Le Fandroana
Cependant on commençait à faire les préparatifs pour le Fandroana ou Fête du Bain de la reine qui approchait. Le « Fandroana » est le nouvel an malgache, et on le célèbre, comme notre premier de l’an, par des réjouissances, des visites, des cadeaux ; seulement ce sont surtout les petits, les pauvres, qui doivent faire ces cadeaux.
L’année malgache se compose de douze lunes, de sorte qu’elle est d’environ onze jours plus courte que la nôtre, et que le premier jour de l’année ne tombe pas à époque fixe ; mais, depuis l’avènement de Ranavalo III, le « Fandroana » a été fixé au 22 novembre, qui est l’anniversaire de naissance de la reine.
Les Malgaches donnent à cette fête une grande solennité et elle dure près d’un mois. D’abord, trois semaines avant, les affaires sont suspendues ; on nettoie, on pare les maisons, on prépare de nouveaux habits, chacun se dispose à célébrer la solennité de son mieux.
La reine était revenue de la campagne peu de temps après la visite que je lui avais faite. Deux ou trois jours avant le « Fandroana » elle devait faire, sur la grande place d’Andohalo, sorte de champ de Mars du peuple hova, situé au pied de la colline de Tananarive, une proclamation au sujet de la fête prochaine. Au milieu de cette place se trouve une pierre que les Malgaches considèrent comme sacrée et qu’on appelle Pierre à intronisation ou Pierre de la reine : car les pieds seuls de la reine ont le droit de la fouler. C’est sur cette pierre en effet que se tient la souveraine pour passer la revue de ses troupes, pour recevoir les hommages de ses sujets ou pour faire des proclamations.
C’est en grande pompe, portée dans un grand palanquin rouge surmonté de la boule d’or, indice du rang suprême, que la reine se rendit à la place d’Andohalo. Elle était magnifiquement vêtue, comme toutes les fois qu’elle se montre en public, et le peuple se pressait sur son passage, l’acclamant avec frénésie.
Un fauteuil rouge, surmonté d’un dais, avait été préparé sur la pierre bleue ; la reine s’y assit et prononça le discours suivant :
Moi,
Ranavalo Manjaka
Par la grâce de Dieu et la volonté du peuple
Reine de Madagascar
et
Défenseur des lois de mon pays.
« Voici ce que j’ai à vous dire, ô peuple : Par la grâce de Dieu, nous voici arrivés à l’anniversaire de ma naissance, qui est aussi celui de mon couronnement, et qui, je l’ai décidé, serait aussi la date de la fête du Fandroana, afin que vous et moi nous nous réjouissions ensemble, à cette occasion qui se renouvelle pour la troisième fois depuis mon avènement au trône. Que Dieu soit loué !
« Vous êtes assemblés sur cette place d’Andohalo, sacrée par la mémoire de douze souverains. Vous vous y êtes rendus à mon appel, sans la moindre hésitation, et à l’heure indiquée. Je vous en exprime toute ma satisfaction et mon approbation, tant à vous et à mes parents qu’à mon peuple. Je reconnais qu’en vous je retrouve père et mère, car vous me reconnaissez tous pour l’héritière d’Andrianampoinimérina et de Leidama et de Rabodonandrianampoinimerina et de Rosaherimanjaka et de Ranavolomanjaka II et j’ai confiance en vous. Que Dieu vous bénisse et vous conserve santé et prospérité pendant de longues années.
« Et maintenant voici, au sujet du Fandroana :
« 1. – Le lundi 22 novembre est le jour fixé pour la cérémonie du Bain. Le lendemain (mardi), au matin, on tuera les bœufs qui doivent l’être à cette occasion.
« 2. – Dans la soirée de lundi, jour du Bain, vous êtes autorisés à tuer des volailles, mais aucun animal à quatre pieds ne pourra être abattu.
« 3. – Le jeudi, 18 novembre, sera le dernier jour où les animaux de boucherie pourront être abattus. Après cette date, il est défendu de répandre le sang de quelque animal que ce soit, excepté celui des oiseaux, dans la soirée de lundi. Le mardi est le jour désigné pour l’abatage des bœufs pour la fête, et il est défendu de verser le sang d’aucun autre animal jusqu’au lundi suivant, après lequel la chose sera permise.
« (ii) La chair des animaux abattus jusqu’au 18 novembre ne pourra être mélangée ou vendue avec celle des bœufs tués à l’occasion du Fandroana ; elle devra être consommée avant la cérémonie de lundi, fête du Bain (22 novembre).
« (iii) Toute cruauté inutile contre les bestiaux devant être abattus est rigoureusement défendue.
« 4. – Si lorsque vous partagerez la chair des bœufs tués pour la fête, vous ne le faites pas loyalement, et que vous cherchiez à tromper en abusant de votre force contre les faibles pour avoir les plus grosses parts, je considérerai la chose comme honteuse et déshonorante et je la punirai comme un crime.
« 5. – La culotte de chaque bœuf tué sera envoyée au palais, comme droit régalien.
« (iii) Tout le suif devra être porté au nord du palais où il sera partagé.
« (iiii) L’huile de pied de bœuf sera envoyée au palais.
« Tels sont mes ordres et que chacun en prenne connaissance, car ils ne vous sont pas cachés. Si vous les transgressez, j’en serai assurément prévenue par les chefs, la police ou la communauté ; et si eux ne se conformaient pas à mes prescriptions, vous sauriez m’en prévenir.
« Alors que Dieu vous bénisse, ô mon peuple ; que vous soyez sage dans l’observance des lois pour le bien de vos personnes, vos femmes et vos enfants ; que l’évangile de Jésus-Christ et la Vérité fassent du progrès dans mon pays et que toute vanité disparaisse. Et puissions-nous tous, Moi et vous, mon peuple, être les servants de Dieu
« dit
« Ranavalo Manjaka
« Reine de Madagascar. »
La proclamation terminée, la reine rentra au palais avec la même cérémonie, et toujours acclamés par le peuple qui faisait retentir l’air de « trarantitra » répétés.
On conviendra que pour une reine barbare, plusieurs de ces prescriptions ne manquaient pas d’une certaine élévation et que la manière dont elles étaient promulguées était assez imposante.