VII

De Tamatave à Andévourante

Le paysage a le même aspect gracieux que la veille et devient, en certaines parties, d’une splendeur incomparable par la hauteur et la grosseur des arbres, qui sont des essences les plus variées, la couleur du feuillage d’un vert éclatant, la multitude des fleurs qui se montrent de tous côtés, couvrant d’une riche parure le sol, aussi bien que les lacs que nous suivons et qui ne sont séparés de la mer que par une étroite bande de terre. Des papillons aux ailes diaprées tournent autour de nous ; des oiseaux multicolores rayent l’air de leur vol rapide ; des flamants, des grues au plumage varié se tiennent sur le bord de l’eau, se livrant à la pêche, assurés contre l’approche des caïmans par la facilité qu’ils ont de s’enlever dans les airs à l’approche de l’ennemi. C’est un tableau inoubliable et qui se fixe dans la mémoire de celui qui l’a contemplé une fois, avec autant de sûreté que sur une plaque photographique.

Avant d’arriver à Amboudichine où nous devons passer la nuit, plusieurs de mes porteurs déposent à terre leur fardeau et s’enfoncent à grands pas dans le fourré. Je demande l’explication de cette désertion au garçon qui me sert d’interprète, il me répond : La cruche d’Amboudichine.

Et je me rappelle que, en effet, c’est près de ce village que se trouvait autrefois une cruche dans laquelle, paraît-il, durant plusieurs siècles, les habitants des environs, avant d’entreprendre un voyage, venaient déposer une offrande d’argent afin de bien disposer les dieux en leur faveur.

Mais quand les Hovas s’emparèrent du pays en chassant les premiers occupants, ils pillèrent le trésor. En outre, tout dernièrement, un Anglais brisa le vase d’un coup de fusil ; néanmoins quelques-uns des pêcheurs de la côte ont conservé un tel respect de la tradition que, souvent, avant de se mettre en route, ils viennent faire une sorte de pèlerinage aux débris de la cruche.

C’était sans doute ce motif qui avait porté mes hommes à se séparer de nous. Du reste, une fois que cette explication m’eut été donnée, je ne m’inquiétai plus d’eux, sachant qu’ils me rejoindraient sûrement.

Aux environs d’Amboudichine aussi, on montre le « trou au serpent » qui, par bonheur, est vide de son locataire. C’était, disent les naturels, un monstre dont les dimensions étaient telles qu’il pouvait entourer de ses replis un village de trois cents familles. Sa langue était armée de sept dards, dont il perçait les hommes et les bestiaux. Il fut détruit par un Hercule malgache, comme l’Hydre de Lerne, de mythologique mémoire, le fut par le héros grec, mais son souvenir s est conservé dans la terreur populaire.

La plupart du temps nous passons à gué les cours d’eau que nous rencontrons, car ils ont peu de profondeur ; cette profondeur est suffisante néanmoins, paraît-il, pour que messieurs les caïmans s’y trouvent à leur aise, car nous voyons plusieurs de leurs vilaines têtes émerger de l’eau. Heureusement nous avons un chien avec nous, et c’est grâce à lui que nous pouvons franchir ces petites rivières. L’intelligente bête, qui ne tient pas plus que nous à se mesurer avec les féroces sauriens, emploie une ruse de guerre, en usage chez ses congénères malgaches, et des plus ingénieuses : Il se plante sur le bord du rivage, et là se met à aboyer jusqu’à extinction de voix. Aussitôt les caïmans d’accourir vers cette proie qui s’annonce d’une manière si bruyante ; mais ils ont compté sans la malice du chien ; dès que celui-ci a attiré ses ennemis sur le rivage, il fait demi-tour et vient, en toute hâte, passer la rivière à une centaine de mètres de là, nous le suivant, pendant que les caïmans, qui ont grand’peine à se retourner quand ils sont sur la terre ferme, s’efforcent de regagner l’élément liquide, où leurs mouvements reprennent toute leur prestesse. Quand ils y sont parvenus, nous sommes, nous et notre brave toutou, en sûreté sur l’autre bord, et nous poursuivons notre route tranquillement, en attendant l’occasion d’employer le même stratagème.

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