CHAPITRE IV RIO DE JANEIRO

Vendredi, 18 août. – Les montagnes qui entourent la rade continuent d’être enveloppées de nuages qui se résolvent, de temps en temps, en torrents de pluie. Ce matin, au petit jour, nous avons levé l’ancre pour nous rendre, à la vapeur, au mouillage des bâtiments de guerre. Vers neuf heures et demie, les officiers de la santé sont venus à bord et, quelques instants plus tard, nous avons reçu la visite d’un employé des douanes qui a fait déclarer, par écrit et sous serment, à Tom : d’abord, que nous n’avions pas de cargaison, ensuite que le charbon, en provision sur le yacht, ne dépassait pas la quantité nécessaire à notre consommation.

À. onze heures, nous avons revêtu nos mackintoshes, mis des chaussures à fortes semelles et, accompagnés d’un interprète qui avait surgi tout à coup sur le pont, en même temps que plusieurs blanchisseuses, nous sommes descendus à terre en traversant une nuée de petits bateaux chargés de légumes et de fruits. L’endroit où l’on débarque est très-près du marché, et fourmillait de noirs de toutes nuances et de toutes tailles. Sur les quais, on voyait d’énormes tas de fruits, oranges, bananes, cannes à sucre, apportés par les bateaux. Les rues avoisinantes étaient boueuses et souvent difficiles à traverser, la pluie y ayant fait, sur les côtés, de véritables ruisseaux.

Après avoir été demander au Consulat et à la Légation si on y avait reçu des lettres pour nous, nous avons visité quelques-unes des boutiques de la « Rua do Ouvidor », où l’on vend des fleurs artificielles, fabriquées avec des plumes d’oiseaux, naturelles. La gorge ou la poitrine d’un oiseau-mouche forme la pétale ; des ailes de scarabée font les feuilles. Cette fabrication est la spécialité de la ville, et elle est poussée à un rare degré de perfection. Les prix, en revanche, sont étonnamment élevés. Pour cinq branches que j’avais été chargée d’acheter, on m’a demandé sept cent trente francs. Il est vrai que ces fleurs ont une durée exceptionnelle ; j’en ai qui datent de neuf ans et qui ont conservé toute leur fraîcheur.

Samedi, 19 août. – Nous sommes allés en bond au Jardin botanique, à quelques kilomètres de la ville. Le bond, qui joue un grand rôle ici, est un vaste véhicule ouvert ou fermé, tiré par une, par deux, quelquefois par trois mules. Il va très-vite et on y est à l’aise. Les voitures ordinaires sont chères et, comme il y a des tramways partout, conduire devient une besogne délicate. Chemin faisant, nous avons passé devant de ravissants jardins. Les grilles d’entrée étaient couvertes, les unes de stephanotis blancs, ou de lapagéries rouges ; les autres, de plantes grimpantes couleur orange, de bougainvillées lilas, ou de fleurs de la Passion de mille nuances. À l’intérieur, on apercevait de grands arbres rayés de jaune et de vert, des crotons, des caladiums mouchetés et veinés, des dragonniers : le tout ombragé par des orangers.

Le long de la baie de Botafogo, il y a une promenade magnifique, sous une superbe avenue de palmiers impériaux, qui s’étend jusqu’aux portes du Jardin botanique. Chaque tige se dresse droite comme une colonne de temple égyptien, et est couronnée par un dôme de grandes feuilles d’un vert sombre, ayant parfois neuf mètres de long. Les bouquets de bambous sont également très-beaux. Presque tous les arbres semblent couverts de curieuses orchidées et de parasites de toutes sortes.

Malgré la chaleur, les enfants se sont montrés infatigables dans leur chasse aux papillons ; ils en ont pris de très-jolis.

Lundi, 21 août. – Visite au marché des légumes et à celui des poissons, le matin de bonne heure ; beaucoup d’animation et beaucoup de sujets d’observation. La poissonnerie regorgeait de monstres à nageoires, nouveaux et étranges pour nous, auxquels les Brésiliens ont donné les noms les plus baroques. Il y avait un énorme poisson, avec une tête hideuse et un dos luisant, qui pesait 136 kilogr. ; de larges raies, des seiches, des pieuvres, de grosses crevettes, très-chères, ayant 25 centimètres de long et des antennes de 30 à 40 centimètres. Leur saveur n’est pas proportionnée à leur taille ; elles sont même à peu près sans goût. Par contre, les huîtres, qui sont très-petites, sont excellentes. Elles proviennent d’un parc, situé dans la baie, où on les recueille sur des poteaux et sur les branches des mangliers qui trempent dans l’eau. Nous avons aperçu aussi beaucoup de maquereaux, des tortues, des marsouins et un certain nombre de requins, ayant la tête en forme de marteau, qui sont excessivement curieux.

Au marché aux fruits, se retrouvaient presque tous les produits familiers aux Européens ; car on est maintenant en plein hiver à Rio. De grosses négresses, portant des turbans sur la tête, des colliers de toutes couleurs autour des poignets et du cou, et de longs vêtements blancs qui paraissaient glisser continuellement de leurs épaules, faisaient les honneurs de leurs étalages d’oranges, de bananes, d’ananas, de tomates, de pommes, de cannes à sucre, de choux-palmiers et de fruits à pain.

Dans une autre partie du marché, on vendait des volailles vivantes de toutes sortes, ainsi que des animaux également vivants : tels que des daims, des singes, des chiens, des rats, des chats, des ouistitis, et un délicieux lion-singe, tout petit et un peu rouge, avec une magnifique crinière, qui rugissait exactement comme un vrai lion en miniature. Il y avait aussi des cages pleines de petits flamants, de bécassines, de petits oiseaux de différentes espèces, au plumage bleu, rouge, vert ; enfin des perroquets, des cacatoès et des torchas sur leurs perchoirs. La torcha est un oiseau noir et jaune, de la grosseur d’un sansonnet, qui incline sa petite tête et qui prend des mouches dans la main, avec une grâce charmante. Malheureusement, il est impossible de l’introduire en Angleterre, parce qu’il ne supporte pas un changement de climat.

Nous sommes partis, à onze heures, pour Petropolis, par le chemin de fer. Le train passe auprès de plantations de cannes à sucre et de caféiers, établies au milieu de forêts de palmiers où l’on a pratiqué de larges clairières. En vingt minutes, nous arrivions à la station, située au pied d’une colline, près de laquelle plusieurs voitures à quatre mules nous attendaient. La route de la gare à la ville, par-dessus les monts Organ, est superbe ; à chaque tournant, on jouit d’une vue nouvelle de Rio et de sa rade. Sous ce soleil brûlant et sur des chemins aussi escarpés, l’agilité des mules est extraordinaire. La descente s’opère dans le creux des collines, avec une rivière au centre, et de belles villas des deux côtés. L’ensemble du paysage m’a rappelé Bagnères-de-Luchon ; mais l’effet général est gâté par les couleurs voyantes, même trop fantastiques, que l’on donne aux maisons.

Mardi, 22 août. – Réveillés à cinq heures et demie, nous sommes montés à cheval pour aller voir la Forêt Vierge, à environ 10 kil. de Petropolis ; deux heures plus tard, nous entrions dans l’ombre et dans le silence de l’immense bois. Une végétation sauvage, luxuriante, déployait autour de nous, pêle-mêle, ses richesses ; partout, des palmiers géants, d’immenses fougères, des parasites poussant là où il y a place pour leurs racines. Parfois ces parasites tuent les arbres qu’elles honorent de leurs préférences (une entre autres, que l’on nomme « mata-pao ou tueur d’arbres ») mais, le plus souvent, ils vivent tous en bonne intelligence et s’aident mutuellement à croître. La plus remarquable de ces plantes grimpantes est peut-être la liane, dont les jeunes pousses retombent droit vers le sol, en s’enroulant elles-mêmes dans toutes sortes de sens. J’ai vu, suspendu à des arbres, à des hauteurs de 15 mètres, de gros massifs de mousse d’où poussaient des orchidées écarlates ; on eût dit un grand panier de fleurs. Les couleurs sont extrêmement brillantes au Brésil, qu’on les observe sur les oiseaux, sur les insectes ou sur les fleurs. Le bleu, le violet, l’orangé, l’écarlate et le jaune abondent ; les teintes pâles sont exceptionnelles. Le blanc lui-même est plus pur, et plus foncé, si l’on peut ainsi dire, que celui des autres pays.

Nous nous sommes promenés longtemps dans cette forêt, malgré l’humidité dont d’innombrables petits cours d’eau imprègnent les mousses et les fougères ; mais le fourré est si épais qu’il nous a été impossible de quitter le sentier étroit que nous suivions. Arrivés à une trouée d’où l’on a une vue superbe sur la mer, nous avons rebroussé chemin et regagné la ville où-les soins de notre correspondance et la chasse au papillon ont rempli le reste de la journée. Le soir, on m’a montré une curieuse race de chiens, descendant de ceux dont on se servait jadis pour faire la chasse aux malheureux Indiens.

Mercredi, 23 août. – De Petropolis, nous nous sommes rendus, tant en voiture que par chemin de fer, à Santa-Anna, une des plus importantes fazendas de café, de cette partie-ci du Brésil. L’établissement forme trois côtés d’un carré, au centre duquel d’énormes tas de café séchaient au soleil. Le bâtiment central renferme les logements ; l’aile droite est occupée par la chapelle et par les boutiques des esclaves ; l’aile gauche, par les écuries, par des bureaux et par diverses installations pour les travailleurs.

La loi oblige le maître à accorder à ses esclaves un jour de repos par semaine ; ce qu’ils consentent à faire, ce jour-là, leur est payé au même prix que le travail libre. Mais cette journée de repos n’est pas nécessairement le dimanche ; on s’arrange même pour que les esclaves d’une fazenda ne soient pas libres en même temps que ceux de l’habitation voisine, afin de les empêcher de se réunir et de se concerter. Aujourd’hui, jeudi, c’était le jour de chômage dans l’établissement que nous visitions, et nous vîmes bientôt les esclaves s’assembler, en habits de fête, à l’ombre d’une des vérandas. On en passa l’inspection, et on les fit se placer en rangs : les enfants en avant, les jeunes femmes derrière, les femmes âgées ensuite ; puis les vieillards, et finalement les jeunes gens. Ils furent, dans cet ordre, à la chapelle, où un prêtre célébra la messe, vêtu de superbes ornements. Les assistants donnaient la réplique aux prières chantées de l’officiant ; ils sont divisés en groupes, selon la nature de leurs voix, et leurs chœurs sont souvent excellents. À l’issue du service, le maître donna des poignées de main à tout le monde, échangea des souhaits avec les esclaves et les congédia. Tandis qu’ils se répandaient aux alentours ou qu’ils causaient sous la véranda, j’examinai les enfants. Il y en avait de toutes les nuances et de toutes les tailles : un, en particulier, noir comme du jais, âgé seulement de trois semaines. Tous paraissaient en bons termes avec le maître et avec les surveillants. On les nourrit convenablement, et ils ont l’air sain et bien portant. Ils déjeunent avec du pain et du café ; à dîner, on leur donne du porc frais ou un morceau de bœuf conservé, avec des fèves ; à souper, ils ont du pain et du café, ainsi que du tapioca.

Après un très-beau déjeuner, couronné par un échange de speeches congratulatoires, nous avons fait le tour de la fazenda, en commençant par l’école, où nous avons trouvé trente-quatre, enfants qui chantaient réellement fort bien. De là, nous avons visité l’hôpital, bâtiment propre, aéré, où il n’y avait que très-peu de malades ; puis les nouvelles machines à moteur hydraulique, qui servent à nettoyer le café et à le préparer pour le marché. La récolte dure depuis mai jusqu’en août. La meilleure qualité de café se recueille avant que le grain soit complètement mûr ; on l’écrase pour le séparer de sa cosse ; puis, après l’avoir fait sécher au soleil, soit en tas, soit par couches, on le place dans des paniers où il est soigneusement trié. Cette dernière tâche n’étant pas fatigante, est confiée à de jeunes femmes mariées, en possession de babies. Dans une salle, j’ai compté dix-neuf de ces petits êtres, près de leurs mères, dans des paniers ; dans une autre, il y en avait vingt, tout juste capables de marcher.

Le manioc joue ici un rôle important, en matière d’alimentation ; aussi avons-nous assisté, avec intérêt, aux diverses opérations qui servent à le transformer en farine, en tapioca ou en amidon. Puisqu’on l’exporte en grandes quantités, et qu’en même temps il s’acclimate à toutes les températures, je ne vois pas de raison pour qu’on ne l’introduise pas dans l’Inde. Nous avons également vu moudre le maïs, en farine fine ou grosse, pour les gâteaux et le pain ; écraser la canne à sucre et transformer son jus en sucre et en rhum, pendant que son rebut servait à faire de la potasse. Tous, les produits alimentaires fabriqués ici sont consommés sur la propriété ; le café seul est exporté.

Nous sommes retournés à Rio, à l’issue de cette visite, et, bien que très-fatigués, nous avons assisté le soir, à une représentation exceptionnelle et privée, donnée au théâtre de l’Alcazar. Ni les acteurs, ni la pièce, n’étaient intéressants ; aussi tout notre monde est-il rentré de bonne heure à bord, au clair d’une magnifique lune.

Lundi ; 28 août. – Nous avons été tous tellement intrigués par les annonces d’esclaves à vendre ou à louer qu’on trouve quotidiennement dans les journaux, que quelques-uns de nous se sont arrangés avec un Brésilien, pour pouvoir assister à une transaction de cette espèce. Il est interdit aux Anglais d’avoir des esclaves ici ; même, la légation est tenue de veiller à la stricte observation de cette loi, en sorte que nos amis durent cacher leur nationalité. L’un deux se fit passer pour un riche Américain qui avait acheté des terres entre Santos et San-Paulo et qui se proposait d’y employer des esclaves au lieu de coolies. Il était censé venir à Rio pour y choisir ses futurs ouvriers, mais il ne pouvait rien décider avant d’avoir revu et consulté son associé. Ces messieurs furent menés à une petite boutique et introduits, presque aussitôt, dans une pièce au-dessus, où ils attendirent un quart d’heure. Vingt-deux hommes et onze femmes ou enfants leur furent alors présentés. Ils se déclarèrent aptes à toutes sortes de travaux, et semblaient regarder anxieusement les acheteurs, comme pour deviner quel sort les attendait auprès de ceux-ci. Un frère et une sœur, de quatorze à quinze ans, se montraient très-soucieux de n’être point séparés ; les enfants paraissaient effrayés, lorsqu’un blanc les touchait ou les interpellait. Après un choix simulé d’un certain nombre de sujets, la visite prit fin.

Ainsi que je le dis précédemment, les journaux brésiliens sont remplis d’annonces d’esclaves à vendre, mêlées aux annonces ordinaires. En voici un échantillon, emprunté au dernier numéro du Jornal do Commercio :

VENDE-SE uma escrava de 22 annos, boa figura, lava engomma e cose bem ; informa-se na rua de S Pedro, 97.

À VENDRE une esclave de 22 ans, et de bonne constitution ; lave, repasse et coud bien. S’adresser, pour renseignements, rua de S. Pedro, 97.

VENDE-SE ou aluga-se um rico piano forte do autor Érard, de 3 cordas, por 280 p. garantido ; na rua da Quitanda, n. 42, 2 andar.

À VENDRE ou À LOUER un magnifique piano à trois cordes, d’Érard. Prix 280 piastres. S’adresser, rua da Quitanda, 42, au second étage.

VENDE-SE por 1, 500 p. um escravo de 20 annos, para serviço de padaria ; na rua da Princeza dos Cajueiros, n. 97.

À VENDRE Pour 1, 500 p un esclave de 20 ans. Conviendrait à un boulanger. S’adresser, rua da Princeza dos Cajueiros, 97.

VENDE-SE uma machina Singer, para qualquer costura, trabalha perfeitamente, por preço muito commodo ; trata-se na rua do Sabâo, n. 95

À VENDRE dans de bonnes conditions, une machine à coudre de Singer, propre à tous les travaux. Fonctionne bien. S’adresser, 95, rua da Sabâo.

VENDE-SE uma preta moça, boa figura e de muito boa indole, com tres filhos, sendo uma negrinha de 6 annos, um moleque de 5 e uma ingenua de 3, cabenda cozinhar bem, lavar e engommar ; na mesma casa vende-se sou ma negrinha de 12 annos, de conducta afiançada e muito propria para serviço de casa de familia, por ja ter bons principios, tendo vindo de Santa-Catharina ; na rua da Uruguayana, n. 90, sobrado.

À VENDRE Une femme noire avec 3 enfants : Une fille de 6 ans, un garçon de 5 ans et un enfant de 3 ans. Elle est bonne cuisinière ; lave et repasse bien. Dans la même maison, on trouvera aussi en vente, une petite noire de 12 ans ; bonne conduite, apte à servir dans une famille et ayant été bien dressée ;provient de Santa-Catharina. S’adresser, 90, rua île Uruguayana, premier étage.

VENDE-SE o diccionario portuguez de Lacerda, em dous grandes volumes, novo, vindo pelo ultimo paquete, por 30 p. custâo aqui 40 p. ; na rua do Hospicis, n. 15. 2 e andar.

À VENDRE Un dictionnaire portugais de Lacerda. Deux grands volumes, tout neufs, arrivés par la dernière malle. Prix 30 p. ; coûte ici 40 p. n° 15, rua do Hospicio, deuxième étage.

VENDE-SE uma preta de meia ideale, que conzinha, lava, e engomma com perfeiçao ; para tratar na rua do Viscande de de Itauna, n. 12.

À VENDRE une négresse d’âge moyen ; excellente cuisinière ; lave et repasse bien. S’adresser, n° 12, rua do Viscande de Itauna.

VENDE-SE arreios para carrocinhas de pâo ; na rua do General Camara, n. 86, plaça.

À VENDRE harnais pour petites voitures de boulangers, n° 86, rua do General Camara.

VENDE-SE 20 moleques, de 14 a 20 annos, vindos do Maranhâo no ultimo vapor ; na rua da Prainha, n. 72.

À VENDRE 20 jeunes noirs de 14 à 20 ans, arrivés de Maranham par le dernier steamer, n° 72, rua da Prainha.

Nous avons reçu beaucoup de visites dans la matinée, et il était presque deux heures quand nous avons pu descendre à terre, en route pour Tijuca. Qui pis est, une pluie tropicale s’est mise à tomber ; et, comme nous étions à cheval, dans des costumes d’été, nous nous sommes trouvés trempés de la tête aux pieds, longtemps avant d’avoir atteint notre destination. Arrivés à l’hôtel, nous avons eu l’ennui de ne pas y rencontrer la voiture qui doit y porter nos bagages ; et c’est dans des vêtements d’emprunt que nous avons paru à la table d’hôte.

Mardi, 29 août. – Après avoir eu de si belles journées, il est piquant de constater que la pluie d’hier persiste. L’hôtel où nous sommes, a le plus misérable des aspects ; il se compose d’une série de bâtiments en bois, hauts seulement d’un étage, avec des vérandas des deux côtés, détachés l’un de l’autre et élevés autour d’une longue cour au centre de laquelle il y a un jardin et quelques grands arbres. Peut-être est-ce plutôt une pension qu’un hôtel, puisqu’on y impose un prix fixe aux voyageurs, lesquels, en outre, doivent être nantis d’une lettre d’introduction ! On trouve, dans cet établissement, une piscine pour les femmes et une autre pour les hommes, qui sont vraiment bien installées. Deux grands réservoirs carrés reçoivent l’eau d’un torrent voisin, et l’on peut s’y ébattre à l’ombre des bananiers et des palmiers, tandis que orangers et daturas parfument l’air ambiant. Les abords de l’hôtel et la forêt au-dessus abondent en jolis points de vue ; c’est, du reste, le cas de toutes les hauteurs, dans le voisinage de Rio.

Le ciel s’étant éclairci, nous avons été voir « les Grosses Pierres », énormes masses rocheuses provenant de la période glaciale ou projetées par quelque puissant volcan. Elles forment de grandes cavernes ou caves, recouvertes de plantes grimpantes et tellement obstruées, à l’entrée, qu’il est difficile d’y pénétrer. Les alternatives d’obscurité et de lumière, au milieu des plantes grimpantes dont quelques-unes s’allongent comme d’immenses serpents pendant que d’autres se pelotonnent avec la régularité d’une glène de cordages sur un navire de guerre, sont d’un fantastique effet. Chaque crevasse est pleine de fougères, d’orchidées, de plantes curieuses ; des papillons de jour et de nuit voltigent dans toutes les directions. Qu’on imagine des papillons écarlates, mouchetés de tâches brillantes ; des papillons jaunes avec des bords orangés ; des papillons dont les ailes, bleu sombre en dessus, offrent, en dessous, l’aspect de la plume du paon ; des papillons de nuit, gris ; enfin, plus beaux que tous les autres, des papillons d’un bleu métallique, qui sont littéralement éblouissants, même quand on les voit morts ! Qu’on se figure ce qu’ils peuvent être, lorsqu’ils volent en tous sens, réfléchissant les rayons du soleil ou enveloppés dans l’ombre de la forêt ! La plupart mesurent de 5 à 25 centimètres d’envergure, et il y en a de plus petits qui ne sont pas moins remarquables. Des papillons à « queue d’hirondelle », dont la queue, par rapport au corps, est presque aussi longue que celle de leurs parrains ailés ; et des « quatre-vingt-huit », avec le nombre 88 visiblement marqué sur le revers de leurs ailes bleues ou rouges, complètent cette curieuse collection. La nature, dans cette partie du monde, semble affectionner les couleurs voyantes, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer.

Vendredi, 1er septembre. – Le temps est demeuré pluvieux pendant les deux dernières journées ; mais en me réveillant ce matin, à trois heures, j’ai enfin aperçu un ciel pur, et le soleil s’est levé si beau qu’immédiatement après le premier déjeuner, nous sommes partis à cheval, pour le pic de Tijuca. Pas à pas, nous avons gagné l’endroit appelé « les Bambous » ; site très-renommé, sur le bord d’un cours d’eau, auprès duquel croissent les arbres si gracieux qui lui donnent leur nom. On arrive au sommet du pic en gravissant vingt-neuf marches en bois et quatre-vingt-seize en pierre, au bas desquelles on laisse les chevaux. Une chaîne de fer est suspendue le long d’un des côtés de cette espèce d’escalier, et aide à le franchir, en même temps qu’elle empêche les personnes disposées aux étourdissements, de tomber dans l’immense précipice qui borde cette dure montée. En haut, le panorama est magnifique ; des montagnes étagées en gradins l’une derrière l’autre, se montrent aux quatre points de l’horizon ; au nord, on aperçoit le cap Frio ; au sud, la vue s’étend jusqu’au Rio-Grande-do-Sul ; au-dessous, apparaît la baie de Rio avec ses innombrables îles, îlots et échancrures. Nous avons tous regretté de quitter ce tableau si attachant ; mais l’heure nous rappelait à l’hôtel et de là à bord.

Lundi, 4 septembre. – Nous étions tous debout de grand matin, aujourd’hui, pour surveiller les préparatifs de départ de notre fils aîné qui retourne en Angleterre.

Le yacht était pavoisé en honneur de l’anniversaire du mariage de l’Empereur ; mais les sentiments qui nous agitaient contrastaient tristement avec ces signes de réjouissance. Après le déjeuner, nous sommes allés à terre pour prendre deux lions-singes que Tab doit offrir au Jardin zoologique ; puis est venue l’heure des adieux : heure toujours douloureuse, quelque prévue qu’elle puisse être, mais plus pénible encore en pays étranger, avec la perspective d’un long voyage à faire de part et d’autre !

À deux heures précises, le Cotopaxi se mit en marche. Nous le vîmes rouler sur la barre, car, quoiqu’il fît calme dans la rade, il y avait une forte houle au large ; et, peu à peu, il disparut, avec celui que nous aimons : « with all we love, below the verge.» Peut-être fais-je bien de jeter un voile sur les instants qui succédèrent à ce douloureux moment !

Le soir, nous avons dû assister, à un bal donné au Casino et auquel nous avions promis de nous rendre. La salle, très-richement décorée, a des fresques et des peintures sur les murs, et est entourée de galeries. Elle peut contenir quinze cents personnes et ce chiffre fut même dépassé, lors de la fête donnée, il y a quelques années, au duc d’Édimbourg. Il y avait peu de femmes, cette fois-ci ; mais il s’en trouvait de très-jolies, et toutes étaient habillées à la dernière mode de Paris. Les toilettes des jeunes filles sont simples ; celles des femmes mariées sont plus riches. Quoique les Brésiliennes sortent peu et restent en peignoir une grande partie de la journée, elles ont l’art de savoir choisir leurs costumes. L’orchestre était un peu trop bruyant et la façon de danser diffère de celle de nos pays.

Nous avons pris congé des personnes qui nous ont si aimablement accueillis durant notre séjour au Brésil, et sommes revenus au yacht, Tom et moi, de bonne heure, pour nous préparer au départ. Mais nos compagnons de voyage ont trouvé le bal si attrayant qu’ils ne l’ont quitté que beaucoup plus tard.

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