XX

Le docteur Baissade

On comprend l’émerveillement que ces exercices de prestidigitation durent causer à des personnes qui, comme celles qui composaient mon auditoire, n’avaient jamais rien vu qui en approchât. La reine me demanda comment on pouvait arriver à les exécuter avec tant de sûreté. Je répondis que, pour parvenir à quelque habileté dans notre art, qui comprenait des branches très diverses, il fallait posséder d’abord des aptitudes naturelles, beaucoup d’agilité de doigts, une grande vivacité de regard, et de plus, connaître à fond certaines sciences, parmi lesquelles je citai les mathématiques, la chimie, la mécanique, l’astronomie, la physique et la médecine.

Ce dernier mot parut la frapper beaucoup ; elle avait déjà été avertie des cures que j’avais entreprises dans les villages qui s’étaient trouvés sur mon chemin et dont bon nombre avaient réussi. Je remarquai qu’elle échangeait un regard avec son mari, et j’entrevis qu’il y avait peut-être encore là un moyen d’action dont on avait chance de tirer parti, toujours au profit de la France. Rappelons pourtant en passant que je ne suis pas docteur ; les très modestes études de médecine que je fis en 1856, 57 et 58, ne m’ont conduit qu’à être officier de santé ; mais cela a d’ailleurs toujours été suffisant dans mes nombreux voyages, pour me permettre de donner des soins, toujours gratuits, à tous ceux qui les réclamaient. Du reste, grâce aux ouvrages sur la médecine moderne, au compendium d’Antonin Bossut et au formulaire magistral qui ne me quittent pas ; grâce bien plus encore à la pratique journalière, j’ai beaucoup étendu mes connaissances médicales, et peut-être beaucoup de docteurs largement diplômés n’ont pas la valeur scientifique que m’a donnée l’exercice répété de cet art dans les cinq parties du monde et dans les cas les plus divers. Mettant également à profit les nombreux travaux de Spurzheim, Lavater et Gall sur la physionomie, la physiologie, la physiognomonie et la phrénologie, j’ai toujours eu pour principe, avant d’entreprendre une cure, d’étudier non seulement le tempérament, la constitution de mes malades, mais encore leur caractère, leurs habitudes, leur manière de vivre et même leur éducation. Je cherchais à agir sur le moral autant que sur le physique. C’est ainsi qu’il m’est arrivé de guérir avec de l’eau claire des maladies réputées très sérieuses.

Je dois ajouter que, pendant mon séjour à Tananarive, lorsque j’ai eu à traiter des affections vraiment graves, je me suis aidé des conseils du docteur Baissade, médecin de première classe de la marine française, attaché à la Résidence générale. Ses remarques et ses observations, jointes aux miennes, me permettaient de traiter avec plus de précision et de confiance les cas au sujet desquels j’aurais éprouvé quelques doutes.

Ce docteur Baissade a rendu des services signalés et inoubliables pendant son séjour à Tananarive. Par la multiplicité de ses cures, il a contribué, pour une large part, à démontrer la supériorité de la science française sur celle de nos rivaux. Tous les jours une centaine de malades, dont une certaine quantité était à opérer, venaient le trouver. Il en a guéri plusieurs milliers. Les consultations, le traitement, les médicaments, les opérations mêmes étaient toujours gratuits. J’allais parfois l’assister et profiter de sa science et de son expérience pour augmenter les miennes.

On me pardonnera cette longue digression, mais elle était nécessaire pour faire comprendre que si j’acceptai, quoique n’ayant pas le titre de docteur, de donner des soins à la reine, c’est que je m’en sentais capable et que je l’étais en effet. Pour elle j’étais un docteur hors ligne ; je me gardai bien de détruire cette opinion, qui devait aider à établir l’influence que je voulais prendre sur son esprit.

Après les quelques expériences dont j’ai rendu compte, craignant qu’on ne m’en réclamât d’autres pour lesquelles je n’étais pas préparé et ne voulant pas me trouver en défaut, je demandai à la reine, sans attendre que Sa Majesté donnât le signal de la retraite, ainsi que l’étiquette l’eût exigé, la permission de me retirer. Elle me l’accorda avec grâce, après m’avoir fait savoir qu’elle désirait me consulter comme médecin et qu’elle me ferait appeler prochainement dans ce but. Il fut convenu en outre que le lendemain soir, dans cette même Salle du Trône, je donnerais, devant toute la cour, les membres de la famille de la reine, les notabilités de son entourage, les officiers militaires et tous les grands personnages étrangers, une séance de haute magie et de merveilleux. Je ferai remarquer que c’était la première fois qu’une reine de Madagascar offrait chez elle, à des invités, un spectacle qui promettait d’être intéressant ; puisse cet exemple être suivi à l’avenir.

Je pris donc congé de la reine et du Premier Ministre avec le même cérémonial qui avait présidé à mon arrivée, c’est-à-dire accompagné, jusqu’à la sortie de la cour du palais, par une escorte d’honneur, et reconduit à la maison que j’habitais par Marc Rabibisoa et par les deux aides de camp qui étaient venus me prendre. Je dois l’avouer, j’étais satisfait, flatté peut-être, dans mon amour-propre, du succès que j’avais obtenu ; mais j’étais heureux surtout en songeant que ma position nouvelle pouvait être mise à profit pour mon pays.

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