CHAPITRE X LA PIQÛRE D’AIGUILLE

Tribunal de 1ère instance

de Locnevinen

Cabinet du Juge d’instruction

« Il fit hier soir une tempête effroyable. Le vent soufflait avec violence, et les flocons de neige, poussés par l’ouragan, entraient par la fenêtre et venaient me battre le visage.

« Il était sept heures du soir, lorsque je me mis à mon poste d’observation. Mes yeux finirent par s’habituer à l’obscurité, je pus distinguer, à travers ce rideau de neige et de ténèbres, la grille du jardin.

« Jacquot errait autour de la maison en poussant des hurlements sinistres. J’avais heureusement pu dérober encore à l’office un gros quartier de viande et je le lui avais jeté pour calmer sa fureur.

« Le temps s’écoulait lentement. Chaque minute me paraissait un siècle. Une angoisse terrible commençait à s’emparer de moi.

« Je repassai dans mon esprit le plan que j’avais imaginé pour m’emparer du bandit. J’en trouvais toutes les dispositions mauvaises. Je craignais qu’il n’avortât et que l’assassin n’échappât encore une fois à la justice !

« S’il allait ne pas revenir… Si ce voyage n’était qu’une ruse habile pour dérouter les soupçons dont il se savait être l’objet…

« Peut-être, au lieu de prendre le chemin de Rennes, a-t-il pris celui de Brest. Peut-être, au moment où je l’attends ici pour le saisir dans son repaire, s’échappe-t-il sur un vaisseau qui le conduit au-delà de l’Océan !

« Toutes ces réflexions se présentaient à mon esprit et me faisaient paraître plus longues et plus cruelles les heures de l’attente.

« Dix heures sonnèrent.

« Tout à coup, il me sembla voir, à travers l’obscurité si épaisse, une petite lumière faible et vacillante qui s’avançait lentement et marquait sa traînée lumineuse sur la neige du jardin.

« Je regardai plus attentivement en me penchant hors de la fenêtre ; la lumière avait disparu.

« – J’ai eu une hallucination », pensai-je.

« Et je poussai un soupir de découragement.

« Cependant mes yeux n’avaient pas quitté la place où j’avais vu disparaître la trace lumineuse.

« Il me sembla qu’à cet endroit l’obscurité était plus épaisse. Je distinguai sur la neige une grande tache noire.

« Puis cette tache parut se séparer en deux.

« – Il a un complice, me dis-je ; tout est perdu ! »

« Un grognement prolongé, qui parvint jusqu’à mon oreille, me rassura.

« Ce complice… c’était Jacquot qui venait présenter ses respects à mon maître.

« En effet, je revis bientôt la lumière de la lanterne sourde recommencer sa marche.

« Elle franchit la porte de la cour et se dirigea vers le coin obscur où se trouvait la cage de l’ours.

« – Il va s’assurer que ses ordres ont été exécutés, pensai-je, et que Jacquot est bien réellement à jeun depuis trois jours. »

« Enfin la lumière s’avança toujours avec la même lenteur et la même circonspection vers la maison, et j’entendis la porte du château se fermer doucement.

« Alors je pris la lampe que j’avais cachée derrière les rideaux de mon lit, et je la levai trois fois en étendant le bras hors de la fenêtre.

J’attendis quelques minutes. Mon cœur battait à rompre ma poitrine.

« – Pourvu que Jean-Marie soit à son poste ! » me dis-je en recommençant le signal.

« Un beuglement plaintif retentit au milieu du fracas de la tempête. C’était dans la direction du clos des Lavandières.

« Le même bruit sourd et prolongé se fit entendre quatre fois encore.

« Alors, du haut de mon observatoire élevé, je vis une fusée rouge tracer dans l’air son sillon lumineux, à une lieue environ du château. C’était le signal convenu avec le juge d’instruction, qui attendait le moment propice dans une auberge de Loc-ahr.

« Je refermai ma fenêtre et éteignis ma lampe.

« Cependant je voulus m’assurer que c’était bien le bandit qui venait de rentrer au château.

« Je sortis donc de ma chambre en suivant le mur à tâtons, afin d’aller écouter si j’entendais quelque bruit dans son appartement.

« Au moment où, arrivé au bout du corridor, je posais le pied sur l’escalier, le bruit d’une porte qu’on fermait se fit entendre au premier étage, et en même temps une marche lente et inégale retentit dans le silence de la nuit.

« J’avais heureusement pris la précaution de me déchausser et je pus regagner ma chambre sans faire de bruit.

« Je me glissai dans mon lit, je ramenai mes couvertures jusqu’à mon menton et feignis de dormir.

« Au bout d’une minute environ, le promeneur nocturne passa, sans s’arrêter, devant la porte de ma chambre. Il ouvrit doucement celle de sa complice.

« Quelque temps après, je l’entendis revenir de chez la morte.

« Il introduisit doucement une clef dans ma serrure, ouvrit ma porte, s’avança jusqu’à mon lit, et je sentis la lumière de sa lanterne sourde glisser sur mes paupières fermées.

« Il marcha quelques instants dans ma chambre et parut y faire une perquisition minutieuse.

« Puis j’entendis la porte se refermer, je jugeai qu’il venait de sortir de chez moi ; cependant, quelque attention que j’y prêtasse, il me fut impossible de percevoir le bruit de ses pas dans le corridor.

« Il régnait un silence profond, interrompu seulement par les rafales du vent.

« Je restai encore couché, de peur qu’il ne lui prît la fantaisie de revenir.

« Tout à coup je sentis une main se glisser sous mes couvertures, mon pied droit fut saisi comme dans un étau et au même instant je ressentis au talon une piqûre aiguë. Je jetai un grand cri et m’évanouis.

« Cette défaillance causée par la surprise que j’avais éprouvée, et qu’expliquait l’irritation nerveuse qui s’était emparée de moi depuis deux heures me sauva la vie.

« Car l’assassin, me voyant livide, inanimé, me crut mort et quitta la chambre.

« Lorsque je revins à moi, mon premier mouvement fut de courir à la porte, que je barricadai solidement.

« Puis je regardai la légère blessure que j’avais reçue au talon. Quelques gouttes de sang s’en échappaient, mêlées à une liqueur brune que je reconnus pour l’inoffensif mélange de suie substitué par moi au terrible curare.

« J’armai alors ma paire de pistolets, que je glissai dans ma poche. J’étais bien décidé, si l’assassin revenait, à lui brûler la cervelle, dussé-je ravir à M. Donneau la gloire de prendre vivant ce redoutable bandit.

« Ma montre marquait onze heures. Il y avait déjà une heure que j’avais donné le signal. Le moment approchait où une lutte décisive allait s’engager entre l’assassin et celui dont il croyait avoir fait sa victime. Je frémissais d’impatience ; il me semblait que M. Donneau tardait bien à venir.

« J’ouvris ma fenêtre avec des précautions infinies et j’écoutai attentivement si, au milieu du fracas de l’ouragan, je n’entendais pas le signal qui devait m’annoncer la présence du juge d’instruction et de ses acolytes.

« Un quart d’heure s’écoula.

« Enfin, au moment où le vent commençait à mugir avec moins de violence, je crus entendre un sifflement doux et prolongé que je pris d’abord pour le dernier soupir de la tempête.

« Mais ce coup de sifflet se répéta trois ou quatre fois encore avec plus d’intensité. Il venait du côté du jardin où se trouvait le vivier. Le doute n’était plus possible : c’étaient M. Donneau et ses hommes !

« Je tirai un des draps de mon lit et le tordis rapidement, de manière à en faire un câble solide.

« J’attachai ce câble improvisé à la barre de fer de ma fenêtre et je me laissai glisser le long du mur jusqu’à ce que je sentisse à portée de ma main l’une des longues branches du sapin.

« Je me cramponnai à cette branche et j’y attachai solidement, le plus près possible du tronc de l’arbre, l’autre extrémité du drap. J’avais établi de cette façon un pont suspendu entre le sapin et la fenêtre.

« Puis je descendis le long de l’arbre et me dirigeai en toute hâte du côté du mur du jardin.

« À moitié chemin, je fus arrêté par un grognement formidable. C’était Jacquot, qui s’était couché sous un massif d’arbustes et qui, se levant à mon approche, venait me barrer la route.

« J’essayai de lui parler doucement pour le faire taire ; mais l’ours était de mauvaise humeur d’avoir été tiré de son sommeil, et il répondit à mes flatteries en se dressant sur ses pieds de derrière et en s’avançant vers moi, pour me serrer dans sa redoutable étreinte.

« Lorsqu’il fut à un demi-mètre de ma poitrine je passai brusquement ma main sur l’épaisse toison de son front et je saisis l’anneau qui traversait son oreille.

« L’ours fit entendre un grognement de colère étouffé, retomba lourdement sur ses quatre pattes et se coucha à terre. Je sus, en ce moment, un gré infini à l’assassin, pour la manière vraiment merveilleuse dont il avait dressé Jacquot.

« Il était devenu plus doux qu’un mouton. Je passai ma ceinture dans l’anneau de son oreille et je l’attachai solidement au pied d’un arbuste.

« Jacquot poussa encore un petit grognement qui ressemblait à un soupir de résignation, et s’étendit tout de son long dans la neige.

« Je m’empressai alors de courir vers le mur du jardin. Quelques pierres s’étaient détachées de leurs alvéoles de ciment, et je pus me hisser jusqu’à la crête du mur.

« – Êtes-vous là ? demandai-je doucement.

« – Oui, me répondit une voix que je reconnus pour celle du jeune juge d’instruction. Pouvons-nous entrer ?

« – Nous n’avons pas un instant à perdre, venez vite ! »

« Au bout d’une minute, le juge d’instruction et les cinq gendarmes qui l’accompagnaient avaient franchi le mur et se trouvaient réunis près du vivier.

« – C’est bien, dis-je, lorsque je les vis au complet. Suivez-moi sans faire de bruit et en vous courbant vers la terre. »

« Nous longeâmes le mur jusqu’à ce que le château se présentât à nous de profil.

« Nous marchâmes alors en ligne droite vers l’angle de la maison qui était le plus rapproché de nous.

« De cette façon, il était impossible qu’on nous aperçût des fenêtres de la façade.

« Puis nous nous glissâmes le long des murailles, jusqu’à ce que nous fûmes arrivés au pied du grand sapin. Là, nous fîmes halte et nous tînmes conseil à voix basse.

« Il fut convenu que je servirais d’éclaireur à la petite troupe, et je commençai le premier l’ascension, suivi du juge d’instruction et de ses braves gendarmes qui, en vue de cette périlleuse entreprise, avaient ôté leurs sabres et n’avaient gardé que leurs pistolets.

« Nous montâmes très lentement et avec les plus grandes précautions.

« Au moment où j’arrivais à la hauteur du premier étage, en face de la fenêtre de l’assassin, cette fenêtre s’ouvrit brusquement.

« Il apparut en robe de chambre, la tête enveloppée d’un foulard, et s’accouda à son balcon en fumant tranquillement sa pipe.

« Son visage n’était pas à un mètre du mien. Je me dissimulai derrière le tronc de l’arbre, dont heureusement les branches étaient très touffues.

« L’orage avait cessé. Un silence solennel succédait au fracas du vent. Si, à ce moment, l’un de nous, vaincu par la fatigue, avait lâché la branche à laquelle il se tenait cramponné, c’en était fait de notre entreprise.

« La brise souleva un des rideaux de la fenêtre. J’aperçus, à la lueur d’une bougie qui brûlait sur la table, plusieurs instruments de dissection et une petite meule en pierre grise.

« Le docteur Wickson préparait quelques travaux anatomiques, et je devinai bien vite quels étaient les deux sujets choisis pour ses expériences.

« Lorsqu’il eut fini d’aspirer les dernières bouffées de tabac qui devaient rendre à son esprit le calme nécessaire pour se livrer à ses importantes occupations, il secoua sur la barre du balcon les cendres de sa pipe et referma la croisée.

« Je recommençai l’ascension et j’arrivai cinq minutes après à mon pont aérien, dont j’examinai attentivement les attaches et que je franchis après m’être bien assuré qu’il était assez solide pour livrer passage à mes six compagnons.

« – Ouf ! me dit le juge d’instruction en sautant après moi dans la chambre, nous l’avons échappé belle. »

« Les yeux du jeune magistrat étincelaient de plaisir. Il y avait dans toute cette affaire quelque chose d’extraordinaire et de chevaleresque qui paraissait beaucoup le séduire.

« Nos gendarmes se rangèrent en cercle autour de nous, et j’allumai leurs lanternes en leur recommandant bien de tourner la lumière du côté de leurs poitrines.

« Cet avis ne fut pas inutile, car nous entendîmes bientôt retentir dans le corridor le pas de l’assassin. Il ne prenait même plus le soin d’étouffer le bruit que faisaient ses souliers sur les dalles.

« Je posai la main sur le bras du juge d’instruction. Son cœur battait avec force, mais son visage exprimait toujours la même fermeté et le même courage.

« – Il tombe lui-même dans le piège, lui dis-je à voix basse ; nous n’aurons même pas besoin d’aller le relancer dans sa tanière. »

« Mais l’illustre docteur passa devant la porte de ma chambre sans y entrer, et se dirigea, toujours boitant, vers celle de sa complice.

« Je débarrassai alors rapidement ma porte que j’avais eu soin de barricader, et nous nous avançâmes sans faire de bruit dans le corridor.

« Je plaçai mes hommes sur deux rangs. Ils tenaient ainsi toute la largeur du couloir ; M. Donneau et moi nous nous mîmes à leur tête.

« Tout à coup un cri strident, horrible, retentit dans la chambre de la morte ; un bruit de pas précipités se fit entendre, et nous vîmes l’assassin fuyant, les yeux hagards, les bras étendus, et derrière lui, la poitrine déchirée et couverte de sang, une femme de haute stature que je n’eus pas de peine à reconnaître.

« – Halte ! » cria M. Donneau d’une voix forte.

« Boulet-Rouge fit un soubresaut et s’arrêta court.

« Nous avions dirigé vers lui le rayon de nos lanternes, et il nous apparaissait en pleine lumière.

« Cependant il s’était vite remis de l’émotion que lui avait causée la résurrection d’Yvonne. Il se croisait les bras et son œil n’exprimait pas la moindre frayeur.

« Il paraissait se demander s’il ne pourrait forcer cette muraille vivante et nous échapper par la violence.

« Mais il réfléchit sans doute que la lutte ne serait pas égale. Il fit quelques pas vers nous, et se tournant de mon côté :

« – Allons ! dit-il avec ironie. C’est aujourd’hui le jour des résurrections. J’ai perdu la partie, Monsieur de la Préfecture, et je dois payer ! »

« Il me tendit avec une courtoisie affectée une de ses larges mains, de l’autre fit sauter sa perruque grise, et, redressant sa haute taille, il nous regarda d’un œil calme et fier.

« C’était un homme de quarante-cinq ans environ, aux cheveux noirs et crépus, au visage dur, mais d’une grande beauté, aux formes athlétiques. On lui mit les menottes, sans qu’il opposât la moindre résistance.

« Cependant la mourante s’était traînée jusqu’à lui en chancelant et se cramponnant à son épaule.

« – Assassin ! assassin ! » criait-elle dans le délire de la folie.

« C’était un horrible spectacle.

« – Débarrassez-moi de cette femme ! » dit Boulet-Rouge d’une voix sourde en secouant les épaules pour se soustraire à ses étreintes.

« J’ordonnai à deux gendarmes de s’emparer d’Yvonne et de la porter sur son lit avec précaution.

« J’entrai derrière eux dans la chambre. Le lit était défait et les couvertures traînaient à terre. Sur le parquet brillait une lame d’acier : c’était un scalpel.

« Lorsque la malade fut étendue sur le lit, je m’approchai d’elle pour examiner sa blessure.

« Le scalpel avait pénétré peu profondément dans la poitrine. Mais la douleur avait été assez vive pour tirer Yvonne du sommeil cataleptique dans lequel elle était plongée depuis trois jours.

« Je lavai cette blessure et y mis une compresse d’eau froide.

« Le pouls de la malade était plus calme. À l’exaltation, au délire, succédait maintenant un état de faiblesse et d’abattement.

« Lorsque je rejoignis le juge d’instruction, je le trouvai en train de faire une perquisition dans la chambre que le bandit avait occupée pendant dix ans.

« Cette chambre, fort spacieuse, était toute tendue de tapisseries de couleur sombre. Au fond s’élevait un grand lit carré et sous ce lit on trouva une malle assez volumineuse contenant plusieurs déguisements et quelques perruques parmi lesquelles je reconnus les cheveux rouges du docteur Wickson.

« Cet étrange personnage s’était jeté dans un grand fauteuil de cuir, et avait invité par un geste gracieux les gendarmes qui l’entouraient à prendre un siège à côté de lui. À toutes les questions que lui adressait M. Donneau, il opposait le mutisme le plus obstiné.

« Le Juge d’instruction me demanda de lui indiquer de quel côté se trouvait la cachette. Je soulevai la tapisserie, et lui montrai une porte en chêne massif dissimulée sous la tenture. Comme le prévenu refusait de donner la clef de cette porte, le magistrat ordonna d’employer la violence pour l’arracher de ses gonds.

« Quand la porte fut tombée sous l’effort des robustes épaules des gendarmes, nous pénétrâmes dans le caveau de l’assassin. Je soulevai le carreau mobile et tirai le grand sac de cuir dans lequel se trouvaient les divers objets que je vous ai énumérés.

« Il ne manquait à la collection que l’étui au curare et la boîte à dissection. Ensuite M. Donneau ordonna d’apporter le squelette au milieu de la chambre. Et se tournant vers Boulet-Rouge :

« – Voulez-vous enfin répondre à mes questions, fit-il avec impatience, et me dire depuis quand ce squelette se trouve dans le caveau ? »

« Le bandit releva la tête.

« – Je vais vous le dire, répondit-il ; ce squelette est celui de M. Bréhat-Kerguen. Je l’ai disséqué et préparé moi-même, ce qui a procuré à Jacquot un excellent repas. Il n’y a pas un seul fil de fer, tous les ligaments sont naturels. Ah ! c’est un beau travail d’anatomie ! »

« Il fit une pause, puis se tournant vers moi :

« – Cela vous étonne, n’est-ce pas, Monsieur de la Préfecture, de m’entendre faire cet aveu ? Vous êtes habitué à avoir affaire à des gens auxquels vous êtes obligé d’arracher les paroles une à une. Eh bien, désormais je répondrai à toutes vos questions. Je vous donnerai toutes les indications et tous les détails que vous me demanderez… J’y suis bien résolu. D’ailleurs, je n’ai rien à cacher, tout ce que j’ai fait a été bien fait… Et puis je suis las de la vie ! Mon père m’a toujours dit que je mourrais sur l’échafaud. Ma foi ! autant là qu’ailleurs ! on meurt sur une estrade, aux applaudissements de la foule, c’est moins vulgaire que de finir dans son lit. Vous voulez savoir comment j’ai fait pour m’introduire ici, pour aller ensuite à Paris recueillir la succession de mon cher frère, pour trouver de l’arsenic dans son corps et pour avoir l’honneur de faire avec vous une partie d’écarté chez madame la comtesse de Bréant ? Faites vos questions, je répondrai !… Mais avouez que c’était bien joué, et que si la Préfecture ne m’avait pas décoché son jeune premier, je menais la vie la plus douce du monde ! »

« Il s’était levé et avait débité ces paroles avec une emphase qui me rappela le charlatanisme du docteur Wickson.

« Le juge d’instruction me pria ensuite de lui montrer la chambre où avait eu lieu le crime. Je l’y conduisis aussitôt. Boulet-Rouge nous suivait escorté des cinq gendarmes qui le serraient de près. J’avais repris la clef de cet appartement entre les mains d’Yvonne. Au moment où j’ouvris la porte, et lorsque l’assassin aperçut, après ces dix années écoulées, la chambre telle qu’elle était la nuit du meurtre, il ne put s’empêcher de tressaillir ; son regard se troubla. Il murmura :

« – Elle m’avait dit que tout avait été remis en place, et que la clef était perdue.

« – C’est bien ici, demanda M. Donneau, que vous avez tué M. Bréhat-Kerguen ? »

« Boulet-Rouge ne répondit pas, et se contenta de faire un signe affirmatif.

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