À la campagne
Le soleil était déjà haut dans le ciel quand mes porteurs me déposèrent devant une petite hutte, d’aspect assez misérable. La femme qui m’accompagnait descendit de sa filanza, me faisant signe d’en faire autant et de la suivre. Nous marchâmes pendant vingt minutes environ et nous arrivâmes devant une maison assez grande, surmontée d’un toit aigu, que dépassaient, sur chaque pignon, deux perches croisées se dressant vers le ciel. Ce toit surplombait de beaucoup la maison et était soutenu tout autour par des piliers de bois. Sur cette sorte de vérandah s’ouvraient les portes du rez-de-chaussée et les fenêtres du premier étage. C’est ainsi du reste que sont construites la plupart des cases à Madagascar, depuis la plus grande jusqu’à la plus petite. Cette maison était celle de la reine qui m’attendait et vint au-devant de moi. Elle m’entraîna dans le jardin qui entourait la maison. Ce jardin devait beaucoup moins à l’art qu’à la nature : tout y poussait à l’abandon, un chou à côté d’une rose. Cette dernière fleur pourtant était l’objet de quelques soins, car la reine l’aime beaucoup.
Mais ce qui faisait le principal ornement de ce lieu, c’étaient des lianes énormes qui s’élançaient à l’assaut des arbres les plus élevés, les entourant d’une draperie d’une richesse incomparable. Leurs tiges puissantes disparaissaient sous des feuilles larges comme mes deux mains, et de toutes les couleurs : pourpre, bleu, grenat, violet, jaune d’or, d’un tissu velouté dont la peluche la plus chatoyante ne peut donner qu’une faible idée. Ces feuilles étaient coupées de nervures de tons variés qui ajoutaient encore à leur effet. Il n’y a pas de fleurs à cette plante, ou plutôt je n’en vis pas, mais aucune fleur n’aurait pu lui donner plus de magnificence. Je ne pouvais en détacher mes yeux. Un autre arbrisseau dont la vue m’enchanta, ce fut une fougère, à laquelle je donnai le nom de « fougère magique ». Son feuillage, finement découpé et comme saupoudré de poussière d’or et de poussière de diamant, change de couleur selon la saison, l’heure de la journée, et traduit, par ses différents aspects, les variations de la température ; rien n’est plus curieux et plus joli.
L’art des jardins n’est pas complètement inconnu à Tananarive et l’habitation que M. Laborde s’était fait construire à Soutsimanampiovana, à huit lieues de la capitale, était entourée de jardins superbes, où il cultivait toute espèce de plantes, de fruits et de légumes d’Europe.
Du reste je n’étais pas occupé de ces détails ; j’avais l’esprit tendu sur ce que la reine pouvait avoir à me dire au sujet des affaires, et je groupais dans ma mémoire les arguments que je pourrais lui présenter pour faire triompher ma cause, c’est-à-dire celle de la France.
J’avais commencé par l’interroger sur sa santé, et constaté avec satisfaction que les conseils que je lui avais donnés continuaient à produire un effet favorable. Elle était gaie et tout à fait fraîche dans sa robe de mousseline blanche brodée, garnie de nœuds roses.
Nous longions un joli petit ruisseau qui formait de mignonnes cascades entre les pierres, et nous allions aborder le terrain de la politique lorsque la reine, s’interrompant tout à coup et quittant mon côté, s’élança vers le ruisseau.
– Est-ce que ce n’est pas du cresson ? me demanda-t-elle en me montrant des tiges vertes qui se dressaient sur le bord.
C’était du cresson en effet.
– Si nous en cueillions un peu, reprit la reine.
Et nous voilà tous deux arrachant des poignées de cresson ; mais celui du bord était un peu avancé ; il fallait atteindre les touffes qui croissaient au milieu de l’eau. Bravement je me déchaussai et j’entrai dans la rivière, pendant que la reine, s’avançant le plus qu’elle pouvait, posait ses deux petits pieds, chaussés de souliers mordorés à boucles de stras, sur deux pierres branlantes, relevant d’une main sa jupe de mousseline et de l’autre cherchant à cueillir les tiges qui baignaient dans l’eau. Mais à peine en avait-elle saisi une que, sentant qu’elle perdait l’équilibre, elle la lâchait bien vite en poussant un éclat de rire, pour agripper une branche ou bien pour saisir la main que je lui tendais. Elle riait, la pauvre reine, comme cela ne lui était peut-être jamais arrivé, même dans sa petite enfance : elle se sentait heureuse ; elle n’était plus qu’une simple femme : elle se laissait aller au plaisir de vivre, et elle oubliait pour un instant les préoccupations de la politique et surtout les chagrins de la maison conjugale, où jamais ne devait sonner un joyeux rire d’enfant, provoquant le sien.