Le Ministre des Affaires étrangères
Ces distractions beaucoup plus que les médicaments que je lui avais prescrits, continuaient à avoir un effet salutaire sur la santé de Sa Majesté, et elle méritait plus que jamais que ses sujets la saluassent du nom de « notre belle Reine ! »
Je ne m’enorgueillissais pas outre mesure de ce résultat favorable : car, ainsi que je l’ai dit, Ranavalo n’était pas positivement malade, et il n’était pas besoin de beaucoup de science pour faire disparaître les malaises dont elle se plaignait.
Lorsqu’on eut appris dans Tananarive que j’étais le médecin en titre de la reine et du Premier Ministre, chacun s’empressa de m’envoyer chercher. Toutes les dames de la cour eurent des « vapeurs », comme les jolies femmes du siècle dernier. Il me fallut, à elles aussi, donner des consultations. La tâche n’avait rien d’attrayant : car, pour la plupart, elles n’étaient ni belles ni jeunes.
Quelques-unes étaient réellement malades ; auprès de celles-là, je fis mon métier en conscience ; quant aux autres, toute fatuité à part, je crois vraiment qu’elles voulaient voir comment un médecin français se comportait dans l’intimité.
Le Ministre des Affaires étrangères poussa même la confiance envers moi jusqu’à me consulter au sujet de ses chiens – c’était ce qu’il avait de plus cher. – Ce personnage – devenu depuis lors victime de la haine du Premier Ministre qui l’a exilé et a confisqué tous ses biens – était l’homme le plus laid que j’eusse jamais vu. Imaginez une figure de caoutchouc dont on se serait amusé à tordre tous les traits. Il avait de plus un tic qui le faisait clignoter sans interruption. Quant à l’intelligence, je ne pourrais pas en dire grand’chose ; personne ne l’a jamais vu à l’œuvre et il n’a, en réalité, aucune part au gouvernement. Son titre de Ministre des Affaires étrangères est purement honorifique, comme d’ailleurs ceux de tous les ministres de Madagascar. Il n’y en a qu’un seul qui peut tout, qui dirige tout, qui fait tout : c’est le mari de la reine, le Premier Ministre Rainilaïarivony.
Au sujet des chiens pour lesquels j’étais appelé en consultation, je conseillai à leur maître de les tenir un peu moins à l’attache ; puis je lis gravement une ordonnance, leur prescrivant une petite purge. Le ministre fut tellement charmé de ma science médicale qu’il me fit présent d’un joli coquillage qui « faisait du bruit quand on l’approchait de l’oreille ». Ne voulant pas être en reste d’une pareille générosité, je m’empressai de lui prouver ma reconnaissance en lui offrant gratuitement un tour de mon métier. Il avait posé sa tabatière à côté de lui ; tout en parlant je trouvai moyen de la vider, de la remplir, de la vider et de la remplir de nouveau avec du poivre de Cayenne, sans que le brave homme y vît autre chose que du feu. Il fut on ne peut plus flatté que j’eusse bien voulu exercer mon art à son seul profit et il me proclama l’homme le plus habile de la terre.