La reine prestidigitateur. – Nouvelle expérience de suggestion
C’est surtout quand je voyais la reine plongée dans ses humeurs sombres que j’avais recours à ma science pour la distraire. Souvent montés sur la terrasse du château, dans cette nuit lumineuse des tropiques, aussi claire que certains de nos jours, je lui nommais quelques-unes des constellations qui étincelaient au-dessus de nos têtes et qui sont inconnues à notre ciel du nord. La reine paraissait s’intéresser vivement à ce que je lui disais et m’écoutait avec la plus constante attention.
Elle avait entendu parler du feu que j’avais fait jaillir de la terre ; elle aurait voulu que j’exécutasse la même expérience devant elle. Je lui en proposai une autre du même genre, en lui faisant voir un arc-en-ciel en pleine nuit. Je réalisai mon offre le lendemain.
Toujours afin de ménager la susceptibilité du Premier Ministre, j’engageai la reine à l’inviter à ce spectacle, qui devait avoir pour théâtre la vérandah du palais.
Le lendemain, en effet, à neuf heures du soir, la reine, le Premier Ministre et leurs invités purent admirer un magnifique arc-en-ciel qui se déployait d’une extrémité à l’autre de l’horizon, pendant qu’une pluie d’étoiles filantes semblait tomber du firmament. Des prismes, des lampes à réflecteurs, du magnésium avaient fait tous les frais de cette expérience de catadioptrique, partie de la physique concernant les effets combinés de la réflexion et de la réfraction de la lumière.
Il fallut que j’expliquasse à la reine et au Premier Ministre les moyens que j’avais employés pour arriver à ce résultat. Je m’y prêtai de bonne grâce, ainsi que je le faisais dans des occasions semblables : car si j’étais bien aise, vis-à-vis du vulgaire, de conserver une certaine apparence de surnaturel, je tenais surtout, vis-à-vis de la reine et de son mari, à me montrer homme de savoir, afin de leur inspirer plus de confiance. J’entrais au palais comme médecin, j’y parlais comme diplomate, j’y devenais astronome, et j’en sortais professeur de prestidigitation.
Car je donnai en effet à la reine quelques leçons très élémentaires de mon art. Ainsi je lui expliquais comment on faisait passer une carte d’un lieu dans un autre, ou comment on faisait disparaître et apparaître les muscades. Elle voulut elle-même s’y essayer. Elle y réussit tant bien que mal, et cela l’amusait beaucoup. Le Premier Ministre s’y essayait également, mais avec moins de succès encore.
Je me permis même à ce sujet une petite satisfaction ou, si l’on aime mieux, une petite mystification.
Comme on se le rappelle, il avait été décidé, dans la réunion tenue à la « Missionary Society » après la première séance donnée au palais, qu’on enverrait des prestidigitateurs anglais à la reine, pour combattre l’influence qu’on craignait que je n’exerçasse sur son esprit. J’avais été mis au courant, non seulement de cette résolution, mais même des tours par lesquels, eux aussi, ils comptaient éblouir la reine. Je m’empressai alors de faire ces mêmes tours devant Sa Majesté, dévoilant leurs trucs, qui du reste étaient absolument enfantins, lui montrant comment on procédait, lui faisant essayer ces exercices à elle-même, si bien que, quand ils se présentèrent au palais, la reine put leur faire dire : – Je connais vos tours : je sais très bien les faire moi-même et je pourrais, au besoin, les exécuter devant vous.
Ils se retirèrent fort penauds sans doute, et depuis ils renoncèrent à étudier un art qui leur avait si peu réussi.
J’avais déjà fait bien des expériences de suggestion devant le Premier Ministre : je l’avais forcé, par exemple, à choisir dans un jeu les cartes que j’en avais retirées d’avance, ou à désigner à quelle place on trouverait tel objet, comme il l’avait fait dans la première séance donnée au palais pour le mouchoir de la reine, qui était allé s’enfermer d’abord dans un canon de fusil, puis dans un œuf. Cependant il ne pouvait se résoudre à croire que j’eusse le pouvoir que je m’attribuais, en certains cas, de lui imposer ma volonté.
– Votre Excellence veut-elle tenter encore une expérience ? dis-je un jour.
Il y consentit.
Nous étions alors dans une des dépendances du palais où s’élevaient quelques arbres et que gardaient plusieurs sentinelles.
– Veuillez, dis-je à Rainilaïarivony, ordonner à cet homme, et je désignai l’un des soldats présents, de monter sur cet arbre.
Le ministre dit quelques mots en malgache à la sentinelle qui, sans manifester la moindre surprise d’une si bizarre fantaisie – un Hova ne se permet pas de juger son supérieur – posa son fusil contre une barrière et marcha vers l’arbre.
Quand il fut arrivé au pied et comme déjà il s’apprêtait à saisir le tronc, je fis un signe.
Aussitôt l’homme demeura immobile.
Le Premier Ministre lui dit à son tour quelques mots que j’interprétai ainsi :
– Allons donc ! pourquoi t’arrêtes-tu ?
Mais l’homme ne fit pas un mouvement.
Rainilaïarivony me regarda surpris.
– Je lui ai défendu de monter, dis-je tranquillement, répondant à son interrogation muette, et il ne montera pas.
– C’est ce que nous allons voir ! répliqua le Premier Ministre, et il reprit avec une intonation de menace.
– Si tu ne montes pas, je te fais fusiller !
– Il ne montera pas, repris-je avec le même flegme ; il ne montera que quand je le lui permettrai.
Et en effet l’homme ne bougeait pas ; sa figure exprimait l’angoisse ; on voyait qu’il aurait voulu obéir à l’ordre qui lui était donné, mais que cela lui était impossible.
Quand je pensai que le Premier Ministre devait être convaincu de ma puissance occulte, je fis un autre signe.
Aussitôt l’homme embrassa le tronc de l’arbre de ses deux mains et se mit à grimper avec une agilité telle que, en quelques secondes, il atteignit le sommet de l’arbre.
– Maintenant, dis-je à Rainilaïarivony, que Ton Excellence lui ordonne de descendre.
Mais pas plus qu’il n’avait obéi au premier ordre, le soldat n’obéissait au second. Il demeurait posé sur sa branche, comme un oiseau, sans donner la moindre marque qu’il se décidât à quitter son perchoir.
C’est seulement quand je lui en eus accordé la permission qu’il put regagner la terre ferme, bien inquiet au sujet de la manière dont il serait reçu par le Premier Ministre ; mais celui-ci ne songeait pas à lui adresser la moindre réprimande. Il était tout à la surprise et à l’admiration que lui faisait éprouver cette nouvelle preuve de mon pouvoir suggestif, et il ne lui arriva plus de le mettre en doute.