Invitation
Ainsi que je l’ai dit, je n’étais pas resté longtemps chez le bouillant Wilkinson, et je m’étais hâté de chercher un logis où je ne fusse pas exposé à être réveillé par des coups de revolver. Je m’y étais installé et j’avais eu soin d’arrêter quatre porteurs de filanza : car, pas plus à Tananarive qu’à Tamatave et que dans tout l’Orient du reste, on ne sort jamais à pied. Les hommes que j’avais pris pour ce service étaient toujours là, devant ma maison, jouant, riant, jacassant et attendant mes ordres. La nuit, ils se retiraient dans une petite case sur le derrière. Ces pauvres gens ne recevaient pour salaire qu’une mesure de riz, de la valeur d’un verre environ, que je leur versais, chaque matin, dans un pli de leur lamba qui leur sert de poche. Ils emploient pour le faire cuire, une grossière marmite de terre, placée sur trois briques, faisant office de cheminée, disposées au milieu de leur case, et entre lesquelles ils allument du feu. La fumée se comporte comme il lui plaît et sort par où elle peut. De temps en temps, dans ma munificence, je joignais à cette mesure de riz un fragment de pièce d’argent valant quatre ou cinq sous, ce qui excitait leur joie au plus haut point.
Ils portaient le lamba blanc, usité dans le pays ; et avaient pour coiffure une sorte de petite calotte de paille, assez semblable, quant à la forme, à la barrette des prêtres, et qu’entourait un galon de laine rouge. C’était à peu près la même que celle des porteurs de la Résidence, avec lesquels on aurait pu les confondre.
Mon personnel se complétait d’une femme qui aidait mon petit domestique à faire le ménage et la cuisine, à aller chercher de l’eau. Elle était du reste absolument à ma disposition, la nuit aussi bien que le jour, et aurait volontiers, faute de mieux et si je l’avais voulu, couché sur la natte au pied de mon lit. Je la surpris beaucoup, et même peut-être l’humiliai-je fortement en lui disant que, son service fini, elle pouvait retourner chez elle jusqu’au matin.
C’est le lendemain de la séance chez M. Le Myre de Vilers qu’éclata dans la ville l’incendie dont j’ai rendu compte au commencement de ce récit, et dont j’eus le bonheur, en compagnie de M. Pappasogly et de M. Rigaud, l’ingénieur de la Résidence, de conjurer les effets.
La reine, je l’ai dit, du haut de son palais, avait été témoin de cet embrasement et de nos efforts pour empêcher les flammes de s’étendre. Le lendemain elle m’envoya, comme cadeau de bienvenue, avec ses félicitations et ses remerciements, une oie grasse, des œufs et de la salade.
Ces dons royaux ne rappellent-ils pas les âges antiques ?
Je suis persuadé que Sa Majesté éprouvait une vive curiosité au sujet du « diable noir » qu’elle avait vu courir au milieu du brasier, et que les récits qui lui avaient été faits des séances que j’avais données, tant au camp de Souadiram qu’à Tamatave, et la veille à la Résidence, n’avaient pas diminué cette impression.
Je ne fus donc pas très étonné lorsque je reçus de Sa Majesté une invitation à me rendre au palais. Quoique le Premier Ministre m’eût témoigné beaucoup de bienveillance aussi bien pendant la visite que je lui avais faite le jour même de mon arrivée que pendant la soirée chez M. Le Myre de Vilers, je n’avais pas encore osé solliciter une audience de la reine et je fus d’autant plus flatté de celle qu’elle voulait bien m’accorder.