Le subjonctif ressuscité

Signe qu’à une époque donnée, il existe une génération spontanée d’un courant de pensée, où une idée se précise et fleurit en plusieurs points de la planète sans qu’il existe de relation directe entre les individus qui la cogitent, de nombreuses personnes m’ont avoué qu’ils avaient pensé, un jour, à s’inquiéter de ces braves conjugaisons remisées sur les étagères…

À la recherche d’un temps perdu

Avec le goût qu’affirment les Français pour les vieilles pierres de leur patrimoine, pour les riches heures de leur histoire, les collections de leurs musées ou les arcanes de leur généalogie, il serait étonnant que se poursuivît la désuétude de l’imparfait du subjonctif et qu’on n’assistât pas bientôt à son retour en grâce, sinon en force. N’est-il pas, au même titre que la baleine bleue ou le pangolin, une espèce en voie de disparition ?

Rien n’est plus beau, plus logique, plus élégant, en un mot : plus français, qu’un imparfait du subjonctif employé à bon escient. Mais tout est, bien entendu, affaire de circonstances, et le dossier de ceux qui le mettent en accusation est lourd de fous rires et d’assonances ridicules.

(…) À l’image des siècles qui l’ont précédée, notre époque possède tous les défauts du monde, ce qui ne l’empêche pas de vivre en permanence dans la quête de la perfection. « Zéro défaut » est le slogan obsessionnel de l’industrie, zéro microbe, zéro faute, zéro pollution, et, pourquoi pas ? – des milliers de tués sur les routes en témoignent ! – zéro de conduite.

Comment, dans ces conditions, des grammairiens et des écrivains réussiraient-ils à assurer la promotion du subjonctif et, qui plus est, du subjonctif imparfait ?

Comment ce mode, qui dans son appellation même s’avoue imparfait, parviendrait-il à inspirer confiance à l’usager ?

Démodé, sans doute, le subjonctif imparfait, mais guère plus que les chasses à courre, les jardins à la française, les opéras baroques. Démodé… mais irremplaçable. Il est la marque de la noblesse, de la majesté, de la différence affichée, de la distance, mais aussi de la morgue. Si Dieu parlait – Lui qui se préfère dans le rôle du Plus que Parfait – n’emploierait-Il pas le subjonctif imparfait pour s’adresser à Ses créatures ?

(…) C’est une mode à relancer ; car il nous semble qu’il soit davantage un mode qui se détend qu’un temps qui se démode. Une devinette en est la preuve :

« Pourriez-vous me dire à quel temps est conjuguée la phrase suivante ; « Je suis enceinte ? »

À l’imparfait du préservatif !

Claude Gagnère

Reprenons aussi un extrait du chapitre « Conjugaison » d’un autre ouvrage de Claude Gagnère, qui défend encore et toujours l’emploi de l’imparfait du subjonctif.

Dans son livre Mémoires de Madame la langue française, Jean Duché rapporte la phrase que Jacques de Lacretelle dit un jour à son confrère au sortir d’une séance sous la Coupole :

« J’eusse été fâché que vous m’imputassiez cette connerie ! »

La juxtaposition au sein d’une même phrase d’un mot rude et d’une tournure recherchée et désuète parvient à conférer à l’ensemble un ton malicieux et inimitable.

Prononcée par le plus délicat et le plus distingué des académiciens, une telle réplique pourrait à elle seule justifier que l’on continuât à employer, de temps à autre, le subjonctif imparfait.

TEMPS PERDUS (à la recherche des.) Petite annonce :

Cherche à fonder association pour la réhabilitation du passé simple et de l’imparfait du subjonctif afin que soit toujours entendue la langue de Racine :

Ariane, ma sœur, de quel amour blessée

Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !

Alain Bost

Micro Dico de Pseudo Philo pour classe de troisième.

De la même manière, le titre de l’article de Thierry Chevrier paru en 1996 dans la revue Journal de la Vieille France est identique à celui de Claude Gagnère cité précédemment.

À LA RECHERCHE D’UN TEMPS PERDU…

L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF !

C’est pas du français que tu m’causes, c’est de la peine…

Il est des temps de notre conjugaison dont le temps semble à jamais révolu. Branches mortes d’un arbre multicentenaire, qui ne fut pourtant jamais émondé, elles se sont progressivement rabougries, puis sont tombées, dans l’indifférence générale. Ces formes, jugées désuètes et obsolètes, gisent au fond des grimoires que sont devenus pour le lecteur moderne les ouvrages du XIXe siècle. Faute d’être utilisées, faute aussi d’être enseignées (ceci entraînant peut-être cela…), elles ne seront bientôt plus du tout connues du grand public.

La preuve en est que lorsqu’un homme de télévision, théoriquement censé être un pratiquant actif et professionnel du langage, se hasarde à vouloir utiliser un subjonctif imparfait, il ne parvient pas toujours à éviter le ridicule. C’est le cas, par exemple, de Laurent Baffie qui, au cours d’un de ses canulars téléphoniques, demande à son interlocuteur de lui donner le subjonctif imparfait du verbe oindre, et, s’étant heurté à l’impuissance désolée de celui-ci, lui délivre doctement cette réponse : Encore eût-il fallu que je l’oignasse.

Certains font mieux, bien sûr, tel Patrick Chène qui, commentant le Tour de France, fait remarquer du ton le plus naturel : « à un tel rythme, il était inéluctable que les échappés fussent rejoints ».

Quelques hommes politiques se risquent à leur tour, depuis François Mitterrand et Raymond Barre, précurseurs en la matière, à en réemployer un de temps à autre, mais furtivement et sans insister toutefois, afin de ne point paraître pédants. Car force est de le constater, à vouloir bien parler notre langue, on risque aujourd’hui de se voir taxé de préciosité (…)

Aucun souvenir ne me reste du subjonctif imparfait à l’école primaire, que je connus pourtant dans sa forme la plus « classique » dans un véritable collège d’Oratoriens réputé pour la rigueur et la tenue de son enseignement . Un de ces établissements où des surveillants stylés vouvoyaient les élèves, et savaient priver les élèves turbulents de piscine en termes châtiés…

Chevrier ? Vous vous passerez d’ébattements nautiques !

Faut croire que nous étions considérés comme trop jeunes pour faire notre profit de ce poétique recoin de la conjugaison française. À moins que plus prosaïquement, avec l’ingratitude de l’enfance, nous ayons laissé rouler hors de nos mémoires cette perle par trop exotique pour s’y fixer.

Il s’immisça devant mes yeux par surprise, par éclats si fugitifs que je n’y pris pas garde. Ma mémoire subliminale seule gardait la trace de cette curiosité incongrue au curieux goût de faute de frappe, accent circonflexe qui brusquement vous clignait de l’œil du haut d’un u, d’un a ou (plus rarement) d’un i, sans que l’on comprît vraiment pourquoi il nichait là. L’intelligence, gênée, eût aimé qu’il s’évanouît, s’éloignât, disparût. Cependant, il était là, insistant, un rien poseur (…)

Il allait falloir que vinssent d’autres lectures, pour que cet intrus ressuscitât. Pour moi, cette deuxième invasion devait être foisonnante, aussi envahissante qu’un nuage de criquets pèlerins. C’était dans Voyage au Centre de la Terre, mon premier Jules Verne.

Mon père me l’avait fourré entre les mains. J’avais dû accepter un peu à contrecœur – il faut bien le dire – contrarié que l’on dérangeât soudain mon petit confort de lecture, qui plus est, avec un auteur qui s’appelait Jules : vrai prénom de grand-père, qui sentait le sérieux et le renfermé (…)

L’imparfait du subjonctif ? Cela n’existe pas, vous dis-je !

J’ose espérer, cher lecteur, que vous réalisez bien l’illégalité flagrante dans laquelle je vous ai entraîné. À l’heure même où j’écris ces lignes, sachez que le correcteur orthographique de mon traitement de texte refuse catégoriquement sa légitimité à mon dernier subjonctif imparfait, en lieu et place duquel il me suggère un incongru montaisons, à moins que je n’accepte de me contenter du plus prosaïque montrions, ou encore du conditionnel montrerions.

Pensez-vous qu’au moins, le programmeur avisé de ce gendarme lexical aura daigné inclure dans sa panoplie d’autres temps plus courants que ceux que, dans notre folie, nous employâmes ? que nenni !

Pour ce dernier verbe, son robot nettoyeur nous propose employantes (sic), rien de moins … À désespérer de vivre au vingtième siècle, vraiment, et comme le pressentait Jules Verne lui-même dès 1863, « Ce peu d’art n’avait donc pas échappé à l’influence pernicieuse du temps . »

Je cherche un homme (Diogène)

Tout l’hiver a cependant son printemps, chez nous tout au moins, et il y a peu, une association pleine de verve et d’humour a fleuri à l’ombre d’une vieille bastide de Dordogne, pour remettre à l’honneur ces formes oubliées. Plusieurs reportages sur différentes chaînes de télévision se sont récemment intéressés à la naissance de CO. R. U. P. S. I. S. Ne cherchez pas, latinistes distingués, une quelconque étymologie issue de corupto, foncer les cornes en avant !

Il s’agit tout simplement du Comité pour la Réhabilitation et l’Usage du Passé Simple et de l’Imparfait du Subjonctif.

Son créateur et secrétaire Alain Bouissière, truculent patron de l’hôtel de Londres, n’a pas son pareil pour redresser gentiment, avec son accent vibrant et chantant de Marseille (dont il est originaire), la maladresse de cette cliente qui vient de décider, devant son verre :

Maintenant, il faudrait… que je le buvasse.

L’œil pétillant, le doigt levé avec une impérieuse bienveillance sur la fautive, Alain-Parfait du Subjonctif corrige patiemment son erreur, égrenant avec délectation :

Que je le busse, que tu le busses, qu’il le bût, (le circonflexe est dessiné par l’index), que nous le bussions, que vous le bussiez, qu’ils le bussent !

L’esprit de l’association, dont certains considèrent qu’elle n’est qu’une simple galéjade, est disons-le d’emblée, à la tolérance et à l’humour.

Jamais on n’en voudra à un prétendant à l’adhésion d’avoir trébuché sur l’emploi d’un temps retors à l’emploi rouillé. Point de vengeurs acariâtres et revanchards à CO. R. U. P. S. I. S.

On y cultive paisiblement le plaisir de la conjugaison comme on savoure le pastis, sans hésiter, si l’occasion s’en présente, à rendre à l’envahissante langue anglaise la politesse qu’on lui doit, annexant ses verbes à notre sauce, ce qui donne :

Il serait temps que nous drinkassions un petit apéro, avant que nous eatassions la suite.

Que les fâcheux et les aigris, s’il en est, daignent ne pas s’affliger de cette bonhomie. Il ne s’agit pas de se draper dans notre dignité face à une quelconque décadence, et de scander nos pieux griefs à la face du monde, dans le vain espoir d’infléchir sa course. Pas question, tel Lamartine, d’objurguer d’un ton désespéré : « ô temps, suspends ton vol ! »

L’objectif affiché d’abroger le décret ministériel qui, en 1901, officialisa la tolérance du subjonctif présent n’est rien d’autre qu’un clin d’œil au militantisme, comme celui de cet humoriste qui s’était mêlé à une manifestation pour hurler, d’une voix décidée : « À bas la violence, ou bien on casse tout ! » Le nombre d’adhérents, dont font partie plusieurs élus, approche dès à présent les 150 (été 1996). Le cap des 200 membres une fois atteint, l’association pourra être déclarée d’utilité publique. Le projet a été émis d’éditer alors un petit bulletin de liaison, auquel chacun pourrait contribuer à sa guise, venant y exprimer un point de vue, y proposer ses remarques ou y faire des suggestions personnelles. Plate-forme propice aux échanges intellectuels, plus qu’un mouvement de revendication pure et dure, cette association pourra être, pour ceux qui le souhaitent, l’occasion de faire connaissance avec d’autres adhérents. On peut la voir aussi comme un manifeste gratuit, à la française, d’un certain esprit mousquetaire, prêt à embrocher tous les conformistes langagiers d’une botte élégante, au nez des gardes du Cardinal qui interdisent ce type de duel.

Thierry Chevrier (adhérent 113)

En 2002, l’association compte 1100 membres et le montant de la cotisation est de 7,7 Euros.

Paris le 21/05/97

Cher monsieur Bouissière,

C’est avec énormément de plaisir que j’ai fait votre connaissance à l’émission « Aléas » d’hier soir. Pour une fois, il ne sera pas question de : « Vous l’avez rêvé, Sony l’a fait ». Effectivement, j’ai toujours dit par boutade qu’un jour je créerai une association de défense du subjonctif imparfait qui est souvent menacé de mort par nos éminentes têtes grises pour la plupart incapables d’écrire correctement leur langue ! Mais j’imaginais mal que nous étions si nombreux à revendiquer notre amour du beau langage.

Je constate (avec tristesse) une nette dégradation de notre chère langue dans tous les supports écrits, que ce soit journaux (là, on vous répondra qu’il faut faire vite donc pas le temps de relire), magazines pour enfants (ah le bel exemple pour la génération future déjà embrigadée dans un galimatias mâtiné de franglais, de « rap-langage » et autres idiomes caractéristiques de telle ou telle banlieue !), livres de poche (« pour ce prix-là, inutile de payer un correcteur, cela ferait augmenter le prix de revient dudit livre ») ou livres « ordinaires ».

Je passe mon temps à souligner les fautes et je ne manque pas d’anecdotes à ce sujet. Je peux même préciser que je suis plutôt mal considérée à mon travail car je relève les fautes et les gens (n’ayons pas peur de souligner « les cadres responsables ») sont encore très susceptibles à ce sujet, même si vous présentez la chose avec diplomatie. J’aime la langue française et aimerais tant qu’elle soit utilisée avec plus de discernement, de respect. Combien de fois, aussi, ai-je entendu des réflexions amères au sujet de la ponctuation dont les règles sont sans cesse bafouées par des usagers peu scrupuleux qui n’ont rien compris à l’importance de ces signes.

Alors merci d’avoir pris la défense d’une langue qui, grâce à des gens comme vous, pourra peut-être se refaire une petite santé ?

De mon côté, il me serait très agréable d’en connaître plus sur votre comité et éventuellement de rejoindre vos rangs. Certes, je n’ai pas utilisé énormément de subjonctifs imparfaits dans ma lettre, mais, tout comme ces gauchers contrariés qu’on s’efforce de « ramener dans le droit chemin », il ne sera pas trop difficile de revenir à un style enfin reconnu (par des amateurs éclairés !).

Merci de me répondre et en tout cas, encore bravo !

Mlle Thi Tâm Leprieult

Monsieur,

Je lus récemment dans ma revue habituelle que vous entreprîtes de sauver l’emploi du passé simple et du subjonctif imparfait, que vous vous y employâtes de la belle manière et continuez de vous y employer.

On eût pu craindre en effet que ces temps quelque peu inusités ne sombrassent dans l’oubli et ne devinssent complètement étrangers aux francophones. Il fallait donc vraiment s’attendre à ce que les terminaisons inhabituelles de ces temps sonnassent désormais bizarrement à leurs oreilles et disparussent à tout jamais.

Je ressentis donc beaucoup de joie lorsqu’il m’apparut qu’on s’opposait enfin à la mort lente d’une partie du patrimoine linguistique français.

Permettriez-vous qu’on vous félicitât et vous encourageât vivement à poursuivre votre tâche et qu’on formulât les vœux les plus sincères pour son succès ? Il serait en effet regrettable que vous perdissiez ce pari que vous tîntes, animés que vous fûtes par une ambition ô combien légitime !

Nous souhaiterions aussi que le nombre de vos adhérents s’accrût et que vos efforts convainquissent le plus grand nombre de nos compatriotes.

En ce qui me concerne, vous allâtes au devant de mes désirs car, inconsciemment, j’attendais que vous vinssiez afin que prît fin ce scandale grammatical.

J’ai aussi une pensée émue pour le regretté Léon Zitrone, qui, bien qu’il fût d’origine étrangère, ne manqua jamais d’employer ces temps tombés en désuétude en espérant qu’on suivît son exemple.

Voilà donc qui est fait. Plût à Dieu, qu’il pût se réjouir, là où il est !

Je vous remercie encore et serais très heureux que vous voulussiez bien m’accueillir au sein de votre confrérie.

En ce début d’année, je souhaiterais bien sûr qu’elle prospérât et atteignît le but qu’elle s’est fixé.

Christian Dereims

À monsieur le Président de CO. R. U. P. S. I. S.

Enfin, j’enrageai parfois d’oublier la concordance des temps. Il n’y a pas longtemps encore, avant que j’eusse connaissance de votre association, je craignais d’être un cas, chérissant, seul au groupe, les temps perdus de notre conjugaison.

Votre existence me rassure, et vous me combleriez en m’indiquant les conditions d’adhésion à CO. R. U. P. S. I. S.

Avec mes remerciements, veuillez agréer, monsieur le Président, l’assurance de mes sentiments dévoués.

Bruno Cavalier (adhérent 924)

Bien cher monsieur,

Suite à l’émission Envoyé Spécial du 22 mai sur France 2, je me suis trouvée tout à fait en accord avec vous pour la sauvegarde de ce patrimoine qu’est notre langue française bien parlée : moi-même dans ma façon de m’exprimer, il m’arrive d’employer l’imparfait du subjonctif quand je commence une demande polie par « il faudrait… »

En tant que vice-présidente d’une société philharmonique à Roanne, nous avions une réception pour accueillir nos amis musiciens allemands de Reutlingen, j’ai eu mon succès en demandant :

– Chers amis, avant de lever notre verre, il faudrait que vous m’écoutassiez…

Mes amis musiciens roannais ont souri et gentiment me demandent parfois de parler « en subjonctif » lors des répétitions.

Je suis enseignante retraitée, je n’ai jamais enseigné passé simple et imparfait du subjonctif car j’étais directrice d’école maternelle et à cet âge… les enfants ont d’autres façons pour s’exprimer !

Au plaisir de vous lire, cordialement,

Josette Giraud (adhérente 452)

Bien évidemment, pour reprendre la phrase de notre correspondante, « les enfants ont d’autres façons de s’exprimer », mais notre rôle à nous, adultes, est de leur faire aimer ces tournures ampoulées et susciter chez eux l’emploi du subjonctif. Car le susciter, c’est déjà le ressusciter !

Cette mission (quel mot contraignant !) n’est pas tout à fait impossible, car les scolaires jouent spontanément avec les tournures ambiguës offertes par ces conjugaisons d’un autre temps…

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