La séance chez les Frères
M. Le Myre de Vilers avait désiré que je donnasse une représentation publique – et gratuite, cela va sans dire – aux habitants de Tananarive. Le local choisi était l’établissement des Frères des Écoles Chrétiennes, qui contenait une pièce assez vaste. Les braves Frères s’étaient multipliés, afin de donner le plus de solennité possible à cette petite fête dont on parlait beaucoup en ville. Ils étaient heureux du relief qu’elle allait donner au parti français, sans compter, ce dont je ne saurais leur savoir mauvais gré, le plaisir qu’ils s’en promettaient pour eux-mêmes.
Mais ils avaient compté sans nos bons amis les Anglais. En dépit de leurs efforts, et quoiqu’ils n’eussent fait, depuis ma première séance chez la reine, que s’exercer à la prestidigitation et aux tours de passe-passe, ceux-ci n’étaient pas parvenus à me supplanter à la cour, ce dont ils éprouvaient une profonde mortification et une sourde colère. L’occasion se présentait de manifester leurs sentiments évangéliques, ils s’empressèrent de la saisir.
La salle était comble, la représentation commençait à peine lorsque, tout à coup, nous entendons des clameurs au dehors ; les abords de l’école sont envahis, les fenêtres sont brisées par une foule en désordre qui fait invasion dans la salle, et produit un tel vacarme qu’il n’y a plus moyen de se faire entendre. Ce sont des gens soudoyés par nos adversaires méthodistes. On veut les chasser ; des coups s’échangent. Ce que j’ai de mieux à faire, c’est de m’interrompre ; cependant ce n’est pas sans avoir profité d’un moment d’accalmie pour prononcer un petit discours, destiné à faire ressortir la différence des procédés employés par nous et par nos adversaires. Pendant que les bons religieux qui habitent ce local ne prêchent à ceux qui viennent chercher leurs enseignements qu’un Dieu de paix et bonté, les méthodistes anglais ne songent qu’à déchaîner contre nous les haines et les mauvaises passions ; et en ce jour où les Frères ont ouvert leurs portes aux habitants de Tananarive pour leur procurer une distraction innocente, qui doit en même temps leur faire connaître quelques-unes des merveilles de la science, les autres s’empressent de venir troubler cette paisible réunion en ameutant tout ce que la population a de plus misérable et de plus abject.
Ces paroles, traduites par mon interprète et prononcées au milieu du bruit des vitres qui volent en éclats et d’un brouhaha indescriptible, furent accueillies néanmoins par une salve d’applaudissements auxquels se mêlèrent les cris et les trépignements. M. Le Myre de Vilers ordonna alors d’évacuer la salle ; mais ce ne fut qu’après que j’eus annoncé, par la bouche de mon interprète, que la séance était remise à un autre jour. Cet « autre jour » ne vint jamais : les fêtes qui se succédèrent à peu de temps de là, à cause de l’anniversaire de la naissance de la reine, la firent ajourner, et je ne trouvai plus le moment de la donner.
Nous eûmes beaucoup de difficulté à sortir de la salle, et ce n’est qu’à grand’peine que l’escorte de M. Le Myre de Vilers put lui frayer un passage jusqu’au palais de la Résidence, tant la foule était compacte au dehors.
Cette foule était composée d’éléments divers : de ceux que nos adversaires avaient ameutés contre nous et qui continuaient à pousser les cris et les vociférations pour lesquels ils étaient payés, et de ceux qui, déçus dans leur attente, témoignaient leur mécontentement d’une manière non moins bruyante, en invectivant les interrupteurs et même en échangeant des horions,