XLIV

Séances privées

J’étais appelé de temps en temps au palais, tantôt pour des séances devant la cour, tantôt pour des séances intimes. C’étaient celles-ci qui amusaient le plus la reine. Elle ne pouvait en revenir quand, ayant fait cacher une épingle ou tout autre objet de ce genre dans l’appartement, je le découvrais immédiatement ; quand, huit ou dix aiguilles ayant été placées sur ma langue, avec un bout de fil, je les en retirais toutes enfilées ; quand ayant semé des graines dans un vase rempli de terre, et les ayant arrosées avec une eau de ma composition, on voyait presque aussitôt les plantes germer, les tiges s’allonger et les fleurs s’épanouir. Le Premier Ministre, de son côté, avait beau examiner les anneaux d’acier que je lui présentais, il n’y voyait pas la moindre ouverture, et il ne parvenait pas à deviner comment je les faisais entrer les uns dans les autres si facilement ; pas plus que comment il se faisait que, une feuille de papier à cigarettes ayant été mise en morceaux, elle se retrouvait entière ; il était bien sûr cependant que c’était la même, car il en avait gardé un fragment.

Un soir que l’on m’attendait au palais, je m’étais trouvé en retard par suite de préparatifs que j’avais eu à faire, le Premier Ministre, fort poliment d’ailleurs, me le fit remarquer.

– En retard, Excellence, croyez-vous ? lui dis-je. N’était-ce pas à neuf heures que Sa Majesté m’attendait ?

– En effet.

– Eh bien, regardez, Excellence.

Et je lui fis voir la pendule, posée sur la console, qui marquait juste neuf heures, pendant que au dehors, la grande horloge du palais sonnait neuf coups.

Le Premier Ministre avait tiré son chronomètre et constatant avec étonnement une différence d’une demi-heure :

– Voici la première fois qu’il se dérange, dit-il.

Il avait l’air très contrarié.

– Si vous voulez bien me le confier, dis-je, je suis un peu mécanicien, je me fais fort de le remettre en état.

On devine qu’il n’y eut rien à faire au chronomètre qui marchait fort exactement. Les pendules seules du palais étaient fautives… de par ma volonté.

Un des amusements qui fut le plus goûté de la reine fut celui qui eut pour objet son parasol.

Ce fameux parasol rouge à boule d’or, vu ses dimensions, était d’un maniement assez difficile ; un officier de grande taille et de forte carrure était chargé de l’ouvrir et de le fermer. Un jour, comme j’arrivais au palais, je trouvai le pauvre garçon fort empêché ; il avait beau tirer, pousser, le ressort ne jouait pas. La reine, qui devait se placer à son balcon pour je ne sais quelle cérémonie, attendait dans le grand salon. On vint l’avertir de ce qui se passait ; le parasol rouge ne voulait pas s’ouvrir.

– Voulez-vous me permettre d’essayer ? dis-je à Sa Majesté.

Sur un signe affirmatif de sa part, on m’apporta le parasol rebelle. À peine y eus-je touché qu’il se déploya comme par enchantement, et, chose étrange, des baguettes qui le soutenaient à l’intérieur on vit pendre, comme des branches d’un arbre de Noël, une multitude d’objets : des fleurs, des rubans, des bonbons, des colliers de perles et même de petits flacons d’odeur, dont M. Le Myre de Vilers qui se prêtait toujours avec une bonne grâce infinie à ce que je pouvais imaginer pour plaire à la reine et pour la bien disposer en faveur de la France, aurait pu expliquer la provenance, car c’est lui qui me les avait fournis.

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