Truculent subjonctif

Pour moi, utiliser le passé simple et l’imparfait du subjonctif dans la conversation me replonge deux à trois siècles en arrière, et tout l’héritage de la bonne langue française me revient en mémoire : J’étudie la Carte du Tendre, je participe (présent ?) aux fêtes galantes, je suis l’observateur « statufié » des tableaux de Watteau…

Et, la plume Sergent Major trempée dans l’encre violette, je m’assieds au secrétaire de Mme de Sévigné.

M lle  du Plessis nous honore souvent de sa présence ; elle disait hier qu’en basse Bretagne on faisait une chère admirable, et qu’aux noces de sa belle-sœur on avait mangé pour un jour douze cents pièces de rôti : à cette exagération, nous demeurâmes tous comme des gens de pierre. Je pris courage, et lui dis : « Mademoiselle, pensez-y bien ; n’est-ce point douze pièces de rôti que vous voulez dire ? On se trompe quelquefois.

– Non, Madame, c’est douze cents pièces ou onze cents ; je ne peux pas vous assurer si c’est onze ou douze, de peur de mentir, mais enfin je sais bien que c’est l’un ou l’autre », et le répéta vingt fois ; et n’en voulut jamais rabattre un seul poulet. Nous trouvâmes qu’il fallait qu’ils fussent au moins trois cents piqueurs pour piquer menu, et que le lieu fût en grande prairie où l’on eût tendu des tentes ; et que, s’ils n’eussent été que cinquante, il eût fallu qu’ils eussent commencé un mois devant. Ce propos de table était bon ; vous en auriez été contente. N’avez-vous point connu quelque exagéreuse comme celle-là ?

Ferdinand Brunetière, au sujet de Mme de Sévigné affirmait :

« Une Sévigné n’écrivait jamais ses lettres pour faire métier d’écrivain, mais ayant écrit dans le temps de la maturité de la langue, elle s’est trouvée parler une langue incomparablement supérieure, pour les curieux de style, à la langue de Rousseau et de Diderot. »

D’accord, je vous le concède, la Sévigné était, elle aussi, quelque peu exagéreuse dans cette lettre du 15 juillet 1671 adressée à Mme de Grignan, mais essayons de l’intégrer dans notre sabir « fin vingtième. «

Personnellement, je lui trouve un charme désuet, qualifié de précieux par les critiques du XIXe, qui, en notre époque anglo-onomatopéique, m’évoque une truculence rare.

Franchement, trouvez-vous « affreux » ces subjonctifs imparfaits comme, en son temps, George Sand ? Celle-ci, citée par Kristoffer Nyrop, annonçait :

« L’essence de compromis que je hasarde entre le berrichon et le français de nos jours, ne m’oblige pas à employer cet affreux imparfait du subjonctif inconnu aux paysans ! »

« Inconnu aux paysans » : Aurions-nous trouvé une explication rationnelle du fait que les verbes traire, braire et paître n’ont pas de passé simple et d’imparfait du subjonctif en langue d’oïl ?

Déjà, Jean Laguionie, « occitaniste » qualifié, nous informait que la langue d’oc conservait toujours ces formes intactes et restait fidèle à la très latine concordance des temps.

Confirmation dans un article paru dans La Setmana, journal occitan :

Conjugason

Montpasier, un vilatge de Dordonha, a dempuèi quauques meses una associacion de défense du passé simple et de l’imparfait du subjonctif. Lo titol es en francés pr’amor es plan question de lenga francesa.

Resultat, los socis de l’associacion se parlan amb de passats simple e d’imperfaits del subjonctiu. Aurian pogut pensar, pr’amor d’èstre en manca d’aquelas conjugasons, qu’èra mai simple de parlar Occitan. Atal aurian pogut s’assadolar de subjonctius passats. Auria calgut que i pensèsson.

Mas i pensèron pas ! Regretable pr’amor seria estonable que lo Peirigord pregond aguèsse emplegat sovent aquelas conjugasons en francés.

Om pot efectivament voler entrar dins lo futur en renegar son passat simple. Es una faiçon de creire qu’om viu al present.

Grâce à Géli-Gilles Grande, nous avons la traduction de l’article :

L’Occitanie, terre de l’imparfait du subjonctif

Monpazier, un village de Dordogne a depuis quelques mois une association de Défense du Passé Simple et de l’Imparfait du Subjonctif. Le titre est en français car il est bien question de langue française. Résultat, les membres de l’association se parlent avec des passés simples et des imparfaits du subjonctif.

Du fait d’être en manque de ces conjugaisons, ils auraient pu penser qu’il était plus simple de parler occitan. Ainsi ils auraient pu se rassasier de subjonctifs passés. Il eût fallu qu’ils y pensassent. Mais ils n’y pensèrent pas ! C’est regrettable car il serait étonnant que le Périgord profond eût employé souvent ces conjugaisons en français.

On peut effectivement vouloir entrer dans le futur en reniant son passé simple. C’est une façon de croire que l’on vit au présent.

L’article est mitigé et un tantinet sectaire, mais conservons le titre qui est très intéressant car :

Sur un vieux papier, au coin d’une table, je confirme mon intérêt pour votre subjonctif chantant, l’accent du sud de la France, comme vous le dîtes, y apporte toute sa saveur.

Andrée Renoulleau, (adhérente 780)

La fameuse tirade des nez (I, 4) dans Cyrano de Bergerac, la pièce d’Edmond Rostand, serait bien triste sans les imparfaits du subjonctif et les passés simples ! Et imaginez Raimu, avec son accent de Toulon, déclamant :

Agressif : Moi, monsieur, si j’avais un tel nez,

Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse !

et

Gracieux : Aimez-vous à ce point les oiseaux

Que paternellement vous vous préoccupâtes

De tendre ce perchoir à leurs petites pattes.

Ces conjugaisons oubliées s’intègrent bien dans l’évocation des vieilles pierres, des châteaux surplombant la Dordogne, de Cyrano de Bergerac, du panache des mousquetaires, des joyeuses ripailles, de Brantôme, du Vert Galant…

Si le CO. R. U. P. S. I. S. a connu un tel succès médiatique, nous pensons qu’il est dû en grande partie au sud-ouest et au Périgord.

Il aurait sûrement connu un moindre retentissement s’il avait été crée dans une obscure banlieue de grande ville. Toutes ces lettres semblent le confirmer :

Monpazier,

Proche de Cyrano et de sa truculence,

Fleurant bon le passé d’une très douce France,

Surgie d’un autre temps, en son décor altier,

Belle dans ses atours, se dresse Monpazier.

Souventes fois, en passants qui passèrent trop vite,

D’un passé pur et simple, étourdis vous n’y vîtes

Que vieilles pierres, sans écouter les voix

Qui, tout doux, murmuraient un parler d’autrefois.

Respectant l’imparfait de l’ancienne bastide,

De ses arcs inégaux, des ornements timides,

Ne fallait-il donc point que nous restaurassions

Le bon vieux subjonctif ; au moins l’essayassions ?

Qu’on dise : « il osa trop ! », mais enfin vous osâtes.

Foin du parler pédant, du jargon technocrate !

Il faudrait que, nombreux, nous le tentass-i-ons

Aventureux pari, belle tenta-ti-on !

Jean-Michel Naulleau (adhérent 961)

Cher Président,

À Monpazier il fallait que je passasse !

Au CO. R. U. P. S. I. S. il fallait que j’adhérasse !

Quand au Pardailhan je suis entrée

Je venais de voir tout Monpazier.

Subjonctivement, mais pas « imparfaitement » vôtre.

Gisèle Esquier (adhérente 759)

À l’insigne héritier de Pardailhan

Alain Bouissière

Hostellerie de la capitale de la douce Albion

Bastide de Monpazier.

Certaine fois de l’an mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit, fuyant tourments et orages du vaste monde, je crus, en partance vers la plus somptueuse des bastides, mettre mes pas dans ceux de d’Artagnan…

J’y croisai les bottes de Pardailhan ! La blancheur de ses bières dorait goulayamment le miel des antiques moellons et son moult aimable logis familial y rimait fort merveilleusement avec la superbe place médiévale.

Si d’aventure, souventes fois, vous vous trouviez en grande désespérance des misères du pauvre monde, demeurez, céans, à l’heure où sonne l’angélus du soir.

En la badine compagnie du plaisant tenancier et à l’abri des puissants murs de Monpazier, il serait séant qu’ici, vous ressentissiez combien,

de même que grâce à Cyrano naguère dans notre simple passé d’amusantes muses passèrent – grâce au sieur Bouissière, en son hospitalière hostellerie, dans sa présence imparfaite, bienfaisante, bien-disante – bienheureuses heures pussent passer.

Gdine

Saint Jean des Mauvrets Anjou.

Ami, sans vous connaître, déjà ! Télévision, téléphone et le bic qui fait clic !

Du rare à l’extraordinaire, il ne faut qu’un pas : celui qui mène de l’intelligence à la chevalerie.

Combien de temps passerons-nous à comprendre que même les montagnes se rencontrent ?

En prime, l’horreur de la situation : J’habite Boulogne, premier port de pêche de France, à 32 km de la perfide Albion que je vois tous les jours. Parlant anglais couramment tout en ayant horreur de ce peuple ainsi que des gens de Guyenne, je corresponds avec une personne d’oc à l’enseigne de l’hôtel de Londres ! ! !

Moi, de chez qui Napoléon en 18O5 fit sa grande armée pour aller en battre d’autres à Austerlitz ! ! ! ! !

Si ! Monsieur, les montagnes se rencontrent !

Ami, comme il m’a fait plaisir en t’entendant, de trouver un ami aimant le beau langage, celui qui n’aurait jamais dû quitter les bancs de l’école. Ce que tu fais est bien, beau, et rare en un pays tutoyant l’oc, la Guyenne et le cathare :

Monpazier,

Mon carré de Bastide.

Anglaise elle fut,

Française est devenue.

Chevalier ardent,

Vive Pardailhan !

Trop amoureux de la Dordogne pour laisser passer ça !

Peux-tu embrasser de bon cœur tous ces gens que tu connais et que je ne connais pas ?

Dis-leur qu’ici, auprès de la mer, au moins deux personnes pensent à leur pays et que ça nous fait mal de bonheur. Merci,

Louis-Jean Marchandise

Il eût suffi, pour ce grimoire,

D’un non-parfait qui subjonctât

Et d’étrangeté le teintât.

Mais les images de l’histoire,

Sous des nuages en taffetas,

En ont obscurci la mémoire.

Pourtant,

Dans les ruelles irréelles

Du Monpazier de leurs désirs,

J’eusse voulu me souvenir

Des Estelles et des Isabelles

Et de leurs robes de dentelle

En la bastide des plaisirs.

Pierre Frichement (adhérent 911)

Une bastide pour défendre l’imparfait du subjonctif

Visitant Monpazier, il fallait que je visse

La bastide du français, siège du CO. R. U. P. S. I. S.

Son roi est imparfait… celui du subjonctif,

Son passé se veut simple, c’est un noble objectif.

Forteresse du verbe, tes guerriers pacifiques

N’ont d’arme que la plume, mais ils sont magnifiques.

Il siérait que leur lutte, à la fin, triomphât

Et que fût aboli le décret scélérat

Qui voudrait, sous prétexte, d’être plus efficace,

Que les membres sonores du français j’amputasse.

Philippe Guichardaz (adhérent 792)

Et finissons ce chapitre par cette lettre-là, avec le truculent subjonctif qui y est employé :

À Messire Bouissière, maître tavernier en la bastide de Monpazier

Pourfendeur des malandrins, traîtres et assassins

Qui, l’esprit poussif, ignorent l’imparfait du subjonctif

Et dédaignent jusques aux charmes du passé simple ;

Qu’à toutes ces fripouilles qui bredouillent,

Cafouillent, trifouillent et embrouillent

La langue française,

Il refuse toutes fioles

Et vaillamment les patafiole !

Subjugués par le subjonctif,

Nous résolûmes de fuir des villes l’air vicié

Pour que cordialement vous nous servissiez,

En guise d’apéritif,

Un vin blanc cassis ou un frais pastis.

Ainsi rebiscoulés, mais non rassasiés,

Il ne nous eût point déplu,

L’eussiez-vous cru ?

Qu’avec célérité vous nous cuisinassiez

Une langue braisée

Tout aussi raffinée que votre parler.

Nouveaux joyeux adhérents,

Puissions-nous rentrer contents

Dans nos calmes logis

Après le brasier subjonctivé

En la bastide de Monpazier.

Nicole, Jacqueline et Claude Julien (adhérents 883)

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