Ch. 2 - Les débuts de l'aristotélisme latin

Au XIIIe siècle, comme aux siècles précédents, la raison (ratio) reste toujours l’intermédiaire entre la foi et la vision de Dieu, intermédiaire qui convient à l’homme in via : la philosophie, œuvre de la raison, est une étape de la vie chrétienne, et elle est justifiée comme telle. Mais la place de la philosophie dans la hiérarchie des valeurs chrétiennes, si difficile déjà à déterminer au XIIe siècle, est, au XIIIe siècle, l’objet de nouvelles et d’âpres contestations ; les conditions sont en effet bien changées, dès que la philosophie, ne se bornant plus à la dialectique ni à un platonisme plus ou moins transformé dans un sens chrétien, apparaît, avec la connaissance que l’on prend de la philosophie arabe et juive, sous les espèces de l’aristotélisme. L’aristotélisme ne pouvait passer pour être issu de méditations sur la foi : il était l’œuvre de la raison toute seule, d’une raison qui sortait du cadre où l’avaient enfermée saint Augustin et saint Anselme : le XIIIe siècle est l’histoire des efforts en sens opposé que l’on a faits soit pour expulser l’aristotélisme, soit pour le faire rentrer dans le cadre augustinien, réformé comme il convient. Ajoutons qu’il ne faut pas plus exagérer que sous-estimer l’importance de cette invasion de l’aristotélisme ; la dialectique, issue d’Aristote par Boèce, avait dès longtemps habitué les esprits à penser et à discuter sous des formes aristotéliciennes ; elle introduisait d’ailleurs avec elle plusieurs théories appartenant à la physique et à la métaphysique ; d’autre part, la métaphysique d’Aristote est la spéculation sur « l’être en tant qu’être », c’est-à-dire la détermination des cadres où vient s’insérer toute réalité, quelle qu’elle soit ; elle maintenait donc l’esprit dans cette région moyenne où l’avait placé la dialectique ; là, il s’agit moins de la réalité elle-même que des classes où on peut la distribuer, forme, matière, acte, puissance, mouvement ; ce n’est ni le simple verbalisme qui consisterait à nommer les choses, ni l’intuition intellectuelle qui va jusqu’à leur essence, mais une sorte de description raisonnée où les choses viennent naturellement se ranger. La philosophie d’Aristote gardait donc bien ce caractère plus discursif qu’intuitif qui était celui de la ratio, et les combats qui se livrent autour d’Aristote peuvent être considérés comme la suite de ceux qui se sont livrés autour de la dialectique, mais une suite qui comportait des développements bien originaux.

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