Antatanarivo la belle !
Nous venons de quitter Ambatomanga lorsque tout à coup, après avoir gravi une dernière pente, un spectacle magique se déroule à nos yeux.
La vue s’étend à une distance infinie sur une vaste plaine que traverse une belle rivière, l’Ikopa, dont les eaux entretiennent partout la fraîcheur et la fertilité. Tout à l’extrémité de l’horizon, profilant sur le ciel la silhouette étrange de ses palais, Tananarive se dresse au milieu des rizières qui lui font une verte ceinture.
Aussitôt qu’ils l’aperçoivent, mes porteurs s’arrêtent et, levant les bras au ciel, avec de grands gestes, ils s’écrient :
– Antatanarivo ! Antatanarivo ! Antatanarivo ! la belle !
Et ils poussent des exclamations de joie, accompagnées des paroles les plus enthousiastes, adressées à la « Capitale ».
Voir Tananarive, cela ne veut pas dire qu’on y soit, car on l’aperçoit de vingt-quatre ou vingt-cinq kilomètres. Le chemin se poursuit en ondulations qui font que souvent nous perdons la ville de vue pendant un quart d’heure, une demi-heure, pour la retrouver ensuite un peu plus distincte. Un grand nombre de villages se montrent de tous côtés ; les alentours en sont bien cultivés : le manioc, les patates, des plantes légumineuses de toute sorte y croissent en abondance ; des poules, haut perchées sur leurs pattes rouges, picorent çà et là comme dans nos villages de France. Tout annonce la vie et le mouvement et signale l’approche de la capitale.
Maharidaza, dernière étape avant Tananarive. – Il s’agit de reprendre un aspect européen. Je tire de ma valise un « complet » neuf, en flanelle blanche, ainsi que les autres vêtements des hommes civilisés, et me dispose à faire une toilette en règle, dans la case où j’ai passé la nuit et que j’ai louée, selon l’usage, pour un fragment de pièce de cinq francs équivalant à quatre ou cinq sous. Je procède à cette opération avec la liberté qu’on croit pouvoir se permettre entre les quatre murs d’une chambre fermée, quand je m’aperçois que des regards indiscrets se glissent entre les volets, entr’ouverts pour laisser passer le jour. Ces braves Hovas, hommes et femmes, garçons et filles, sont également désireux de voir comment s’y prend un blanc pour faire disparaître sur sa personne les traces du voyage. Pour les punir de leur curiosité, je les baptise du contenu de ma cuvette – une sorte de vieille marmite – remplie d’eau de savon. Mais le châtiment tourne en récompense : car, à ma grande surprise, je les vois aussitôt se jeter à terre et s’agenouiller d’un air de béatitude devant la mare blanchâtre qui vient de se former devant ma fenêtre. Ils la touchent presque du visage, si bien que je crois qu’ils y trempent la langue ; mais non, ils se contentent d’y tremper le bout de leur nez et d’en humer l’odeur de rose avec une profonde satisfaction. Ils en délectent leurs narines, car ils adorent les parfums. C’est un plaisir que je leur fournis à plusieurs reprises ce matin-là.
Mes hommes aussi ont fait toilette : cette toilette a-t-elle été bien minutieuse, c’est ce que je ne saurais dire ; mais enfin ils ont repris la tunique de coton blanc ou akanjo qu’ils portent par-dessus le salaka et préparé leur lamba, cette pièce de toile blanche, un peu plus grande qu’un drap de lit, dans laquelle ils se drapent, hommes et femmes, avec beaucoup d’élégance et qui est le trait distinctif du costume national. Avant d’entrer à Tananarive ils le disposeront sur leurs épaules.
Après le déjeuner nous nous mettons en route, longeant la rivière Ikopa. La « Capitale » grandit à chaque instant à nos yeux. On prétend qu’elle a cent mille habitants ; en tous cas, elle présente un immense amphithéâtre, couvert de maisons, que domine le palais de la reine, reconnaissable à sa grande terrasse et à son triple rang de hautes arcades. Un peu plus bas, on distingue le palais du Premier Ministre, avec ses quatre tours carrées et son dôme central. La colline sur laquelle ils sont bâtis est bordée d’escarpements abrupts qui la rendent inaccessible de ce côté, tandis que le reste de la ville descend par molles ondulations vers les rizières qui l’entourent. La position est de tout point admirable ; on comprend que les Malgaches soient fiers de leur capitale et qu’ils l’appellent :
Antatanarivo la belle !