XLIII

Les chagrins de la reine. – Correspondance

La triste situation de la reine m’intéressait de plus en plus et mon ascendant sur elle croissait tous les jours. Sans cesse elle m’envoyait chercher. Quand nous étions seuls, elle me parlait avec un abandon qu’un autre aurait pu interpréter d’une manière trop flatteuse, mais dans lequel je me plaisais à ne voir que la marque d’une affection qui n’avait rien de répréhensible. Je comprenais si bien que cette pauvre femme, entourée d’une famille hostile, mariée à un homme pour lequel elle ne pouvait éprouver le moindre amour, ouvrît son cœur à celui qui avait su lui inspirer confiance, en cherchant à la mettre en garde contre les dangers de toutes sortes qui la menaçaient ! Je craignais toujours qu’elle ne devînt la proie des intrigues que tramaient autour d’elle les méthodistes anglais qui, on le sait, quand l’intérêt de leur pays est en jeu, ne reculent devant aucun procédé, quelque criminel qu’il soit. Ils l’avaient bien prouvé au temps de Radama II, et ils s’étaient rendus tellement odieux que, dit Mme Pfeiffer, « on avait pris l’habitude d’appeler anglais tout ce qui était faux et mensonger ». La pauvre reine, dont le titre n’était que de parade, servait d’écran aux louches menées de son mari, qui, après avoir hésité longtemps entre les deux partis français et anglais, s’était décidé pour le dernier. Il avait résolu d’abandonner la souveraineté de l’île à nos rivaux, moyennant une grosse pension. Déjà même ceux-ci, massaient leurs forces près de Zanzibar, afin d’être à même de le soutenir dans le coup d’Etat qu’il méditait. Rainilaïarivony avait en outre envoyé à Londres l’Anglais Wilhoughby, général instructeur de son armée, afin de hâter la conclusion du traité projeté. Il importe pourtant de dire que le choix du plénipotentiaire n’était pas de nature à faire réussir les négociations : car ce Wilhoughby n’était autre qu’un chevalier d’industrie, qui, par sa mauvaise conduite, s’était fait chasser de l’armée anglaise, et peut-être en effet est-ce la cause pour laquelle ces négociations échouèrent.

On devine les perplexités de la pauvre reine, obligée de vivre au milieu de ces sourdes menées ; voyant sans cesse dans ses rêves le tanghin, la corde ou la sagaie la menacer. Cependant elle restait toujours calme et souriante, et personne, en la voyant présider une fête ou une cérémonie, n’aurait pu deviner les inquiétudes qui agitaient son cœur.

Elle m’interrogeait souvent sur la vie que menaient les femmes en France ; si on les tenait cloîtrées comme elle ; si leur mari leur montrait de la confiance, s’il les aimait. Aimer, être aimée ; avoir un enfant à chérir : c’est un bonheur qu’elle ne devait jamais connaître !

Elle revenait sans cesse sur ce sujet ; c’était un de ses grands chagrins en effet.

– Oh ! si j’étais mère, me disait-elle quelquefois, je ne me sentirais pas si seule au monde ! tandis que je suis condamnée à ne connaître ni l’amour d’un mari, ni l’amour d’un fils ! Ne vois-tu aucun remède à ma peine ?

Hélas ! non, je n’en voyais pas. J’avais déjà entendu dire d’ailleurs que Ranavalo ne devait pas avoir d’enfant, car, son mari n’étant pas de race noble, ses enfants ne pourraient régner ; par conséquent, si elle en avait, on les étoufferait dès leur naissance, de peur que leur existence n’amenât des complications politiques. J’ai entendu dire aussi, depuis, qu’elle en avait eu en effet, mais qu’on les avait fait disparaître. On comprend que cette perspective, si la reine en avait connaissance, n’était pas de nature à lui faire voir l’avenir sous des couleurs riantes.

Aussi, heureuse d’avoir près d’elle quelqu’un qui comprenait ses inquiétudes et qui y compatissait, elle m’envoyait chercher sans cesse, me consultant sur les plus petites choses, C’est ainsi que je recevais presque chaque jour des billets dans le genre de ceux-ci, signés Marc Rabibisoa.

II Vtra.,

Dekan’ Ny Prime Minister

Sy

Commander. – In – Chief

Mon cher Monsieur Cazeneuve,

Voulez-vous venir maintenant ? Sa Majesté est prête à vous recevoir : je vous attends à la porte du palais.

Sincèrement à vous.

Marc Rabibisoa

Ambohitsoa

Antananarive

Mon cher Monsieur Cazeneuve,

On m’appelle au Palais, c’est peut-être pour vous ; il serait bon que vous vous teniez prêt et attendiez un mot vous disant de venir.

Marc Rabibisoa

Une autre fois, c’était un échantillon de cresson – je lui avais conseillé d’en faire usage – que la reine m’envoyait afin que je l’examinasse.

Privée et Confidentielle

Mon cher Monsieur Cazeneuve,

Sa Majesté me charge de vous faire parvenir un petit échantillon de cresson. Est-ce bien cela qu’il faut ? Un mot, s’il vous plaît.

Bien à vous.

Marc Rabibisoa

Une autre fois encore la reine s’inquiétait de savoir si elle pouvait continuer à se servir des parfums, qu’elle aimait beaucoup ; elle me consultait au sujet d’une eau de roses dont je lui avais enseigné la composition.

Privée et Confidentielle

Mon cher Monsieur Cazeneuve,

Son Excellence désirerait être renseignée sur la quantité de roses et de vin à infuser, et quel vin ? faut-il en faire infuser beaucoup à la fois, ou en faire seulement pour la journée tous les jours ?

Sincèrement à vous.

Marc Rabibisoa

Privée et Confidentielle

Mon cher Monsieur Cazeneuve,

Son Excellence me charge de vous demander si Sa Majesté peut sentir de la parfumerie avec le mouchoir, parce qu’elle en avait l’habitude jusqu’à présent. J’estime que vous avez reçu l’échantillon de cresson que Son Excellence m’a ordonné de vous envoyer hier soir.

Sincèrement à vous.

Marc Rabibisoa

Ou bien sachant que j’aimais beaucoup les légumes et que j’en étais presque totalement privé, la reine m’en envoyait de son jardin.

Mon cher Monsieur Cazeneuve,

Son Excellence me charge de vous faire parvenir les légumes du jardin royal.

Je vous ferai parvenir plus tard les réponses à la conversation d’hier.

Votre bien dévoué ami,

Marc Rabibisoa

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