ce café-hôtel fait office de siège du comité de réhabilitation du passé simple et de l’imparfait du subjonctif (CO. R. U. P. S. I. S.). « Avouez que dire : que je busse, c’est bien plus joli que : que je boive », clame le fondateur de l’association et propriétaire du café. « Il faut remettre un peu de poésie dans notre langage ».

(…) « En fait, nous demandons l’abrogation d’un arrêté ministériel du début du siècle. Ce texte tolère que l’on n’utilise pas l’imparfait du subjonctif après un conditionnel présent. C’est une tolérance perfide qui a enlevé tout son charme à notre langue, dénonce CO. R. U. P. S. I. S. »

Pour autant, les membres de l’association ne sont pas ancrés dans des traditions rétrogrades. Ils ont même quelques idées novatrices :

« Comme Monpazier est une ancienne bastide anglaise, nous avons quelques racines anglo-saxonnes. Nous avons donc décidé d’adapter des mots anglais. Nous disons donc : il faudrait que je drinkasse ou il eût fallu que nous eatissions » (NDLR : to drink signifie boire et to eat signifie manger en anglais.

Persuadé que la réputation de son association va enfler, Alain Bouissière espère prochainement effectuer des intronisations de célébrités. « J’avoue que des gens comme Fabrice Lucchini, Claude Nougaro ou Romain Bouteille seraient des personnalités qui colleraient tout à fait à la mentalité de notre mouvement. Ils seraient les bienvenus ». Patiemment, le cafetier-poète enseigne les délices du passé simple et de l’imparfait du subjonctif à ses clients…

Une dernière question avant de sortir du bar : Vous vous déshydratâtes ?

Richard Place

Et, par la suite, l’ensemble de la presse n’a jamais omis de rapporter cette saillie, notamment, of course, les Britanniques dans le journal Living France d’avril 1998 :

Food for thought : Poisson d’avril ?

Do you speak the language of Cyrano de Bergerac ?

Jan Beart-Albrecht has a try.

An organisation which is trying to encourage the French to speak a form of their language which died out in the last century might sound like an April Fool’s joke (poisson d’avril in French), but that is the half-serious, half-whimsical aim of the aptly named CO. R. U. P. S. I. S. (How the French love their acronyms !).

(…) Membership has reached nearly a thousand, including subscriptions from overseas, and the association has received over 300 letters from linguistic Francophiles who are delighted to correspond in, and on the subject of, the imperfect subjunctive.

Some write pœms, there are plays on words – all in the spirit of fun and love of language. This tense may have died out in spoken French about 150 years ago, but to Alain Bouissière its usage adds sparkle and spice, in the tradition of Cyrano de Bergerac.

The aim of the association is to have fun with words, which is Alain Bouissière’s speciality. When interviewed by a local newspaper about the corruption of the French language, and what he proposed to do about all the English words entering it, he replied with a straight face that he would Frenchify them, by adding the imperfect subjunctive endings ; thus « Il serait temps que nous drinkassions un petit apéro… ! »

(…) Alain tried to make me conjugate the verb mourir in the imperfect subjunctive, and by the time I had got bogged down in the mourusses and mourussions, we had both dissolved into fits of laughter. Maybe it’s true, the imperfect subjunctive can be fun…

Il faudrait que nous closissions ce chapitre et que nous le conclussions… Je n’en ai aucune envie car, mesdames et messieurs les journalistes, c’est sur vous que repose l’action de notre association. Plus vous en parlerez, plus vous l’utiliserez (avec dérision ?), plus ces conjugaisons resteront dans les mémoires !

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