LX

Calomnies

Si j’étais oublié de ceux pour lesquels j’avais travaillé, je ne l’étais pas des autres, je veux dire des Anglais.

J’étais reparti pour Toulouse, brisé de fatigue et de douleur ; car une deuxième dépêche, que je reçus à Paris, m’apprenait un grand malheur de famille. Pour surcroît de calamités, un terrible accident de voiture, survenu dès mon arrivée, me tenait pendant près de quatre mois hors d’état de m’occuper de quoi que ce fût.

Quand je revins à la santé, j’appris avec indignation que, à Madagascar, à l’Île Maurice, à la Réunion, on faisait courir les bruits les plus calomnieux sur mon compte.

Voici comment j’en fus instruit :

Le propriétaire du Journal de Saint-Denis, à la Réunion, avait un fils de quatorze ans environ, qui faisait son éducation au collège de Toulouse. Ce jeune garçon venait constamment chez moi et y passait ses jours de congé. Un jour il m’apporta un numéro de ce journal qu’on lui avait envoyé de la Réunion, où je lus cette stupéfiante nouvelle que j’étais en prison. Il s’empressa d’écrire à son père pour qu’il démentît cette infâme calomnie, dont je n’eus pas de peine à deviner l’auteur. C’était évidemment une invention perfide de ce Tecchi, le directeur du Madagascar Times avec lequel, à plusieurs occasions, j’avais eu des démêlés. Ce fut du reste aussi l’avis de M. Le Myre de Vilers, dès qu’il en eut connaissance. Le journal de Maurice avait accueilli cette nouvelle avec joie, parce qu’elle était défavorable à un Français, et le journal de la Réunion avec tristesse, par la même raison.

Dès que je fus mis au courant de ces odieuses menées, je courus à Paris : c’était assez de n’avoir pas reçu la moindre marque de satisfaction des services que j’avais rendus ; en être victime c’était trop.

J’allai trouver le Ministre des Affaires étrangères et je lui représentai que je comptais sur lui pour me faire rendre justice ; que si j’avais ameuté contre moi la horde des journalistes anglais, s’ils répandaient sur mon compte le venin de leurs calomnies, c’était pour se venger des déboires que leur avait fait éprouver l’ascendant que j’avais su prendre sur l’esprit de la reine et de ses sujets, y compris le Premier Ministre ; que je n’avais d’autre but, en cherchant à acquérir cet ascendant que le bien de la France, et que j’avais cru faire acte de bon citoyen en l’exerçant. En tous cas, puisque c’était en raison d’actes officiels que j’avais été attaqué, c’est officiellement que je voulais être défendu.

M. Flourens fit droit à ma réclamation. Il donna des instructions diplomatiques à nos représentants à l’Île Maurice, à la Réunion ainsi qu’à M. Le Myre de Vilers, à Madagascar, afin qu’ils fissent démentir les bruits que l’on avait répandus sur mon compte. Les journaux qui avaient publié ces calomnies insérèrent une note disant qu’ils regrettaient sincèrement de s’être fait les échos de fausses nouvelles qui portaient atteinte à mon honorabilité, ils me présentaient leurs excuses personnelles et louaient mon patriotisme et mon désintéressement.

Share on Twitter Share on Facebook