Première séance chez la reine
En face du trône se voyait une porte, hors d’usage depuis longtemps, mais qu’on voulut ouvrir ce jour-là pour donner un peu d’air, car la chaleur était extrême. Elle était fermée par un gros cadenas dans lequel la clef ne jouait plus. Après des efforts répétés, on allait renoncer à la faire tourner, quand la reine me dit :
– Ta science te permettrait-elle de faire ce que mes serviteurs essaient en vain ?
– C’est difficile, lui dis-je avec une hésitation voulue ; je vais peut-être compromettre mon prestige. Si je ne réussis pas, que penseras-tu de mon savoir ? Cependant je vais t’obéir.
J’ordonnai donc à la porte de céder. On entendit alors la clef grincer dans la serrure. Cric ! crac ! le cadenas tomba, sans que personne eût fait un mouvement, et les deux battants de la porte se séparèrent comme par enchantement.
Aussitôt un pigeon blanc, tenant dans son bec une rose, et au cou duquel était attaché un papier, s’élançant par l’ouverture, vint s’abattre sur les genoux de la reine. Le papier fut déplié ; il contenait ces mots en malgache :
Aiza moa no misy ny fahasambarana marina ? qui signifient : – Où peut-on trouver le bonheur ?
La réponse suivait, en malgache aussi :
Ny fahasambarana marina dia hita eo aminao Mpanjaka. – Le bonheur se trouve près de Votre Majesté.
On comprend que l’ouverture de cette porte n’avait rien en soi de bien merveilleux, et qu’elle avait été combinée entre moi et mon secrétaire, qui avait passé la journée au palais et qui n’avait pas perdu son temps.
On comprend aussi l’effet qu’elle dut produire sur les spectateurs, qui n’étaient pas dans mon secret et que je n’avais garde d’y mettre.
Il serait trop long d’énumérer les nombreuses expériences que je fis dans cette soirée ; mes lecteurs, pour la plupart, en ont vu d’analogues, quoique peu d’entre eux, après tout, se rendent un compte bien exact de la manière dont on les exécute, et si j’en décris quelques-unes tout au long, c’est pour qu’on se figure assister à la séance, et qu’on se rende mieux compte de l’effet que ces exercices durent produire sur des spectateurs qui, eux, n’avaient jamais été témoins d’un spectacle du même genre.
J’annonçai d’abord que j’avais un moyen certain pour m’assurer si le vin contenait de l’eau et pour séparer l’un de l’autre. Je priai la reine de vouloir bien ordonner que trois personnes fussent mises à ma disposition. Elle désigna trois officiers. Je plaçai l’un à droite de la reine, l’autre à gauche, le troisième en face d’elle. Je donnai aux deux premiers deux verres vides en cristal ; au troisième une carafe dans laquelle je fis verser moitié eau et moitié vin et qui fut bouchée hermétiquement. Puis je demandai à la reine dans quel verre elle désirait que passât l’eau et dans quel verre elle désirait que passât le vin. Sur sa réponse, je pris deux rubans, un rouge et un blanc ; je mis l’extrémité de chacun d’eux dans la main de celui qui tenait la carafe, confiant le rouge à celui qui devait recevoir le vin et le blanc à celui qui devait recevoir l’eau. Je couvris ensuite chaque récipient d’un foulard, je frappai trois coups dans mes mains, puis j’ordonnai qu’on enlevât les foulards. Ô surprise ! La carafe était vide et les deux verres pleins jusqu’au bord, l’un d’eau, l’autre de vin.
Cette expérience suscita de nouvelles marques d’étonnement et d’admiration, la reine donnant le signal des applaudissements.
Je priai ensuite Sa Majesté et son Excellence le Premier Ministre, la sœur de la reine et trois autres personnes de visiter soigneusement un jeu de cartes, encore cacheté et revêtu du timbre de la régie, que je leur présentai ; et, après vérification, de penser chacun une carte. Sur ma demande et sans que je touchasse au jeu, le Premier Ministre le remit à la reine qui l’enveloppa dans le mouchoir de dentelle qu’elle tenait à la main ; je déclarai alors que les six cartes pensées, lesquelles n’avaient été communiquées à personne, allaient disparaître du jeu, de ce jeu neuf que la reine tenait enfermé dans son mouchoir. Alors prenant un pistolet, je fis feu ; aussitôt on vit apparaître tournoyant dans l’espace, les six cartes qui, comme mues par une puissance magique, finirent par aller former une couronne autour de la tête de la reine où chacun put reconnaître, avec une profonde surprise, la carte qu’il avait choisie en imagination. Immédiatement la reine, sans attendre mon invitation, déchira l’enveloppe du paquet qui n’avait pas quitté ses mains ; c’est en vain qu’elle y chercha la sienne, elle passa le jeu au premier ministre qui n’y trouva pas davantage celle qu’il avait dans l’esprit. Les quatre autres personnes firent la même constatation.
Il était bien évident que c’étaient bien les mêmes cartes qui s’étalaient en diadème sur la tête de Sa Majesté.
Ici les applaudissements redoublèrent et je m’amusai beaucoup de la mimique du ministre anglais, M. Pickersgill, dont j’apercevais les mains qui s’écartaient et se rapprochaient comme s’il avait applaudi, mais qui n’avaient garde de se joindre pour produire du bruit. – C’est ce qui pourrait s’appeler un mensonge négatif en action. – Quant à M. Le Myre de Vilers, il paraissait fort satisfait ; il me semblait l’entendre dire : Eh bien ! mais, ça marche ! ça marche !
Pendant que la reine applaudissait, le mouchoir qui avait enveloppé le jeu de cartes était tombé à ses pieds ; je m’élançai pour le ramasser pendant que le Premier Ministre en faisait autant de son côté. Le résultat fut que le mouchoir se sépara en deux. Consternation du ministre, de tout l’entourage de la reine et rayonnement du visage de M. Pickersgill. Moi-même je prends un air désolé, je me confonds en excuses et protestations de regret.