IX

L’arbre du voyageur. – La fleur électrique

À Andévourante – et ce sera la dernière fois jusqu’à Tananarive – j’ai la satisfaction de coucher dans un lit. À partir de là, la route, si on peut appeler ainsi un sentier capricieux à peine assez large pour que deux personnes puissent y passer de front, quitte le bord de la mer qu’elle a toujours longé jusqu’alors, pour s’enfoncer dans les terres vers l’ouest. Nous commençons à monter et il en sera ainsi jusqu’à Tananarive. Ce sera quelquefois par une pente si escarpée que les chemins à mulets des Alpes ne peuvent en donner qu’une faible idée, et que, souvent, je me trouve avoir la tête plus basse que les pieds. Mes porteurs continuent cependant à courir avec une rapidité presque égale, se relayant seulement un peu plus souvent ; je ne semble pas peser à leurs épaules, ils chantent, et probablement le rythme qu’ils impriment ainsi à leur pas les aide-t-il à porter leurs fardeaux.

Il s’agit maintenant de remonter pendant quelque temps la rivière Iharoka ; nous reprenons des pirogues. La rivière est très large ; en certains endroits c’est à peine si on en distingue les bords. Des têtes de caïmans se montrent toujours çà et là. Je veux, par l’entremise de mon petit domestique, interroger le batelier à leur sujet. – Commettent-ils beaucoup de dégâts dans les villages ? – En tue-t-on beaucoup ? – Quelle est la saison où l’on en voit le plus ? – Le batelier me regarde d’un air farouche ; il ne me répond pas. Mon petit interprète m’en donne la raison. – Cela porte malheur de parler des caïmans, aussi bien que des accidents dont ils peuvent être la cause, me dit-il. – L’enfant murmure ces explications à mi-voix, d’un air craintif ; je devine que, en dépit de son éducation chrétienne, il subit encore l’influence des croyances nationales.

Quoique nous allions contre le courant de la rivière, les pirogues n’en voguent pas moins avec une rapidité prodigieuse. Les porteurs, transformés en bateliers, chantent en cadence ; c’est encore bien moins pour se charmer eux-mêmes que pour charmer les caïmans, qu’ils espèrent ainsi adoucir. Du reste les Hovas mêlent volontiers la musique à leurs occupations ou à leurs travaux ; ils en ont le sentiment inné.

Tout à coup nous nous apercevons que notre pirogue fait eau. La situation ne laisse pas que d’être assez critique. Un plongeon n’aurait rien de bien agréable ; sans compter les camarades dont je viens de parler, le courant est tellement rapide qu’on aurait peine à atteindre le bord. J’ordonnai donc que la moitié des rameurs cessât de manœuvrer les pagaies pour s’employer à vider le bateau. On se sert de tout ce qu’on trouve à sa disposition : M. Pappasogly et moi de nos casques de sureau ; mes hommes de leur marmite à faire cuire le riz, ou simplement de leurs deux mains. À force de travail, nous conjurons enfin le danger et nous gagnons l’autre bord, où nous retrouvons la végétation superbe qui déjà nous avait émerveillés les jours précédents : des fougères arborescentes au tronc élancé, que couronne un bouquet finement dentelé ; des bananiers laissant pendre leurs régimes de fruits succulents ; des palmiers au panache échevelé ; des bambous au léger feuillage.

De tous les arbres qui croissent avec une si exubérante profusion, un des plus beaux aussi bien que l’un des plus extraordinaires est le ravenal ou l’arbre du voyageur. II ne porte guère que de vingt à trente feuilles, mais ces feuilles ont deux mètres et demi à trois mètres de longueur sur cinquante centimètres de large, et sont disposées de telle manière qu’elles forment une sorte d’éventail de proportions gigantesques. Les Malgaches emploient ces feuilles comme ustensiles de ménage, en guise de plats et d’assiettes. Le tronc sert à faire la charpente des maisons, ou les piliers soutenant la galerie extérieure qui règne autour de chacune d’elles ; les feuilles séchées sont employées pour la toiture ; aussi peut-on dire que, avec l’arbre du voyageur, on construit une case complète.

Ce qui a valu son surnom à ce superbe végétal, c’est la propriété qu’ont ses feuilles de servir de réservoir pour l’eau de pluie. Un voyageur a-t-il soif, il pratique, à l’aide d’un instrument tranchant, une incision à la naissance de la feuille : aussitôt un filet d’eau fraîche s’en échappe. J’y ai eu recours une ou deux fois et je m’en suis très bien trouvé.

C’est peu de temps après avoir quitté la rivière Iharoka que je fis connaissance avec une autre plante non moins extraordinaire. Pendant que mes hommes se reposaient, je m’étais assis sous un arbre, un crayon à la main, pour prendre un croquis du paysage. Un arbuste au feuillage pâle et peu fourni, comme celui de l’olivier du midi de la France, attira mes regards ; voulant admirer de plus près ses fleurs qui rappelaient par leur blanc pur celles du camélia, je me levai pour aller en cueillir une ; mais, au moment où je la séparais de sa tige, j’éprouvai une forte commotion sur le bras. Je me retournai vivement, croyant que quelqu’un m’avait frappé ; mais j’étais seul ; il était évident que le coup que je venais de ressentir était dû à la plante elle-même : c’était une plante électrique et elle m’avait donné une secousse égale à la décharge d’une petite bouteille de Leyde. Une seconde épreuve que je fis aussitôt sur une fleur semblable, confirma mon jugement.

J’ai conservé cette fleur ; elle figure dans la collection de souvenirs de voyage que j’ai réunis dans ma maison de Toulouse, à côté d’autres spécimens de la flore du pays, – recueillis sans connaissances spéciales, je l’avoue, plutôt pour leur beauté, leur originalité, leur rareté, que pour leur valeur scientifique, – tels que quelques noix de tanghin, poison particulier à Madagascar, – et d’échantillons de cristaux et de grenats, découverts aussi par moi dans mon voyage de Tamatave à Tananarive.

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