Entr’acte
La reine m’accorda ma demande avec grâce, et, descendant de son trône, elle m’invita à la suivre, ainsi que le Premier Ministre, dans une petite pièce contiguë à la salle du trône où, préalablement, on avait fait disposer des rafraîchissements, entre autres du vin de Champagne, portant l’étiquette de Ranavalo. Le Premier Ministre ayant fait sauter un bouchon, la reine fit remplir deux verres, m’en tendit un et me dit en français, car elle le parle un peu :
– Je bois à ta santé !
Les mânes des ancêtres hovas de la reine ont dû en tressaillir d’étonnement, car pareille chose ne s’était jamais vue.
Pendant que je prenais le repos qui m’était indispensable et que je causais avec Sa Majesté et avec le Premier Ministre, les invités se livraient aux suppositions les plus étranges au sujet des choses extraordinaires dont ils venaient d’être témoins, et on conviendra qu’il y avait là de quoi exciter leur surprise. C’était la première fois qu’un « magicien » européen produisait des expériences dans ce pays où tout l’art des soi-disant sorciers consiste à faire des prédictions basées sur la prétendue science astrologique, qui ne se réalisent jamais, et où le merveilleux n’existe que dans l’imagination des habitants, très ignorants et très superstitieux. Non qu’ils ne soient pas intelligents : ils ont au contraire l’esprit de conception très facile ; leur imagination est vive, ardente ; ils aiment et admirent volontiers tout ce qui a sur eux un caractère de supériorité. Cela explique facilement que, dans l’esprit de tous ceux qui venaient d’assister à mes expériences, je passais pour un être extraordinaire en savoir, en habileté et en pouvoir magique, et, si j’insiste sur ce sujet, qu’on veuille bien croire que ce n’est pas pour établir une réclame ; mais c’est afin de faire comprendre le jugement que les Hovas portaient sur ma personne et l’importance que la supériorité qu’ils m’attribuaient donnait à la France encore plus qu’à moi.
Pendant que je causais avec la reine et le Premier Ministre, des esclaves vêtus du « lamba » de toile blanche, précédés par les officiers du palais chargés de ce soin, faisaient circuler des plateaux couverts de rafraîchissements, de fruits, de pastèques, de bananes. Avec un peu de bonne volonté, on se serait cru dans un salon parisien.
L’intervalle de repos entre la première et la seconde partie de la séance dura environ vingt minutes, pendant lesquelles mon secrétaire et mon petit domestique, Louis, préparaient tout ce qui était nécessaire aux expériences anti-spirites,
J’appelle ces expériences anti-spirites parce que ceux qui les font ou qui du moins en font qui en approchent, prétendent qu’on ne peut les réussir que dans l’obscurité et avec la connivence des esprits. Or, comme je ne crois pas que les esprits, s’il en existe, quittent les régions éthérées pour la plus grande joie des badauds, je tiens à prouver qu’on peut exécuter ces expériences et d’autres du même genre, beaucoup plus difficiles, au grand jour, et sans avoir recours à d’autres moyens que ceux fournis par la science et par l’étude.
M. Pappasogly étant venu me prévenir discrètement que tout était prêt, je priai la reine et le Premier Ministre de vouloir bien reprendre leurs places, ce qu’ils firent immédiatement ainsi que leurs invités.