XLII

Le zoma

Le vendredi est le jour du grand marché à Tananarive qui, de ce fait, est appelé Zoma, ce mot signifiant vendredi.

Les villageois des environs s’y rendent en foule et de fort loin. J’y allais souvent pour jouir du spectacle animé que la place présente ce jour-là.

On y vend des étoffes du pays : des rabanes, comme on appelle les tissus fabriqués avec le fil du raphia, cette sorte de palmier dont j’ai déjà parlé. Chaque pièce a la dimension d’un grand rideau et vaut environ 0 fr. 50.

Les lambas en coton blanc, qui ont trois mètres de long sur un mètre cinquante de large, valent cinq francs ; mais on en fabrique aussi en soie, de couleurs éclatantes, avec des dessins très riches et très variés, qui valent jusqu’à quatre cents francs. On les emploie non seulement pour vêtement de cérémonie, mais aussi pour ensevelir les morts. Les gens riches enveloppent même les leurs dans trois ou quatre de ces lambas, car on rend de grands honneurs à ceux qui ne sont plus.

Les toiles de coton américaines sont très recherchées, à cause de leur bon marché ; mais elles sont d’un très mauvais usage.

La parfumerie allemande abonde sur le zoma ; seulement, pour la faire passer, les fabricants ont soin de lui mettre une étiquette française, ce qui n’a rien de flatteur pour nous : car elle est de qualité détestable.

Les Hovas tressent très joliment la paille et le jonc ; ils en font des nattes dont les plus grossières servent de tapis ou couvrent les murailles, tandis que les plus fines, qui sont extrêmement souples, sont employées comme serviettes ou comme draps de lit. Ils fabriquent aussi des corbeilles, de petites boîtes, des chapeaux qui pourraient rivaliser avec les panamas.

Ils travaillent encore très bien la corne qu’ils convertissent en menus ustensiles de ménage, verres, cuillers, petits vases de toutes sortes.

On trouve de plus, sur le zoma, des objets importés de Zanzibar : de la verroterie, des chaussures en peau d’hippopotame. J’y ai acheté une canne, faite d’un nerf provenant de l’un de ces animaux – qui, par parenthèse, devait être de grosseur phénoménale – et orné d’une pomme en argent qui n’est pas mal ciselée du tout.

Le marché aux victuailles est bien fourni. Les volailles sont cotées à des prix qui ne donneraient pas grand profit aux cuisinières qui prélèvent le « sou pour livre » : un poulet, 0 fr. 40 ou 0 fr. 50 ; une dinde, 0 fr. 75 ; une oie, 1 franc.

Un bœuf se vend dix francs en temps ordinaire ; mais, à certaines époques et dans certaines circonstances, il atteint le prix de vingt francs. On a un porc ou un mouton pour moitié prix de ce que coûte un gigot chez nous, c’est-à-dire pour trois francs.

Je ne parle que pour mémoire des sauterelles, des chenilles et des vers à soie qui passent pour des denrées très recherchées, mais que les Européens goûtent peu.

Ce que je prisais le plus à ce marché, c’étaient les fruits : bananes, ananas, pastèques, melons, mangues, oranges, dattes et même fraises et framboises, s’y entassaient de la manière la plus séduisante et étaient exquis. On vendait là aussi du café, de la vanille, des cannes à sucre, de la cire, du miel, du tabac, qui est de qualité inférieure mais très bon marché ; des essences, du sel, qui ne paie pas de mine, car il est de couleur noirâtre, et de plus des produits pharmaceutiques ; entre autres certaine huile de ricin qu’une mère française aurait grand’peine à faire avaler à ses enfants. Les apothicaires hovas la tirent des superbes palma-christi qui croissent abondamment dans leur île ; mais ils ne savent pas la préparer et il n’y a pas que les bébés qui la trouveraient répugnante.

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