Mardi, 27 février. – Nous avons déjeuné avec Sir Arthur et Miss Kennedy, qui nous ont donné de curieux détails sur la colonie. Elle existait à peine il y a trente ans, et c’est aujourd’hui un port florissant, percé de belles rues et rempli de maisons et de jardins magnifiques. Le climat est bon ; l’état sanitaire des troupes et des habitants est, en général, satisfaisant. Malheureusement, la ville est exposée aux typhons ; ils arrivent soudainement, sans qu’on puisse les prévoir, surtout sans que l’on puisse se préserver de leurs redoutables effets. Des milliers d’existences et des millions de livres sterling disparaissent dans ces ouragans. On nous a montré les traces du passage d’un typhon, survenu dans le courant de 1874. Des colonnes de granit, des poteaux en fer, des toitures en zinc ont été brisés ou enlevés par la seule force du vent.
Le Gouverneur était sur le point de partir, et un groupe de Chinois est venu lui offrir une « ombrelle d’État », au nom de dix mille habitants de cette nation, qui font partie de la population de Hong-kong. C’est le plus grand honneur qu’on puisse faire à un personnage. L’ombrelle arriva dans une boîte en camphre, accompagnée d’une adresse brodée en lettres d’or qu’on tira d’un coffret en bois de sandal, richement sculpté. Les membres de la députation s’étaient fait précéder de leurs cartes de visite, écrites au vermillon, en anglais et en chinois ; ils furent introduits dans le grand salon, mais Miss Kennedy et moi, nous ne pûmes assister à la remise de l’ombrelle que par une porte entre-bâillée. La présence de femmes à une cérémonie officielle est contraire, en effet, à l’étiquette chinoise.
Dans la journée, j’ai été me promener au haut du pic qui domine la ville, avec les enfants. La pente est si escarpée que, pour ménager mes forces un peu éprouvées ces temps-ci, je me suis fait porter en palanquin. Les enfants cueillaient des fleurs et des fougères. Les chiens, qui nous accompagnaient, se livraient à des courses folles ; c’est la première fois qu’ils descendent à terre ici, parce qu’on nous a prévenus qu’on les volait. Il y a, au haut du pic, un mât de signaux pour les communications avec les navires qui entrent au port ou qui en sortent. En revenant à bord, j’ai trouvé notre personnel grossi de deux petits Chinois. Ils doivent être employés à la cuisine et à l’office, et paraissent pleins de bonne volonté ; reste à voir comment ils s’entendront avec les autres domestiques.
Mercredi, 28 février. – Une délégation de marchands chinois est venue, ce matin, demander à Tom de dîner avec eux, lui laissant le choix du jour. C’est, dit-on, de leur part, une prévenance exceptionnelle. Il paraît qu’ils ont été très-satisfaits de certaines remarques que Tom a faites hier en leur présence, dans le salon du Gouverneur, et qu’ils sont tous enthousiasmés à l’idée qu’il a eu la hardiesse de prendre sa famille avec lui sur un yacht, pour circuler autour du monde. Nous leur avons montré le Sunbeam en détail, et ils ont paru très-intéressés.
La partie chinoise de la ville est tout à fait séparée du quartier européen. Elle est sale et toujours encombrée, malgré les grandes rues qui la sillonnent ; les maisons sont vastes, peintes en couleurs claires et portent toutes les noms et les enseignes de leurs propriétaires. Nous sommes entrés au théâtre, qui était plein. Au parterre, les hommes et les femmes sont assis, pêle-mêle ; mais dans les galeries, il y a des places distinctes, pour chaque sexe. Le jeu des acteurs est tout à fait primitif ; la musique, atrocement discordante. Quant à la pièce, on en jugera par ce détail : une colline escarpée que le héros et l’héroïne gravissaient péniblement, était représentée par cinq chaises de cuisine disposées sur trois tables que des hommes maintenaient, dans leurs vêtements de travail. Le fugitif et sa compagne étaient un général tartare et sa femme, échappés à l’ennemi après une grande bataille, qu’on répétait, par intervalles, avec beaucoup de bruit et d’animation. Quelques-uns des costumes sont très-beaux et valent de 800 à 1, 000 francs. En sortant du théâtre et pendant que nous regardions des boutiques chinoises, un homme a pris, dans ma poche, un billet de banque d’un dollar. M. Freer et le docteur qui l’avaient vu, s’élancèrent à sa poursuite et parvinrent à l’attraper. Il protesta de son innocence, mais on trouva sur lui le billet volé. Ces messieurs le menacèrent de le conduire au poste, puis le laissèrent aller.
Jeudi, 1er mars. – Mars a débuté par une matinée superbe ; après s’être présenté comme le plus paisible des agneaux, le nouveau mois ne voudra pas, je l’espère, tourner au lion, tandis que nous serons dans le golfe du Bengale. Nous avons quitté le yacht de bonne heure, pour prendre le Kin-Shan, bateau à vapeur américain, calant peu d’eau, qui nous a menés à Canton. Il y avait, à bord, huit à neuf cents Chinois, parqués, comme des animaux, dans le fond du navire. Des sentinelles armées les surveillaient ; des pistolets et des fusils étaient accrochés aux cloisons du salon, à la disposition des passagers en cas d’alerte. Ces précautions sont nécessaires, à cause des pirates qui se glissent parfois dans les rangs des coolis, pour guetter l’occasion de s’emparer du navire. Il n’y a pas deux ans qu’un vapeur de la même Compagnie fut attaqué de cette façon ; le capitaine et plusieurs passagers furent tués ; le bâtiment fut jeté à la côte, aux environs de Macao. Notre voyage, à nous, s’est passé sans incident ; le capitaine est aimable ; le navire, propre et confortable. On a servi un excellent déjeuner et un tiffin très-soigné, le tout pour quatre dollars par personne, y compris le vin, la bière et l’eau-de-vie ad libitum.
À part les forts de la Bogue où l’on aperçoit encore la trace des canons français et anglais, la traversée n’a rien de bien intéressant. Mais, à partir de Whampoa, qui est comme l’avant-port de Canton, les jonques et les sampans qui glissent entre les rives plates de la Perle, ou qui se balancent à l’envi, dans les criques adjacentes, donnent au tableau qu’on a devant soi une animation et une étrangeté sans pareilles. Que de voiles et de mâts ! Les bateaux de mandarins, surtout, sont si magnifiquement sculptés, si soigneusement peints, si richement décorés, qu’on dirait plutôt des objets d’ornement. Notre steamer nous débarqua, vers deux heures, sur une jetée en bois, au milieu d’une foule assourdissante ; nous commencions à nous demander que faire et où aller, dans cette ville où nous ne connaissions pas une âme, quand l’arrivée du vice-consul mit fin à notre embarras. Il nous apprit qu’à cause d’un bal, toutes les maisons étaient remplies et qu’aucune des personnes auxquelles il s’était adressé pour nous recevoir, ne pouvait nous loger. Nos débuts à Canton n’avaient donc rien d’encourageant ; mais nous comptions sur notre étoile pour nous tirer d’affaire.
Le quartier étranger, qu’on appelle Shameen, est très-bien tenu et très-coquet. Nous y sommes entrés par une promenade, ombragée de grands arbres et tapissée de gazon, le long de laquelle s’élèvent beaucoup de maisons de négociants, bâties en pierre et munies de larges vérandas. Elles sont adossées à des jardins potagers ; devant, sous les arbres, paissent des vaches. Il semble que les familles qui occupent ces intérieurs se fournissent elles-mêmes de légumes et de lait, et l’aspect général est celui d’un paysage anglais. Nous sommes allés d’abord chez le vice-consul ; de là, au Hong Jardine. Toutes les maisons de commerce gardent les noms de leurs premiers propriétaires, même quand elles ont passé en d’autres mains. Au Hong-Deacon, nous avons rencontré d’anciens amis dont l’obligeance s’est employée à nous découvrir un gîte. Nous voici installés aussi bien que possible, dans une grande chambre, meublée à l’anglaise, avec une salle de bain à côté.
Une promenade en chaise à porteurs a rempli notre après-midi. Tom refusait d’user de ce véhicule, mais il a fallu qu’il se résignât à l’accepter, tout le monde lui disant que la marche était impossible dans des rues aussi encombrées. Le faubourg de Shameen est entouré par un cours d’eau qu’on franchit sur deux ponts, fermés par deux portes de fer et gardés par des sentinelles. Il est interdit aux Chinois d’y passer, sauf à ceux employés par des Européens. Le contraste entre les deux côtés du pont est extraordinaire. D’un grand parc tranquille, peuplé de belles villas et de jolis jardins, on tombe dans un milieu malpropre, bruyant, puant, où le cœur se soulève de dégoût à chaque pas. Les personnes qui ont vu beaucoup de villes chinoises, prétendent que Canton est la plus propre de toutes ; je me demande alors ce que doit être la plus sale. Les quartiers éloignés, où les bouchers, les poissonniers, et les marchands en plein vent exposent leurs étalages de mets sans forme et sans nom, sont vraiment repoussants. Si pauvre que soit un Chinois, il lui faut plusieurs plats à son repas : des plats servis dans des bols, sur une petite table, et mangés avec des bâtonnets, comme au Japon. De là, le fractionnement du moindre poulet ou du plus petit poisson, en je ne sais combien de morceaux que l’on répartit entre les acheteurs.
Les habitants du Céleste-Empire sont très-friands de poisson ; ils s’ingénient à le propager, à relever, à le conserver. Mais ils ont le tort, quand ils le mangent, d’en jeter les débris dans la rue. Des gens circulent avec des paniers, suspendus à des perches de bambou posées sur leurs épaules, et s’arrêtent de distance en distance pour enlever ces rebuts. L’odeur est infecte ; j’éprouvai une sensation de bien-être quand nous avons quitté ce coin de la ville, pour gagner une autre partie de Canton, plus propre, plus saine et plus calme.
Deux chaises à porteurs peuvent difficilement se croiser dans les rues, tant celles-ci sont étroites. Les toits des maisons se rejoignent presque, d’un côté à l’autre ; en outre, les habitants étendent souvent des nattes à une certaine hauteur au-dessus du sol, de façon que la rue offre l’aspect d’un long couloir, éclairé par une demi-lumière qui lui donne un aspect mystérieux. Chaque boutique porte une planche sur laquelle le nom du marchand et la liste des objets ou denrées que celui-ci débite, sont inscrits en lettres vermillon ; l’effet de cette couleur, dans le clair-obscur du long passage, est charmant. Nous avons vu des milliers de vases de porcelaine, des services de table, des services à thé ; les uns très-beaux, d’autres, en plus grand nombre, extrêmement communs. Chez un marchand d’ivoire, on nous a montré un ouvrier occupé à sculpter sur une dent d’éléphant, d’un côté une bataille, de l’autre une procession. Ce travail est destiné à l’Exposition de Paris ; il a déjà pris quinze mois et ne sera pas achevé avant un an.
Notre promenade s’est terminée par une visite au Temple des Cinq cents Génies, où cinq cents figures en bois, toutes très-laides quoique très-dorées, entourent, dans diverses poses, la statue d’un Européen, en costume de marin, qui passe pour représenter Marco Polo et qui est, dans tous les cas, l’objet d’une grande vénération, sinon d’un culte. Je ne saurais dire avec quelle joie je me suis retrouvée dans la concession étrangère, libre de respirer et de voir le ciel bleu !
Vendredi, 2 mars. – On nous a menés aujourd’hui dans divers magasins, où l’on voit les choses les plus intéressantes. Le premier est un grand établissement, où on loue des chaises à porteurs pour les mariages. Il y en a de quatre catégories. Les plus ordinaires sont déjà très-belles, avec leurs panneaux de laque et leurs ornements en argent ; mais les plus riches constituent de vraies merveilles d’art décoratif, et sont complètement recouvertes de plumes, d’un bleu lustré, provenant d’une espèce particulière de martin-pêcheur. Leur forme est à peu près celle d’une pagode carrée ; aux quatre coins, serpentent des groupes de figures. Ces étranges véhicules n’ont pas de fenêtre ; la fiancée est conduite à sa future demeure, enfermée dans ces boîtes ambulantes, avec des petits bâtons parfumés brûlant devant elle. Il y a eu, récemment, deux affreux accidents. Le premier fut occasionné par la fumée du bâton : le trajet était un peu long ; lorsque l’on arriva et que l’on ouvrit la caisse, on trouva la femme asphyxiée. Le second eut pour cause un incendie, dans une des étroites rues que l’on avait à traverser ; les porteurs effrayés s’enfuirent, en laissant là leur chaise qui prit feu sans que la malheureuse qu’elle renfermait pût sortir.
Nous sommes entrés ensuite dans un atelier de brodeurs. Leur travail est parfait, et c’est vraiment dommage qu’on n’en envoie pas de meilleurs échantillons en Angleterre. La fabrication des objets en laque est aussi très-intéressante ; il faut aller de maison en maison pour la suivre dans tous ses détails, depuis l’application des trois couches de vernis jusqu’à l’ornementation finale, car chaque atelier a sa spécialité. Nous avons vu tisser de la soie, mais le procédé est des plus primitifs. Un homme pousse la navette, pendant qu’un autre forme le dessin en sautant au haut du métier et soulevant un certain nombre de fils, de façon que l’instrument puisse passer dessous.
Visite au Temple de la Longévité, vaste temple bouddhiste, auquel est annexé un établissement monacal d’environ quatre-vingt dix prêtres. Il contient trois chapelles avec de grandes figures, mais n’offre rien de très-curieux. Au milieu du jardin, on rencontre un étang rempli de poissons rouges et d’argentines, de différentes espèces. Les Chinois excellent certainement à produire ce genre de poisson ; on en trouve dans tous les intérieurs, et il y en a de toutes les couleurs – voire des rayés et des mouchetés – avec des queues dont le nombre varie de une à cinq.
C’est en dehors de ce temple que se tient le marché du jade. Les stalles sont simplement en bois, et les vendeurs ont l’air misérable. Néanmoins, le contenu de chacune de ces échoppes vaut de 12, 000 à 25, 000 francs, et on en compte des centaines, sans parler d’une rue où l’on n’aperçoit que du jade. Cette pierre est d’un travail très-difficile, et le résultat obtenu n’est pas toujours proportionné à l’effort. Aussi faut-il y voir plutôt un tour de force qu’une œuvre d’art. Pour une bonne pierre, d’un beau vert, on demande de 12, 000 à 15, 000 francs ; un collier de petites boules se vend 25, 000 francs ; une paire de boutons de mandarin coûte 250 à 800 francs, selon la grosseur.
Non loin de ce marché, se trouve le Temple des Cinq Génies qui furent, au dire de la légende, les fondateurs de Canton. C’est un temple tartare, et les divinités qui en ornent l’intérieur sont représentées avec de longues barbes, – comme les Tartares, – ce qui leur donne un aspect particulier. Il est fréquenté par des femmes de toutes les classes ; les pauvres créatures, gênées dans leur marche par leurs pieds mutilés, s’aident mutuellement à monter les escaliers qui conduisent d’un sanctuaire à l’autre, ou s’appuient sur un bâton. Ce bâtiment a servi de quartier général aux forces alliées, pendant l’occupation de 1858-1861. Sa grosse cloche fut brisée par un boulet.
La Pagode des Fleurs, qu’on nous a également montrée, date de l’an 512 avant Jésus-Christ ; elle est dépouillée aujourd’hui de presque tous ses ornements. La Pagode Brillante, ainsi nommée parce qu’elle était autrefois couverte d’une couche de porcelaine blanche, n’est plus actuellement qu’une tour pointue, en briques, haute de neuf étages.
Ces diverses excursions ayant aiguisé notre appétit, nous les avons momentanément interrompues pour nous diriger vers le yamun. On peut voir, de ce côté, des prisonniers enchaînés, d’autres portant la cangue, d’autres enfermés dans des cages. Je me suis privée de ce triste spectacle et j’ai tenu, également, à ne pas faire connaissance avec l’endroit consacré aux exécutions capitales. Quelques-uns de nos amis qui y sont allés, disent que le spectacle en est horrible. Des crânes gisaient de tous côtés : un, entre autres, récemment détaché du tronc, reposait sur un sol encore humide et rouge.
En attendant que le luncheon fût prêt, on nous a promenés dans les salles et dans les cours, en dedans de la porte fortifiée ; et, à l’issue du repas – qui fut fort bien servi par des domestiques chinois, dans une charmante pièce décorée à la tartare – nous avons erré dans le parc, regardant les daims et admirant les baniams de Nangasaki. Alors est venue l’heure de reprendre nos pérégrinations. Nous avons vu le temple du Bouddah endormi, où l’on trouve une grande figure, grosse, grasse et penchée ; ensuite, le Temple des Horreurs, qui doit ce nom à une série de pièces bâties autour d’une cour, dans lesquelles on voit représentés tous les supplices de la foi bouddhiste, tels que l’immersion dans l’huile bouillante, le découpage avec la scie, etc. Des diseurs de bonne aventure, des vendeurs d’amulettes, des faiseurs de prières pour le compte d’autrui, des mendiants, des gens exhibant toutes sortes de difformités se pressaient dans la cour. Ce lieu n’a rien d’agréable, mais c’est un des spectacles caractéristiques de Canton.
Pour la première fois, nous avons vu l’hôtel. Quoiqu’il ait l’air bien misérable, nous voulions nous y installer pour ne pas gêner nos amis ; mais tout le monde nous a dit qu’il n’y avait pas à y songer. L’absence d’un établissement convenable pour les étrangers, rend le séjour de Canton difficile et incommode. Heureusement qu’on y rencontre des Européens dont l’obligeance est inépuisable.
D’une petite colline où nous sommes montés pour respirer un peu d’air frais, l’œil embrasse toute la ville ; mais le pays est trop plat pour que la vue soit pittoresque. Les trois yamuns, avec leurs tours, leurs grands arbres, leurs drapeaux, et la rivière de la Perle de l’autre côté, sont les seules particularités qui rompent la monotonie du paysage. En descendant, après avoir passé près des yamuns du vice-roi de Canton, nous nous sommes arrêtés chez le Consul français. Sa résidence est peut être plus belle que celle du représentant anglais ; les arbres, surtout, sont magnifiques. Nous avons été accueillis avec toute la courtoisie possible, et on nous a montré une superbe collection de broderies et de porcelaines. Mais notre visite a été courte, parce que nous voulions voir encore diverses choses, notamment l’horloge à eau. La tour où elle se trouve a été bâtie entre 624 et 927 avant Jésus-Christ ; elle a été endommagée, et réparée diverses fois. C’est un des monuments qui ont souffert, lors du bombardement de 1857.
Dans la rue voisine, la rue de la Trésorerie, qui passe pour la plus belle de Canton, on vend des bâtons dont la combustion peut servir à mesurer le temps, grâce à des divisions marquées sur leur contour. Ils sont très-bon marché et suppléent aux meilleures horloges ; leur invention date de plusieurs milliers d’années avant l’ère chrétienne. On trouve encore dans la même rue, les larges lunettes, si employées ici ; des pipes à opium, avec tous leurs accessoires ; des pipes à réservoir d’eau, dans de jolies boîtes en peau de chagrin, et d’autres objets d’usage journalier.
Rue de la Plume, il y a d’innombrables boutiques de plumes de toutes sortes pour mandarins, acteurs et mortels ordinaires. On les appelle, toutes, plumes de paon, à un œil, ou à deux et à trois yeux ; mais en réalité, beaucoup sont des plumes de faisan. Quelques-unes de celles-ci ont près de 2 mètres de longueur, et sont merveilleusement marquées. J’en ai acheté deux paires, qui mesurent 2m, 10. Ces longues plumes sont rares ; chaque oiseau n’en a que deux, et il n’y a qu’un mois de l’année où elles soient irréprochables. Dans cette partie de la ville, se trouve un restaurant chinois où l’on ne sert que du chien et du chat.
Notre programme comportait le passage de la rivière, dans le bateau du Consul, pour aller voir le Temple de Honan ; mais tout le monde étant fatigué et la nuit commençant à se faire, nous nous décidâmes à rentrer, de façon à avoir le temps de nous habiller avant le dîner de huit heures. La table était couverte de roses-thé, d’héliotropes et de résédas, disposés avec beaucoup de goût par les domestiques chinois. Ces gens, quand ils sont bien choisis, épargnent, à leur maître, jusqu’à la peine de penser. Nous en avons un à notre service, depuis quelques jours seulement : il connaît déjà toutes les habitudes de Tom et les miennes, sait les vêtements que nous voulons mettre, devine ce que nous devons faire et va au-devant de tous nos ordres. Un mot du menu ! On a servi une soupe aux nids d’oiseaux, avec des œufs de pluvier flottant dessus. C’est un mets délicat et vraiment délicieux, qu’on ne manque jamais de servir aux étrangers. Je n’avais pas idée du prix des nids : 280 francs, pour un peu moins d’une livre. Il en faut à peu près 90 grammes, pour faire de la soupe pour dix personnes.