XXXIX

Magie noire

Un des spectacles qui amusèrent le plus la reine et ses invités, c’est ce qu’on appelle souvent la Magie noire et que je me contente de désigner sous le nom du « Cabinet de Merlin l’Enchanteur ».

J’avais fait établir, pour exécuter ces exercices, un petit théâtre qui se montait et se démontait facilement, et dont l’encadrement extérieur, tout doré et pailleté, était illuminé de la manière la plus brillante, à l’aide de candélabres chargés de bougies, de fleurs lumineuses et de lampes renvoyant leur éclat dans la salle à l’aide de réflecteurs. La salle elle-même où avait lieu la représentation, était fortement éclairée, tandis que l’intérieur du théâtre demeurait sombre. Un espace de cinquante ou soixante centimètres avait été laissé vide entre le théâtre et le plancher, afin qu’on vît bien qu’il n’y avait pas de trappe par laquelle les objets pussent s’enfoncer.

C’est sur ce théâtre que je me faisais fort d’escamoter tout ce qu’on voudrait ; moi-même si cela faisait plaisir aux spectateurs.

J’avais endossé, pour la circonstance, un vêtement blanc, avec une coiffure assortie. Un vase en porcelaine blanche, rempli de fleurs éclatantes, des orchidées les plus rares, était posé sur une petite table dorée, au milieu du théâtre. Comme je m’approchais pour en respirer le parfum, le vase disparut tout à coup. Un ah ! de surprise courut parmi les assistants, tandis que je prenais un air très déconfit. Je sortis alors et je revins au bout d’un instant, portant un lémur ou maki, l’un de ces jolis animaux, communs à Madagascar, qui appartiennent à l’espèce du singe et dont j’avais déjà remarqué plusieurs spécimens sur mon chemin en venant de Tamatave. Sa tête fine s’entoure d’une barbe blanche et soyeuse ; un large plastron, blanc aussi, lui couvre la poitrine, tandis que sa queue, longue et touffue, zébrée circulairement de blanc et de noir, s’enroule autour de son corps. À peine l’avais-je déposé au milieu du théâtre qu’il disparaissait à son tour sans avoir fait le moindre mouvement. Il semblait qu’il se fût évanoui.

Je sortis de nouveau et j’apportai un paon, un paon blanc, à l’air fier, à la queue étalée en robe de mariée, à la tête surmontée d’une fine aigrette. Je le plaçai à l’endroit où, quelques instants auparavant, j’avais déposé le lémur. Il disparut aussi vite que lui, devant les spectateurs qui se frottaient les yeux en se demandant comment pouvait se produire un anéantissement si soudain.

Je proposai alors d’escamoter ainsi le cheval du Premier Ministre, un joli cheval noir que celui-ci montait quelquefois dans les circonstances extraordinaires, et je dois dire, en passant, que Rainilaïarivony est très bon cavalier, ce qui m’a fort surpris : car les chevaux sont très rares à Madagascar, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer.

– Cependant, dis-je, de peur que le cheval de M. le Premier Ministre ne vienne à disparaître pour de bon, – on ne sait pas ce qui peut arriver, – j’escamoterai plutôt un petit veau, couleur de café au lait, que je viens de voir, flânant tout à l’heure dans les dépendances du palais. M. Pappasogly va aller le chercher.

Quelques instants après le petit veau – qui n’était pas loin, comme vous pouvez croire – faisait son entrée sur la scène, où son ahurissement me répondait de son immobilité. Une minute après, il n’y avait plus de petit veau. Le malheureux était allé rejoindre le lémur et le paon.

Maintenant est-il nécessaire que je vous explique comment on arrive à ce résultat ? Oui, afin que, à votre tour, vous puissiez pratiquer l’escamotage de tout ce qui vous sera désagréable, de vos créanciers par exemple.

Je vous ai dit que l’extérieur du petit théâtre était fortement éclairé, éclairé au point de produire l’éblouissement ; mais l’intérieur au contraire était complètement sombre. Pour obtenir cet effet, on revêt tout cet intérieur de velours noir, si bien que des personnages, habillés eux aussi de noir de la tête aux pieds, avec deux petits trous seulement pour les yeux, sont absolument invisibles sur ce fond obscur, et peuvent se mouvoir sans que leur présence se révèle aux yeux des spectateurs. C’est ainsi qu’étaient vêtus mon secrétaire et mon petit domestique. Ils étaient de plus munis d’écrans ou de paravents, noirs aussi, qu’ils étendaient ou déployaient instantanément, devant l’objet à faire disparaître, et qui ainsi devenait tout à coup invisible. Vous avez pu remarquer que ces objets – des animaux dans le cas présent – étaient blancs, en tout ou en partie, comme le paon et le maki, ou de nuance claire, comme le veau ; moi-même, j’étais vêtu de blanc : c’est ce qui fait que, eux et moi, nous étions visibles sur ce repoussoir de ténèbres ; notre disparition devait être frappante. Si, au contraire, j’avais amené sur le théâtre le cheval noir du Premier Ministre, il serait demeuré invisible ou à peu près, et l’effet de disparition soudaine eût été complètement manqué. Aussi, tout en proposant de le prendre pour objet de mon expérience, je n’avais pas la moindre envie qu’on l’acceptât.

Vous en savez maintenant autant que moi sur la « Magie noire ».

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