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Hôtes incommodes. – L’oiseau bleu

À l’entrée de chaque village nous sommes reçus par le chef qui nous offre, selon l’usage, quelques petits présents de bienvenue, toujours accompagnés d’un discours auquel je réponds, toujours aussi, par une phrase apprise par cœur et qui signifie : « Je vous remercie. Vive la reine Ranavalo Manjaka ! Vive la France ! »

Pendant ce temps mon petit domestique procède à mon installation qui est des plus sommaires et des moins confortables, entre les rats qui ne se contentent pas de danser des sarabandes échevelées au-dessus de ma tête, mais qui viennent se promener jusque sur mon lit, jusque sur ma figure, et les puces, hélas ! plus indiscrètes encore.

Il faut avoir vécu à Madagascar pour savoir ce que ces vilaines bêtes, puces et rats, peuvent faire souffrir à des êtres humains. Ces rats sont en telle quantité que les malheureux habitants ne savent comment s’en préserver et qu’ils sont obligés, pour mettre leurs récoltes à l’abri des déprédations de ces rongeurs, de construire des greniers élevés sur pilotis, où l’on n’accède qu’à l’aide d’une sorte de mât de perroquet, formé d’un tronc d’arbre dans lequel on a pratiqué des entailles pour poser le bout des pieds. Il y a quelques années, le gouvernement a dû envoyer contre eux des bataillons entiers de soldats hovas, rappelant le Lustucru de la mère Michel :

Il est dans le grenier faisant la chasse aux rats,

Avec un fusil d’paille et un sabre de bois.

Quant aux puces, ces bêtes malfaisantes peuvent transformer un homme civilisé en véritable sauvage, et c’est ce qu’elles parvinrent à faire de moi. J’étais tellement exaspéré de leurs attaques répétées, tellement las de leur faire une guerre acharnée sans obtenir le moindre résultat, puisque, après en avoir détruit des légions, elles se présentaient en légions encore plus nombreuses ; je présentais en outre un spectacle si grotesque avec mes habits jadis blancs qu’on aurait crus d’étoffe imprimée tant ils étaient couverts de taches rousses, que je pris un parti violent.

Afin que ces hôtes indiscrets et incommodes ne se logeassent plus dans mes vêtements, je résolus de n’en plus porter que le moins possible, et, à l’exemple de mes hommes, de me contenter du « salaka », longue ceinture de toile, passée entre les jambes et serrée autour des reins. J’étais ainsi beaucoup moins exposé aux piqûres de mes ennemis, sans compter qu’il m’était bien plus facile de m’en débarrasser. Au bout de quelques jours, le soleil aidant et en dépit de mon parasol, j’étais devenu presque aussi bronzé que mes porteurs et j’aurais pu être confondu avec eux.

Mais les puces ne sont pas, Dieu merci, les seuls insectes qu’on trouve à Madagascar, et de magnifiques papillons continuent à tourbillonner autour de nous : je n’en ai jamais vu nulle part une telle quantité. J’en remarque un dont les ailes antérieures sont noires, rayées de bandes irrégulières d’un vert splendide, pendant que les ailes postérieures sont de couleurs éblouissantes à reflets d’or, Sur les ailes d’un autre, qu’on appelle « papillon-comète », se mêlent le jaune et le rouge ; il est particulier à Madagascar et se vend jusqu’à cent francs aux collectionneurs ; un autre enfin est de couleur tricolore.

Comme je m’efforçais toujours de le faire, je tire de cette particularité une conclusion en faveur de la France. – Vous voyez que cette terre porte nos couleurs, dis-je à nos hommes ; donc elle nous appartient !

D’autres insectes encore que les papillons abondent dans l’île ; je remarque une sorte de grande sauterelle qui y est fort commune, et des chenilles comme, je le crois, il n’en existe guère que là. Il en est qui ont jusqu’à quinze centimètres de longueur et elles sont magnifiquement habillées de rouge, de noir et de bleu. Les vers à soie y sont aussi en grande quantité et les naturels considèrent la chrysalide de cet insecte comme un mets fort délicat. J’en ai goûté : un voyageur doit avoir le palais accommodant ; mais j’avoue que cette appréciation gastronomique n’est pas la mienne. Affaire d’habitude peut-être.

Un maki, sorte de quadrumane qu’on ne trouve qu’à Madagascar, d’un naturel doux et aimable, montre aussi, de temps en temps, entre les branches, son large plastron d’un blanc de neige, qui le fait ressembler à un élégant allant au bal, et contraste avec le poil noir et soyeux dont le reste de son corps est couvert. Il nous suit curieusement du regard derrière l’écran vert des feuilles.

Parmi les oiseaux au plumage splendide, le couroucou émaillé de vert et d’or, le paon dont la queue magnifique ondoie sur le gazon, la lyre qui dresse la sienne de manière à rappeler l’instrument cher à Orphée, je remarque deux oiseaux que je n’avais jamais vus et que je n’ai vus que là ; c’est d’abord un perroquet, noir comme le merle de nos pays, puis un corbeau dont l’aile ne pourra plus fournir de comparaison aux auteurs que quand ils parleront de douairières, car il est entièrement blanc.

Un autre semble échappé du conte de fée de Mme d’Aulnoy ; il est bleu, d’un bleu d’azur étincelant. Un jour, l’un d’eux s’était posé sur un arbre à quelques pas de nous ; il s’envola à notre approche pour aller se poser plus loin, mais toujours en vue, puis plus loin encore. Je tirai un coup de fusil dans sa direction, non pour tuer la charmante créature, mais pour voir si ce bruit l’effraierait. Elle disparut en effet ; puis, au bout de quelques instants, nous la revîmes et elle nous accompagna pendant plus de deux heures.

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