XXIV

Les cartouches Remington

Le plus surpris de tous les spectateurs, fut le factionnaire, qui était resté près de la porte et qui, de stupéfaction, lâcha presque son fusil. Le bruit de la crosse frappant le plancher ramena l’attention vers lui ; tous les regards se portèrent de son côté. Le pauvre garçon, tremblant de peur, ne sachant s’il devait partir ou rester, attendait un ordre. Sa présence pouvait m’aider à clôturer cette partie de la séance d’une manière saisissante ; et m’adressant à la reine :

– Ce soldat tout seul fait ici triste figure, dis-je, Votre Majesté ne pourrait-elle donner des ordres pour que trois de ses camarades vinssent le rejoindre avec leurs fusils ? Veuillez en même temps demander qu’on vous apporte quatre cartouches Remington, car je vois que ce sont des fusils Remington que portent ces soldats.

Un instant après les trois sentinelles faisaient leur entrée dans la salle du trône, et le maître des cérémonies apportait sur un plateau les quatre cartouches demandées.

– Bien, dis-je à ce personnage ; veuillez maintenant faire marquer ces balles. – Et pendant qu’un officier procédait à cette opération, je demandai à la reine de quelle provenance étaient les fusils de ses soldats.

– De provenance anglaise, répondit Sa Majesté.

– Ah ! tant mieux, répliquai-je, car s’ils étaient de provenance française, je n’oserais tenter l’expérience ; mais avec des munitions anglaises !…

Et je fis un geste qui signifiait : Il n’y a pas grand’chose à craindre !…

Les balles étant marquées, je m’adressai au Premier Ministre et le priai, comme commandant en chef de l’armée hova, d’ordonner à ces quatre militaires de m’obéir aveuglément. Son Excellence paraissant hésiter, je me hâtai d’ajouter que j’allais simplement leur ordonner, quand leurs fusils seraient chargés, de faire feu sur moi.

– Bien, dit le ministre.

Et il donna l’ordre que j’attendais.

La reine, par un mouvement instinctif de commisération, voulut s’interposer, en déclarant que cette expérience était trop dangereuse.

– Je remercie Votre gracieuse Majesté, dis-je, de l’intérêt qu’elle veut bien me porter ; mais, je le répète, puisque j’ai affaire à des fusils et des cartouches de provenance anglaise, je n’ai rien à redouter.

– Pourtant, dit la reine…

– Il n’y a pas de danger, répétai-je. Je me rappelle le peu de résultat qu’ont eu des balles semblables ici même, pendant la dernière guerre.

Et en effet, chacun sait de quelle qualité sont les munitions que nos bons amis les Anglais, dans un but d’humanité sans doute, – car c’est toujours ce qui les guide, – fournissent aux gouvernements qui s’adressent à eux.

Je finis par arracher le consentement de la reine ; elle le manifesta par un geste indécis.

Ayant disposé les soldats dans les angles du salon, deux à droite, deux à gauche, je me plaçai tout debout devant la reine, à six mètres environ des tireurs.

– Mettez les balles marquées dans les fusils, ordonnai-je, et remarquez que je n’y touche pas. – Quand je dirai : Une ! deux ! trois !… faites feu !

La reine éprouvait une émotion telle que je voyais la légère étoffe de son corsage se soulever et suivre les battements de son cœur ; le Premier Ministre lui-même semblait perplexe ; tous les nobles formant l’assemblée se bouchaient les oreilles avec les mains pour ne pas entendre le bruit des détonations, car le Hova n’aime pas « à faire parler la poudre », tandis que, avec un sourire sardonique et les yeux à demi clos, Pickersgill et les autres envoyés anglais suivaient du regard tous mes mouvements, dans l’espoir charitable que peut-être une catastrophe allait se produire. Un silence de mort régnait sur l’assemblée et plus d’un paraissait se demander si c’était bien d’un jeu qu’il s’agissait.

Alors, me campant fièrement devant la reine, je croisai mes bras sur la poitrine et j’ordonnai à l’interprète de dire aux soldats de me viser au cœur.

Immédiatement les quatre canons furent braqués sur moi ; la tête haute, le regard assuré, le sourire aux lèvres :

– Une, deux, trois !… Feu ! dis-je.

Quatre détonations retentirent ; une épaisse fumée obscurcit un instant le salon. Quand elle commença à se dissiper, on put voir entre mes doigts trois des balles que j’avais saisies au passage ; la quatrième était entre mes dents.

Un cri d’effroi était parti de toutes les bouches, immédiatement suivi d’un cri d’admiration. La reine était encore tout émue et paraissait respirer à peine, quand je lui présentai les quatre balles, qui furent tout de suite reconnues pour celles qui avaient été marquées.

Il y eut dans la salle un enthousiasme indescriptible ; chacun, dans son exaltation, oubliant le lieu où il se trouvait, manifestait bruyamment ses sentiments. Le Premier Ministre vint à moi les bras tendus ; la reine me serra les deux mains. Dans le tonnerre d’acclamations qui éclata, je distinguai parfaitement le très bien ! de M. Le Myre de Vilers qui me fit plus de plaisir que tous les autres applaudissements ; mais il ne vint pas à moi le moindre signe d’approbation de M. Pickersgill et de son entourage.

L’effet n’avait pas été moindre au dehors qu’à l’intérieur. Tout le palais était sens dessus dessous, et on se demandait avec anxiété ce qui se passait dans la salle du trône ; les fonctionnaires restés dans la cour s’apprêtaient à accourir au secours de leur reine et du Premier Ministre, le bruit s’était même propagé dans la ville et y avait porté l’inquiétude.

Bon nombre des assistants s’essuyaient le front comme s’ils eussent été pour quelque chose dans l’expérience dont ils venaient d’être témoins, et comme si c’était eux qui eussent escamoté les balles. J’étais plus fatigué qu’eux néanmoins ; c’est ce que je fis comprendre à la reine, en lui demandant la permission de prendre quelques instants de repos : car ceci n’était que la première partie de mon programme ; j’en avais encore deux autres à produire ; la première d’expériences anti-spirites ; la seconde de dématérialisation.

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