Mercredi, 28 mars. – À minuit, le vent était légèrement debout et nous apportait les parfums de la terre de Ceylan. Nous avons aperçu, au petit jour, la partie orientale de l’île, et longé, toute la journée, ses rives chargées de palmiers. Si l’intérieur de Ceylan tient ce que promet la côte, l’idée que je m’en fais sera encore dépassée. En attendant, l’aspect de cette terre m’a déjà guérie de mon malaise des journées précédentes ; on se sent renaître au souffle de cette brise embaumée.
Vers neuf heures, nous étions à l’entrée de la rade de Pointe-de-Galle et l’on apercevait les navires à l’ancre. Ne voulant pas avancer davantage, la nuit, sans pilote, Tom fit brûler une fusée pour en appeler un ; mais le signal fut mal fait et, au lieu du pilote, ce fut un officier du Poonah, de la Peninsular and Oriental Company, qui vint à bord, croyant que nous étions échoués ou que nous avions besoin d’un secours quelconque. Il nous apprit que le service de pilotage cessait à la tombée de la nuit, et nous offrit de nous indiquer un bon mouillage où nous attendrions le jour.
Jeudi, 29 mars. – Le pilote est venu de grand matin et, un peu après six heures, nous jetions l’ancre devant Pointe-de-Galle. L’entrée est belle ; la baie, superbe ; la ville, avec ses vieux bâtiments et ses superbes cocotiers qui poussent jusqu’au bord de l’eau, est d’un effet séduisant. Nous avons déjeuné sur le Poonah, dont le capitaine et quelques-uns de ses amis sont venus, ensuite, visiter le yacht ; puis, dans l’après-midi, à l’issue du tiffin de l’Hôtel de la Compagnie Orientale, nous sommes allés, dans deux voitures, à Wockwalla, colline réputée pour ses admirables points de vue. La végétation est magnifique ; elle rappelle celle de Tahiti ; depuis notre départ de cette île, nous ne nous étions pas encore trouvés en face d’une nature aussi riche. Tout le long de la route, on est assailli par des enfants offrant des fleurs et des branches de muscade ; celle-ci est assurément bien jolie, surtout quand le fruit, à demi-ouvert, laisse voir l’enveloppe rouge qui sert comme de lit à la noix brune, mais les jeunes vendeurs sont bien gênants lorsqu’ils se succèdent à tout moment. Il y a une buvette au haut du Wockwalla, tenue par une gentille petite mulâtresse et par son mari. Nous y avons mangé des mangues et bu de la limonade, tout en contemplant le beau panorama de champs, de jungles, de forêts vierges et de montagnes qui se déroulait sous nos yeux. Le paysage est comme coupé en deux par une rivière sur les bords de laquelle, dans la feuillée des cannelliers, s’ébattent des grues aux ailes blanches et au corps rouge ; cette partie du tableau est tout à fait charmante.
Ceylan est célèbre, comme on sait, pour ses perles, vraies et fausses. Quelques-unes de celles-ci viennent de Birmingham, mais les indigènes en fabriquent qui sont bien supérieures aux nôtres, même à celles de Paris. Plusieurs fois, en rentrant à la ville, nous avons été escortés par des Indiens qui exhibaient aux portières, des rubis, des saphirs, des émeraudes, pour lesquels ils demandaient jusqu’à 4000 roupies, et qui s’en allaient contents avec dix sous. Après avoir dîné à l’hôtel, nous sommes retournés à bord dans un bateau de pilote ; toutes les bouées étaient éclairées et des barques, avec des hommes munis de torches, se tenaient prêtes à nous montrer le chemin pour sortir de la rade. À dix heures, nous étions en route pour Colombo.
Vendredi, 30 mars. – Il a plu toute la nuit. Impossible de coucher sur le pont ; nous avons été forcés de nous réfugier sous le rouf. Ce matin, le ciel était redevenu clair, et la côte de Ceylan semblait plus belle que jamais, après cet orage. Vers dix heures, nous avons mouillé dans le port de Colombo, qui était plein de navires. Cent soixante-quinze mille coolis y ont été débarqués dans les deux derniers mois ; la main-d’œuvre est donc à très-bon marché, cette année, dans les plantations de caféiers.
Comme d’habitude, le yacht a été entouré d’embarcations, dès qu’on l’a vu à l’ancre. C’était à qui vendrait son ébène sculptée, son ivoire, son bois de sandal, ses modèles de barques du pays. Ces bateaux, très-longs et très-étroits, portent une large voile et une espèce de balancier sur lequel les gens de l’équipage vont s’asseoir, un à un, quand il fait mauvais temps, de façon à le maintenir dans l’eau. De là l’expression familière dans l’île « une brise à un, deux, trois, quatre hommes ».
Colombo a un peu l’aspect d’une ville européenne. On y voit de belles maisons et de grandes pelouses vertes, sur lesquelles les soldats jouent au cricket, en plein midi, sans se soucier autrement de l’excessive température. Nous avons pris nos dispositions pour pouvoir partir par le premier train du matin ; puis nous sommes revenus à bord, au milieu d’une épouvantable pluie d’orage qui nous a trempés jusqu’aux os.
Samedi, 31 mars. – Arrivés juste à temps pour prendre le train de Candy, ce matin à sept heures, nous avons dû payer nos places en souverains, faute d’un instant de répit pour nous procurer des roupies. L’administration en a profité pour prendre nos livres sterling à raison de dix roupies chacune, pendant que le cours du change est de onze et demie. Il est permis de trouver étrange que la Compagnie – c’est-à-dire le Gouvernement – prenne des souverains à ses guichets pour dix roupies seulement, et qu’elle aille les vendre pour onze roupies et demie aux spéculateurs qui attendent, aux portes de la gare, l’occasion de cet agiotage.
La ligne de Colombo à Candy passe, à bon droit, pour une des plus belles du monde. Elle traverse, d’abord, la jungle et de grandes plaines ; puis, montant de plus en plus vers des montagnes qu’on voit se perdre dans le lointain, au milieu des feux du soleil et de la buée qui l’entoure, elle domine toutes les beautés de la végétation des tropiques. On arrive vers neuf heures à Ambepussa, point à partir duquel la variété et la splendeur du paysage augmentent encore ; deux heures plus tard, à Peradeniya, où se trouve l’embranchement de Gampola. Nous avons laissé à cette station beaucoup de voyageurs allant à Neuera-ellia, le sanatorium de Ceylan, situé à 2000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Peu d’instants plus tard, nous traversions le pont de Satimwood et nous arrivions à Candy. Un ami, qui nous attendait à la gare pour nous offrir l’hospitalité, a mis tant d’insistance dans son invitation que, quoique nous fussions bien nombreux, nous nous sommes décidés à l’accepter. On déjeune, près de la station, à un petit hôtel, bruyant et mal tenu, où les planteurs viennent prendre des boissons glacées sur le comptoir. La ville est pleine de monde, en raison des fêtes de Pâques. Les uns viennent pour s’amuser ; d’autres, pour assister au service religieux, beaucoup de plantations n’ayant pas d’église dans leur voisinage immédiat.
Une voiture est venue nous chercher à quatre heures et nous a menés à Peradeniya, où demeure notre hôte, tout près du Jardin botanique. Plusieurs des huttes et des cottages qu’on rencontre le long de la route ont les mots « Petite vérole » écrits en grosses lettres sur leurs portes et dans trois langues différentes, anglais, sanscrit et chingalais. C’est là une bonne précaution, car les indigènes sont rarement vaccinés, et la terrible maladie fait parmi eux de cruels ravages. Quel plaisir de s’étendre sous la véranda du bungalow qui nous est si aimablement ouvert ; d’assister au coucher du soleil ; de voir, dès qu’il a disparu, les vers luisants et les mouches luisantes jeter leurs pâles clartés, en si grand nombre qu’on dirait que les étoiles ont quitté le firmament pour se livrer, dans l’herbe ou parmi les branches des hauts palmiers, à je ne sais quelle danse de fées ! Quelle joie de se trouver dans de grandes chambres fraîches ! Quel repos de dormir sans se tourner et se retourner, accablé par la chaleur, comme nous l’avons fait depuis quelque temps !
Dimanche, 1 avril. – Je me suis éveillée avant le jour. De mon lit qui faisait face aux fenêtres, demeurées grandes ouvertes sans rideaux et sans stores, j’ai vu le soleil se lever derrière les hautes montagnes de la Province centrale, dorer la cime des arbres, et éclairer le jardin, en aspirant à lui les mille parfums des feuilles et des fleurs. À sept heures, nous sommes allés au Jardin botanique, où il y a beaucoup de choses curieuses. Les groupes de palmiers sont superbes et comprennent toutes les variétés : le talipot, l’arec, le palmier à feuilles laciniées, le caryola urens, dont on extrait la fibre appelée kittul. Le palmyre, qui joue auprès de l’habitant du nord de Ceylan le rôle du cocotier auprès de celui du sud, c’est-à-dire qui le nourrit, l’abrite et sert à le vêtir, est très-intéressant. Des nepenthès dont les feuilles ont la forme de vases ; des amhersties rouges ; des bambous aux tiges jaunes et vertes ; des magnolias, des pamplemousses, des hibiscus ; le champaca aux fleurs jaunes (la fleur sacrée de la mythologie hindoue) ; des muscadiers, des cannelliers, des caféiers et des thés ; des shaddocks de la famille de l’oranger, et beaucoup d’autres plantes ou arbres poussent, dans ce jardin, avec une incomparable richesse de feuillage et de floraison. Au milieu, coule l’Ambang-Ganga ; le jardin occupe une étendue de 60 hectares et est installé sur le modèle des parcs anglais.
Après le déjeuner, deux voitures nous ont conduits à Candy, pour assister au service religieux. L’église est un beau monument, vaste, élevé, bien aéré ; elle était décorée de branches de palmier et de fleurs, à l’occasion de la fête de Pâques ; des moineaux allaient et venaient, par les fenêtres laissées ouvertes. L’un d’eux se bâtissait un nid dans une encoignure : pendant l’office, il y a ajouté une plume de marabout, un bout de dentelle, et un morceau de ruban rose. Ce sera un nid panaché, quand il sera fini.
À l’issue de la cérémonie, nous avons été faire une visite au gouverneur, Sir William Gregory ; mais il est, malheureusement, en Australie et ne sera de retour qu’après notre départ. Le palais est très-beau, quoiqu’il ne soit pas encore terminé ; à l’entrée, j’ai remarqué de très-beaux lis rouges, qui viennent sans doute de l’Amérique du sud. Dans la journée, dès qu’il a fait moins chaud, on nous a menés à un lac, au milieu des montagnes ; du haut de ces collines, la vue de Candy est charmante et on se rend bien compte de sa merveilleuse position. En revenant de cette promenade, nous nous sommes arrêtés pendant quelques instants à la Cour, ou palais de Justice, beau monument de style hindou. C’est là que le prince de Galles, lors de son voyage aux Indes, a procédé à l’installation de l’Ordre de Saint-Michel et Saint-Georges.
Lundi, 2 avril. – Ce matin, à onze heures, j’ai pris le chemin de fer avec Tom, pour aller voir un vieil ami, à Neuera-ellia. On quitte le train à Gampola pour monter dans une espèce de charrette, décorée du nom de voiture, où nous fûmes entassés au nombre de huit ou neuf personnes, alors que le véhicule pouvait, au plus, en contenir six. Tom n’avait emporté qu’une petite malle pour nous deux ; il devint, cependant, impossible de la loger, et nous dûmes la laisser aux soins du chef de gare, après en avoir retiré quelques objets indispensables dont nous fîmes un petit paquet, comme des marins qui vont en congé.
La première partie de la route n’a rien de bien intéressant ; on traverse d’interminables plantations de thé et de café, dont quelques-unes, qui appartiennent aux Rothschild, sont les plus belles de Ceylan. Mais, à partir de Rangbodde, la vue devient magnifique : on aperçoit, notamment, une grande rivière qui, tombant à pic du haut d’un roc, forme trois cascades successives dont les eaux écumantes viennent ensuite se réunir sous un grand pont en pierre.
Nous aurions dû arriver à six heures ; mais nous n’avions que deux chevaux pour nous traîner le long de cette route escarpée, elles, pauvres bêtes, exténuées, ruaient, s’arrêtaient, tombaient à tout instant. Une fois, nous avons cru qu’elles nous jetaient dans le précipice, et chacun de sauter sur le chemin. Ailleurs, l’une est tombée dans un fossé, les quatre fers en l’air ; et il a fallu notre intervention, fondée sur nos expériences de chasse, pour aider à la tirer de là. Dans d’autres moments, l’attelage refusait absolument d’avancer ; les hommes alors poussaient à la roue, le cocher criait et fouettait ; on repartait, pour recommencer le même manège un peu plus loin. Je me sentis, à la fin, si épuisée et si blasée sur le voisinage du précipice, que, lorsqu’il arrivait quelque nouvel accident, je ne me trouvais plus ni la force, ni la volonté de sauter à terre. Nous finîmes, cependant, par arriver, vers dix heures et demie, à Head-quarter House, la demeure de notre ami ; la joie de revoir une vieille connaissance, un bon dîner et un bon feu nous eurent promptement remis de nos fatigues. Sans les instances de notre hôte pour que nous allions nous reposer, nous eussions même passé une partie de la nuit à lui donner des nouvelles.
Mardi, 3 avril. – On est en fête, ici, pour une semaine, et les visiteurs affluent de toutes les parties de l’île : les hommes dans de grands manteaux, les femmes dans des fourrures, car il fait froid sur ce plateau, du moins pour ceux qui ont vécu longtemps sous les tropiques. Il y a eu, dans la journée, des courses et des jeux athlétiques auxquels on nous a conduits ; en revenant, nous avons fait le tour de la colonie. Neuera-ellia n’est pas, à proprement parler, une ville ; c’est un séjour très-recherché, mais il n’y a peut-être pas deux maisons qui soient à moins de 800 mètres l’une de l’autre. Les sangsues y abondent, et font le désespoir des habitants, hommes et animaux. Comme il a plu la nuit, on m’a recommandé de ne pas marcher sur le gazon, de peur des horribles bêtes.
Ce soir, après dîner, nous avons été à un bal, donné à la caserne, par le club Jinkhana. La salle était bien décorée, et les costumes bariolés des sportmen, vus au milieu des branchages et des fleurs, produisaient un effet très-pittoresque. Devant partir demain, de grand matin, nous nous sommes retirés de bonne heure.
Mercredi, 4 avril. – Une chasse ce matin, des courses dans la journée, un second bal ce soir, un troisième demain : que d’arguments à faire valoir pour nous retenir ! Mais le temps nous presse et nous sommes partis dès l’aube, conduits jusqu’à la poste par une escorte en robes de bal et en habits noirs, sortant de la fête d’hier. Plus de deux heures s’écoulèrent, sans qu’il fût question de la voiture. Les meutes, pendant ce temps, partaient dans la vallée au brut du cor ; les chevaux de course faisaient leur galop du matin. On est enfin venu nous dire que notre futur attelage refusait de monter la colline et qu’il fallait aller rejoindre la diligence. Les malheureuses bêtes étaient encore plus maigres que celles qui nous ont amenés, plus couvertes de plaies au portage des harnais ; et comme, pour comble d’infortune, il se trouvait parmi les voyageurs une femme qui exigeait qu’on la laissât descendre, chaque fois que la pente devenait un peu rapide, le retour fut aussi interminable que l’aller.
Je ne m’explique pas que les autorités locales ne s’emploient pas à introduire ici les voitures américaines et à améliorer la condition des bêtes de trait. Notre cocher, – noir comme du jais et fort peu vêtu, soit dit en passant, – n’entendait rien à son métier. Au lieu de soutenir son attelage le long des pentes en zigzag, il laissait flotter ses rênes ; au lieu de prendre garde aux tournants, il permettait à ses chevaux de raser le bord du précipice, et, pour les faire évoluer, il fallait qu’un jeune noir, posté auprès de lui, sautât à terre et les tirât, non par la bride, mais par les harnais. Après une courte halte à Rangbodde et une autre à Pusillawa, nous sommes arrivés à Gampola, où nous avons quitté la diligence pour prendre le train. Tom s’est rendu directement à Colombo, afin de surveiller nos préparatifs de départ ; moi, je me suis arrêtée à Peradeniya, d’où je suis allée chercher Mabelle, demeurée chez nos premiers hôtes.
Pour se rendre de la gare au bungalow de notre ami, on traverse le pont de Satimwood, situé en face du mont Peacock ; on m’y a montré un Anglais qui lavait gravement des pierres dans la rivière, espérant que c’étaient des pierres précieuses. Il a trouvé ainsi, à diverses reprises, des saphirs et des rubis de petite dimension, et il continue ses recherches, comptant tomber, un jour ou l’autre, sur quelque chose de mieux. Sur la côte, près de Managgan, le sable des rives de certain cours d’eau est formé de rubis, de saphirs, de grenats et d’autres pierres précieuses ; mais le courant, qui les entraîne, les broie en même temps, et on n’en rencontre pas une qui soit de la grosseur d’une tête d’épingle. L’effet de ce sable humide, éclairé par les feux du soleil, est réellement éblouissant ; ce qui prouve que les récits de mon favori Sindbad ne sont pas aussi fantastiques que le prétend notre prosaïsme. Il faut, du reste, que l’île soit bien riche en pierres précieuses, pour qu’on ait si peu de peine à en trouver. À Neuera-ellia, on organise, des parties « de chasse aux pierres », et on en recueille souvent de très-belles : de gros grenats, des améthystes, des pierres de lune, des saphirs, des aigues-marines, des tourmalines, etc.
En arrivant au bungalow, j’ai eu le regret d’apprendre qu’un de nos vieux amis était venu pour nous voir lundi, immédiatement après notre départ, et qu’il était parti ce matin de bonne heure, pour faire l’ascension du Pic d’Adam. À propos de ce pic, on m’a dit que des milliers de pèlerins, dont beaucoup âgés et infirmes, se rendaient, chaque année, aux temples mahométan et bouddhiste qui en ornent le sommet. La gigantesque empreinte qu’on y va honorer est vénérée également par les deux religions, depuis un temps immémorial. Les bouddhistes prétendent que c’est l’empreinte des pas de Bouddha et que le récit de son origine fut écrit 300 ans ou 400 ans avant J.-C. Les mahométans soutiennent que c’est le premier pas d’Adam, après qu’il fut chassé du Paradis terrestre. Malgré cette différence d’opinion, les uns et les autres vivent en parfaite intelligence dans leurs temples respectifs, sur le très-petit sommet de la montagne. Les chaînes en fer, qui aident les visiteurs et les fidèles à gravir le dernier escalier, furent posées, dit-on, au temps d’Alexandre le Grand, et elles sont mentionnées par divers historiens.
Nos amis sont allés dans l’après-midi à Candy, voir la dent de Bouddah et un temple de brahmanes ; mais j’étais trop fatiguée de mes deux dernières journées pour les accompagner, et je me suis reposée jusqu’au dîner. Le soir, en m’habillant, j’ai aperçu sur ma table une bête noire, pouvant avoir quinze centimètres : on eût juré un scorpion ou un cent-pieds ; ce n’était, heureusement, qu’une espèce de millipède, inoffensive, même jolie, avec des anneaux noirs et des centaines de pattes, couleur orange. Il y a beaucoup de serpents venimeux à Ceylan ; mais ils s’enfuient dès qu’on en approche, et ils ne mordent jamais les Européens. Les toits en chaume des bungalows fourmillent de rats, et dans chaque maison on a un serpent particulier, qui les tue et qui les mange. Plusieurs fois, j’ai entendu un bruit de lutte au-dessus de ma chambre, suivi d’un petit cri indiquant que le serpent avait tué sa proie et se disposait à l’avaler. Un de ces reptiles s’est laissé pendre, un jour, du toit, devant ma fenêtre, et a tiré une langue fourchue comme s’il s’apprêtait à fondre sur moi. On a beau être prévenu qu’il n’y a rien à craindre ; ce genre d’apparition ne laisse pas de causer une certaine inquiétude, la première fois qu’on en est le témoin.
Jeudi, 5 avril. – Malgré notre regret de quitter, après si peu de jours, des amis qui nous ont accueillis avec tant d’amabilité, il a fallu partir par le train de sept heures, pour rejoindre le yacht, qui prend la mer dans la journée. La température a augmenté considérablement, à mesure que nous approchions de la ville ; à Colombo, elle était presque insupportable. En arrivant, nous avons rencontré Tom qui nous attendait pour déjeuner à l’hôtel.
Les hôtels d’ici ont cette particularité que les chambres y sont séparées l’une de l’autre par des cloisons qui ne montent pas jusqu’au plafond. On croit que cette disposition aide à la circulation de l’air ; mais je doute que le petit avantage qu’on en peut retirer compense les inconvénients qui en résultent ; surtout quand il y a comme ce matin, dans une des chambres, un enfant qui s’obstine à crier, dans une autre, une petite fille malade de la coqueluche, et dans la troisième, des gens qui se disputent à propos de clefs perdues. Les corbeaux nous ont bien amusés pendant le déjeuner. Grâce aux fenêtres ouvertes, ils venaient se percher sur le punkah ou sur les barres de fer qui soutiennent le toit, guettant, de là, l’occasion de fondre sur nos assiettes, pour y prendre les restes que nous pouvions avoir laissés, sans se préoccuper autrement des convives et des domestiques. On raconte nombre d’histoires plaisantes à propos de ces oiseaux ; mais, tout apprivoisés qu’ils sont en apparence, il semble impossible d’en prendre un vivant.
Immédiatement après le déjeuner, nous avons rejoint le Sunbeam, qui croisait déjà sous vapeur en nous attendant. Un grand navire que nous avons rencontré, à la sortie du port, nous a salués de ses vivat. La chaleur est excessive ; pas un souffle de vent, toute l’après-midi. Au moment où le soleil noyait dans l’eau son globe d’or et de feu, nous voyions disparaître à l’horizon Ceylan, la terre des épices, des parfums et des merveilles !